Quelque chose d’essentiel a changé dans les rapports de force entre la RDC et le Rwanda depuis les derniers affrontements de Nyiragongo et de Rutshuru entre les FARDC et les troupes du M23. Après des combats intenses et acharnés, les forces loyalistes congolaises ont nettement pris le dessus sur les envahisseurs qui avaient réussi à s’emparer du camp militaire de Rumangabo et certaines localités sur les hauteurs des collines qui surplombent Rutshuru. Des sources croisées dans la région assurent depuis le milieu de la semaine dernière que Buhumba, Kibumba, Rumangabo, Rugari, Jomba demeurent sous contrôle des FARDC. Pareil pour Chanzu et Runyonyi, postes stratégiques qui avaient concentré l’essentiel des derniers affrontements.
Depuis mardi 31 mai, les éléments du M23 rwandais s’étaient repliés en catastrophe de Kibumba (Nyiragongo) et de Kanombe (Rutshuru) vers la frontière rwandaise et le parc national des Virunga abandonnant dans leur fuite des effets militaires compromettant pour Kigali parce qu’ils attestent de la participation des éléments RDF aux combats aux côtés du M23.
Battus et en débandade
Le 27 mai 2022, le tout nouveau commandant des opérations Sokola II dans la région, le général Peter Cirimwami, a présenté au Mécanisme conjoint de vérification élargi (MCVE) mis en place dans le cadre de la CIRGL des tenues, casques, armes de guerre et plusieurs effets militaires habituellement utilisés par l’armée rwandaise. Il confirmait ainsi les appréhensions exprimées par le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement quelques jours plus tôt, selon lesquelles «le M23 ne peut pas disposer de l’arsenal militaire qu’on trouve sur lui sur le terrain des opérations. D’où la cristallisation des soupçons sur le Rwanda». Les preuves rassemblées par l’armée congolaise étaient d’autant plus flagrantes que 2 soldats rwandais étaient tombés dans leur filet le 28 mai à Biruma, après que des populations civiles les eurent capturés dans cette localité du territoire de Rutshuru située à 20 km de la frontière rwandaise. Le caporal Elysée Nkundabangezi, un de ces éléments RDF, avait été surpris avec trois pièces d’identité : une carte d’identité rwandaise, une carte de l’armée rwandaise et une carte onusienne indiquant qu’il avait fait partie du contingent RDF engagé au Soudan pour le compte des Nations-Unies.
Ascendant psychologique
Pour la première depuis plus de deux décennies d’hostilités entre la RDC et le Rwanda, la partie congolaise prenait un ascendant psychologique significatif face à son adversaire rwandais. Au terme d’une réunion du Conseil supérieur de la défense élargi aux présidents des chambres parlementaires, aux représentants du pouvoir judiciaire et aux responsables des services de sécurité, présidée par le président Tshisekedi vendredi 27 mai, Kinshasa pouvait ainsi hausser le ton et expliquer qu’«il est clairement établi que ce mouvement subversif, qui a été défait et complètement désarmé en 2013, est, contre toute attente, récemment monté en puissance avec des armes lourdes, opérant notamment avec des matériels de vision nocturne. Alors qu’il est acculé et privé d’initiatives à Tchanzu et Runyonyi dans le territoire de Rutshuru, il apparaît lourdement armé à Kibumba, à plusieurs dizaines de km plus loin en territoire de Nyiragongo, avec l’objectif de conquérir le camp militaire de Rumangabo». Preuve que Kigali est passé à des représailles contre la RDC sans attendre la suite donnée à son rapport transmis au Mécanisme conjoint de vérification élargi de la CIRGL. En conséquence, le Conseil supérieur de la défense a décidé de considérer le M23 comme un mouvement terroriste, de le traiter comme tel et donc de l’exclure des discussions de Nairobi ; de lancer une mise en garde sévère au gouvernement rwandais dont l’attitude est de nature à perturber le processus de paix qui arrive pratiquement à son terme ; et en guise de mesure conservatoire, de suspendre immédiatement les vols de la compagnie d’aviation Rwandair à destination de la RDC et de convoquer l’ambassadeur rwandais en RDC pour lui notifier la désapprobation du gouvernement. Cela ne s’était pas vu ni entendu depuis Mobutu.
Langage ferme
Le même jour à Malabo où se réunissaient les ministres des Affaires étrangères en prélude aux sommets de l’Union africaine prévues en Guinée Equatoriale, Christophe Lutundula dénonçait sans équivoque le soutien rwandais au M23 : « Je le dis sans hésitation, le Rwanda a attaqué le camp de Rumangabo. Le M23 soutenu par le Rwanda a attaqué les troupes internationales de l’ONU. C’est le summum de l’outrecuidance, nous ne pouvons pas rester indifférents, nous ne pouvons pas ne rien dire», avait-il martelé.
Face à ces preuves si accablantes, Kigali n’a eu de ressource qu’en reconnaissant la capture de ses deux soldats, se réfugiant néanmoins derrière l’éternel argument de la présence et du soutien des FDLR à l’armée congolaise. Jeudi 26 mai, Yolande Makolo, une Rwandaise originaire de Kivuye devenue porte-parole du gouvernement soutenait encore sans convaincre que «bien qu’il soit légitime que le Rwanda réponde aux attaques répétitives des FARDC sur son territoire, il n’est pas impliqué dans les combats en cours dans l’Est de la RDC et n’a pas l’intention d’être entraîné dans une affaire interne de la RDC». A Malabo un jour plus tard, Vincent Biruta, ministre des affaires étrangères rwandais, avançait pour sa part que «les FDLR et ses divers groupes dissidents constituent une grave menace pour la sécurité, non seulement du Rwanda mais de toute la région». Tandis qu’à la réunion du Conseil de sécurité des Nations-Unies consacrée à la résurgence des affrontements entre les FARDC et le M23, Claver Gatete, délégué du Rwanda à l’ONU a accusé les militaires congolais de combattre aux côtés des FDLR et rejeté l’étiquetage des membres du M23 comme rwandais. De même qu’il brandi l’éternel argument génocidaire qui fait le lit de l’apathie de la communauté internationale vis-à-vis des crimes commis par Kigali en RDC. «Il se remarque la résurgence flagrante du discours de haine anti-Rwanda et des appels au génocide qui seraient encouragés par certains fonctionnaires et politiciens en RDC. Le Conseil et la communauté internationale ne sauraient rester silencieux, compte tenu de ce qui s’est passé au Rwanda en 1994», a-t-il déclaré.
Prétexte génocidaire
Sans renier le génocide qui a vu périr quelques 800 civils tutsis et hutu modérés au Rwanda, en RDC l’argument ne porte plus, surtout s’il ne tient pas compte du nombre de victimes congolaises corollaires de cette sauvagerie venue d’ailleurs.

Elles se chiffrent à près de 10 millions d’âmes, soit le nombre de victimes rwandaises multiplié par 10 ou 11. D’autant plus que l’argument FDLR qui le soutient paraît de plus en plus fallacieux. Au cours d’un point de presse conjoint au ministère de la Communication à Kinshasa, le général Léon-Richard Kasonga, porte-parole des FARDC, a catégoriquement rejeté les allégations selon lesquelles les FARDC collaborent avec les FDLR. Comme la LRA et d’autres forces négatives, les FDLR ont déjà été défaites à l’Est de la RDC et ne représentent nullement une menace, ni pour la RDC ni pour leur pays d’origine, le Rwanda. «On peut encore rencontrer 10, 8, 9 éléments de cette rébellion à un endroit ou à un autre à la recherche de la nourriture ou des médicaments pour leur survie, mais pas une organisation capable de troubler l’ordre public, y compris chez nous», avait assuré l’officier général FARDC lundi 30 mai à Kinshasa. Pour appuyer ces affirmations, Léon-Richard Kasonga relève qu’aucune attaque FDLR contre le Rwanda n’a été enregistrée depuis plus de 10 ans.
Tension extrême
Jusque mardi 31 mars 2022, la tension entre Kinshasa et Kigali demeurait vive. Convoqué comme prévu au ministère des Affaires étrangères à Kinshasa, l’ambassadeur du Rwanda en RDC, Vinçent Karega, s’est fait remettre la protestation et la désapprobation officielles du gouvernement congolais des mains d’Eve Bazaîba, vice-première ministre et ministre de l’Environnement assurant l’intérim de son collègue Christophe Lutundula en mission.
Ainsi qu’il sied en pareille circonstance, Patrick Muyaya, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement s’employait à tempérer certaines ardeurs. «Nous ne pouvons pas fermer toutes les options de discussions, mais à condition que ceux qui veulent discuter viennent avec un esprit sincère», expliquait-il le 30 mai au cours d’un briefing conjoint avec les porte-parole de l’armée et de la police à Kinshasa. «Même les Russes et les Ukrainiens continuent de se parler et c’est par l’Ukraine que les Russes fournissent le gaz à l’Europe. Et nous, cette situation ne nous écartera pas de la voie royale que nous avons choisie», ajoutait-il.
Initiatives diplomatiques
En réalité des diplomates s’affairaient déjà à éteindre le feu qui menaçait d’embraser pour la énième fois la région de l’Afrique centrale. Lundi 30 mai, le président sénégalais Macky Sall qui occupe la présidence tournante de l’Union africaine s’était entretenu de la situation sécuritaire à l’Est de la RDC avec ses homologues Congolais et Rwandais, invitant à l’occasion l’Angolais Joao Lourenço à poursuivre les efforts de médiation pour une solution pacifique du différend entre les deux Etats.
Mardi 31 mai, un pas était franchi avec le consentement de Kinshasa à libérer les deux militaires rwandais capturés au front de Rutshuru et réclamés par Kigali. C’était au terme d’un bref séjour à Luanda à l’invitation de l’Angolais Joao Lourenço, qui assure la présidence tournante de la CIRGL. Cet accord obtenu, le président angolais s’est ensuite entretenu avec son homologue Paul Kagame du Rwanda par visioconférence, selon la presse angolaise qui assure que «ces discussions visent à aider à réduire la tension entre les deux pays voisins». Félix Tshisekedi et Paul Kagame sont attendus dans les prochains jours à Luanda, selon la même source.
Concession à Kinshasa
De même qu’à la suite de la réunion du Conseil de sécurité du 31 mai qui a recommandé le recours à des voies pacifiques dans la résolution du conflit de l’Est rd congolais, Huang Xia, envoyé spécial du secrétaire général des Nations Unies dans les Grands Lacs a entamé mercredi 1er juin une tournée régionale pour apaiser les tensions et baliser le chemin du prochain conclave de Nairobi.
Néanmoins, Kinshasa demeure campé sur certaines de ses positions. Le 31 mai à la réunion du Conseil de sécurité des Nations-Unies, Christophe Lutundula a déclaré que la RDC n’acceptera plus ni brassage ni mixage des éléments issus des rébellions. De même qu’elle ne procèdera plus aux distributions des fonctions politiques sans passer par le processus démocratique, deux conditions généralement posées par les groupes armés et les rebelles, dont le M23. Alors qu’un jour plus tôt, son collègue de la communication excluait toute négociation avec les rebelles du M23 désormais considéré comme un groupe terroriste. «L’attitude multirecidiviste du M23 l’expose à subir la force. Vouloir la paix ne signifie pas être naïf, vouloir la paix ne signifie pas être prêt à tout tolérer», avait-t-il déclaré en substance. Une position qui ne devrait pas contenter la communauté internationale qui ne cache pas son penchant pour les négociations avec les forces dites négatives.
Mercredi 1er juin, la représente spéciale du secrétaire général des Nations-Unies et cheffe de la mission onusienne en RDC, Bintu Keita déclarait encore que «nos efforts doivent se poursuivre pour régler le problème M23 une bonne fois pour toutes». Ce qui, selon elle, passe par une réponse militaire ferme à toute provocation ou attaque, mais aussi par une réponse politique à travers laquelle «chacun s’engage de bonne foi».
Après 28 ans de violences et d’atrocités contre ses populations civiles, la RDC de Félix Tshisekedi semble peu disposé à continuer à croire aux engagements rebelles de «bonne foi».
Wait and see.
J.N.