Dans une salle comble du Show Buzz à Kinshasa, le sénateur Matata Ponyo a procédé mardi 3 mai 2022 à la clôture du 1er congrès de son tout nouveau parti, Leadership et gouvernance pour le développement (LGD), dont la création avait été annoncée quelques jours plus tôt. A l’occasion, l’ancien 1er ministre de Joseph Kabila a annoncé sa candidature à la présidentielle de 2023 en RDC. Selon Matata, 58 ans, sa candidature est motivée par «l’instabilité et la précarité dans laquelle végète le pays et qui nécessite l’instauration d’un leadership et une gouvernance de qualité».
Le challenge que s’offre ainsi ce natif de Kindu en province du Maniema (environ 2 millions d’âmes sur 132.250 km2, soit 2,71 % de la population de la RDC) paraît abordable sur papier. Sans plus.
L’ancien 1er ministre est titulaire d’un doctorat en Sciences économiques de l’Université Protestante du Congo (UPC) obtenu en 2018 après que l’Université de Kinshasa eût refusé de recevoir sa thèse pour cause d’énervement de certains principes et normes académiques en la matière.
Expérience
Augustin Matata n’est pas dépourvu d’expérience dans la gestion des affaires de l’Etat. Loin s’en faut. Outre une carrière scientifique à l’ombre du célèbre monétariste Tshiunza Mbiye, récemment décédé, qui lui permit de se familiariser avec l’analyse macro-économique et la conduite des politiques budgétaires ainsi que les questions de développement, l’homme avait fourbi ses armes à la Banque centrale du Congo (BCC) de 1988 à 2000. A ce titre, il avait bénéficié de plusieurs stages de perfectionnement à travers le monde, particulièrement à la Banque de France et au Fonds monétaire international (FMI).
Ainsi armé, Matata devint conseiller en matière des relations avec les institutions internationales au ministère des Finances entre 2000 et 2003 avant d’oeuvrer à la création du Bureau central de coordination (BCECO) dont il deviendra directeur général pendant 7 ans (2003-2010). En février 2010, l’ancien président Kabila lui confiera les commandes du ministère des Finances jusqu’à sa nomination comme 1er ministre en avril 2012 après avoir frôlé la mort dans un crash d’avion à l’aéroport de Kavumu à Bukavu.
Le LGD, son parti politique a été lancé fin avril 2022, au milieu du tumulte judiciaire à charge de son fondateur, qui assure ambitionner de redonner grandeur et dignité à la RDC et à l’Afrique.
L’ancien 1er ministre révèle que ses ambitions présidentielles se fondent dans le droit fil des icônes politiques congolaises que sont Lumumba, Mobutu, les Kabila père et fils ainsi que Etienne Tshisekedi et plus loin, le Sud-africain Nelson Mandela. Sans prendre en compte les différences et les contradictions qui ont émaillé la praxis politique de ces grandes personnalités. «Associer Mobutu, un dictateur à nul autre pareil, à Lumumba, Nelson Mandela ou Etienne Tshisekedi relève de la pure hérésie politique», observe à cet égard un professeur des sciences politiques de l’UNIKIN, l’université qui a décerné ses titres académiques de base à Mapon. Tout comme «associer Mobutu à Tshisekedi qui demeure dans la mémoire de tous les Congolais comme celui qui a opposé la plus vive résistance au pouvoir dictatorial de l’homme du 24 novembre 1965 est une incurie», avance l’interlocuteur du Maximum.
A l’évidence, le patron du LGD a péché par un véritable raccordement frauduleux dans le but de s’attirer la sympathie du plus grand nombre de ses compatriotes.
Amalgames au show au Show Buzz
Si la foule mobilisée, à grand renfort de billets de banque comme le font la plupart des formations politiques rd congolaises, pour remplir les travées du Show Buzz mardi dernier a applaudi à tout rompre la vedette du jour, l’opinion générale en RDC reste pour sa part sceptique.

Sur les réseaux sociaux, les réactions à l’événement de mardi au Show Buzz et aux propos de l’ancien 1er ministre sont loin d’être unanimes. Le même mardi, un internaute a déploré le fait que «c’est seulement au Congo qu’on voit un gestionnaire public poursuivi pour détournements ovationné par un public stipendié». Un autre a interpellé d i r e c t e m e n t Augustin Matata : «durant 4 ans et 6 mois vous avez été 1er ministre mais incapable d’atteindre un budget de 10 milliards USD, de pacifier l’Est de la RDC. Vous avez étouffé l’Inspection général des finances et la justice en les privant des moyens de fonctionner».
L’inventaire de ces prises de position anti-Mapon n’est pas exhaustif.
A l’évidence, c’est l’affaire Bukangalonzo du nom d’un emblématique projet agro-pastoral dans la province du Kwango à quelques encablures de la capitale qui entache le plus l’image et la crédibilité du nouveau candidat au ‘‘top job’’ en RDC. «Après avoir détruit le pays, qu’avez-vous oublié de détruire. Il vous faut combien de Bukangalonzo ?», a tweeté une internaute enragée mercredi 4 avril dans la journée, pendant qu’on découvrait dans un autre posting le rêve d’un Congolais anonyme «de voir la justice réussir à condamner ceux qui comme Matata sont impliqués dans le détournement des fonds affectés au projet Bukangalonzo».
Sur le sujet, l’ancien 1er ministre semble être allé un peu vite en besogne en s’en prenant particulièrement au pouvoir tshisekediste en place, coupable à ses yeux des poursuites judiciaires dont il fait l’objet.
Bukangalonzo
Le principal boulet que traîne Matata Ponyo du fait de sa gestion des affaires de la République est sans doute ce retentissant fiasco du projet agro-pastoral de Bukangalonzo. Une véritable débâcle à la dimension des prétentions et de la propagande dont cette initiative fut entourée par ses soins.
L’affaire Bukangalonzo, ce n’est pas à proprement parler l’Union sacrée de la Nation et Félix Tshisekedi qui la déterrent. C’est l’ancien 1er ministre FCC, Sylvestre Ilunga Ilunkamba qui, après une mission d’itinérance au Kwango, s’était ému de l’extraordinaire gâchis du projet qui semblait avoir été bâclé, techniquement et financièrement : la conception du projet dont Matata Ponyo n’avait jamais arrêté de se vanter ; le choix d’un partenaire n’offrant aucune garantie, ni technique ni financière; la conclusion de contrats de gré à gré suivis d’ordres de paiements en faveur dudit partenaire pour plus de 100 millions USD. Des anomalies auxquelles il faut ajouter quelques millions USD affectés aux cérémonies grandioses de lancement du projet et à la communication en faveur de ses initiateurs. «Matata comptait déjà entrer dans l’histoire de la RDC et se positionner en dauphin de l’alors président de la République, Joseph Kabila», constate un confrère en ligne.
Dans le fond, le projet était vicié. Par l’absence d’une étude fiable de faisabilité technique, financière et environnementale. Même le choix du site était hasardeux, la structure des sols à l’endroit étant peu propice à une agriculture intensive envisagée, sans compter des paysans propriétaires terriens de Bukangalonzo, dépouillés de leurs sources de production et convertis du jour au lendemain en potentiels chômeurs ou ouvriers.

Ilunga Ilunkamba à la baguette
Le rapport de l’IGF qui cloue Matata Ponyo au pilori au sujet de Bukangalonzo, c’est donc le professeur Sylvestre Ilunga Ilunkamba, alors 1er ministre issu du FCC, la même famille politique que le nouveau candidat président de la République vient de quitter qui l’a commandé.
Il a chargé Jules Alingete Key, inspecteur-général des finances chef de services, de s’assurer que les fonds publics avaient été utilisés à bon escient, conformément aux règlements et aux lois. Mais aussi de déterminer les causes et les responsabilités en cas de mauvaise utilisation en revisitant la conception et l’affectation de plus de 150 millions USD liés au projet. Les dés étaient jetés.
Mardi dernier au Show Buzz, c’est donc un acteur politique objet de poursuites judiciaires qui s’est pavané devant un auditoire acquis à la cause de sa puissance financière plus que politique.
Des médias rapportent que mercredi 4 mai 2022, le procureur général près la Cour de cassation, Victor Mumba, a transmis le dossier Bukangalonzo pour fixation auprès de l’instance habilitée, après que la Cour constitutionnelle se fut déclarée incompétente pour juger l’ancien 1er ministre ès qualité. «Il ne s’agit nullement d’une disculpation», explique au Maximun un professeur de droit de l’UNIKIN qui précise que «même si, protégé par la loi et ses immunités, Matata Ponyo échappe à la condamnation par la justice de son pays, divers intervenants dans ce projet en paieront les frais et les intérêts de la société seront saufs».
Candidature-cuirasse
En se lançant de manière aussi téméraire dans l’arène politique en qualité de candidat à la présidentielle, Matata Ponyo semble donc vouloir renforcer la cuirasse que lui assure sa qualité d’ancien 1er ministre devenu sénateur pour se mettre à l’abri des poursuites judiciaires.
Il l’a reconnu mezzo vocce mardi dernier, en révélant avoir «refusé d’intégrer l’Union sacrée de la Nation de Félix Tshisekedi et de renoncer à ses ambitions à la prochaine présidentielle», ajoutant dans un tonnerre d’applaudissement de ses laudateurs que «pour m’abattre politiquement, la machine politico-judiciaire a été mise en marche. Le parquet près le cour constitutionnelle s’y est employé, mais la cour constitutionnelle a dit non à l’injustice. Le parquet près la cour de cassation vient de confirmer la décision de la cour constitutionnelle. Vive le bon droit». Sans parvenir à occulter les faits, qui demeurent têtus.
Les poursuites contre le nouveau candidat président de la République ont été lancées longtemps avant la création de l’Union sacrée de la nation en mars 2021.
LE MAXIMUM