En matière de contrôle des finances et des biens publics en RDC, ce n’est plus la même situation depuis près d’un an. Certes, il serait présomptueux de prétendre que ce pays, classé parmi ceux où les pratiques de corruption sont les plus endémiques à travers le monde, s’est tiré d’affaire. Loin s’en faut. Selon le classement de Transparancy International de janvier 2022, le pays de Félix-Antoine Tshisekedi occupait la 169ème place sur 180 pays cotés et s’en tirait avec 19 points sur 100, contre 18 points l’année précédente, engrangeant un petit point de plus.
Des signaux encourageants ont apparu depuis plusieurs mois, avec les dénonciations, les interpellations, voire, les sanctions politiques et judiciaires contre des acteurs politiques et des gestionnaires publics jugés naguère intouchables. Qu’on le veuille ou pas, Kinshasa doit cette évolution de la situation à la consolidation significative d’un service de surveillance et de contrôle de l’usage fait des deniers publics, l’Inspection Générale des Finances (IGF).
Certes, ce service a toujours existé au pays de Lumumba. Il tire ses embryons de la lointaine période coloniale, à la création de l’Etat Indépendant du Congo. En effet, un décret royal de 1885 stipulait déjà que « les fonctions de contrôleur de la comptabilité pourront être conférées par le Gouverneur Général du Congo, à des agents de l’Etat qui seront chargés, en cette qualité, d’inspecter de temps en temps les livres et la caisse des agents-comptables d’après les instructions que leur tracera le directeur des finances ».
Corruption endémique
De 1885 à ce jour, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. La corruption a atteint des proportions inimaginables, au point de plomber littéralement le développement du pays continent que s’était octroyé le souverain belge Léopold II aux termes d’accommodements à la limite … du corrompu avec des partenaires peu regardant du vieux continent.
62 ans après son accession à la souveraineté nationale et internationale, la RDC, comme beaucoup d’autres Etats africains, n’a pas arrêté de courir éperdument pour se réapproprier son destin. «Sur 100 USD décaissés pour les travaux d’intérêt public, seulement 20 USD arrivent à destination et sont retraçables », explique à un parterre de journalistes kinois Jules Alingete Key, l’Inspecteur Général des Finances-Chef de service, nommé par le nouveau chef de l’Etat de la RDC, Félix Tshisekedi, en juillet 2020. Par rapport aux pays réputés les moins corrompus de la planète, la Norvège et l’Australie, c’est l’envers de la médaille : pour le même montant affecté aux travaux d’intérêt public, ce sont 80 USD qui arrivent à destination, contre seulement 20 non retraçables. Impossible, donc, de relancer la machine du développement et de l’émergence de la RDC sans prendre le taureau par les cornes. Parce que la corruption et l’impunité y ont poussé des tentacules difficiles à déraciner sans une thérapie de choc.
Déplacer le curseur
Le président Tshisekedi qui en était manifestement persuadé a confié la mission de déminage à quelques services étatiques, dont l’IGF. L’ancien corps des inspecteurs des finances successeur des « agents de l’Etat nommés par le Gouverneur Général » de l’époque colonial relève de la présidence de la République depuis 2009. Le successeur de Joseph Kabila qui a promu deux ‘enfants maison’, les inspecteurs généraux des finances Jules Alingete et Victor Batubenga, ne s’est pas fait prier pour approuver la stratégie en mode électrochoc lui proposée par ce duo : déplacer le centre des enquêtes et contrôles des exécutants (comptables, gestionnaires divers …) vers les décideurs (ministres, gouverneurs, DG etc.) et révolutionner la périodicité desdits contrôles. Une véritable épée de Damoclès suspendue sur la tête des gestionnaires indélicats des deniers publics, pour la première fois dans l’histoire de la RDC.
De « gendarme des finances publiques », l’IGF s’est ainsi muée en une sorte de Terminator pour les prédateurs des fonds et biens de l’Etat, ce qui permet de juguler tant soit peu le mal, enfoui dans les profondeurs de l’inconscient et du subconscient de plus d’un Congolais.
Augmentation des recettes
La stratégie se révèle on ne peut plus payante, à la lumière de l’augmentation impressionnante des recettes du Trésor public depuis l’avènement d’Alingete à la tête de l’IGF. Au 31 décembre 2021, les recettes générales se sont chiffrées à 943,7 milliards CDF, soit 132 % par rapport aux prévisions budgétaires initiales. Parce que chiffrées à 300 millions USD/mois en 2020, ces recettes ont atteint 450 millions/mois dès 2021. A raison de 255,5 milliards CDF (sur 235,1 millions CDF prévus) de la DGDA ; 531,6 milliards (sur 339,1 milliards CDF prévus) de la DGI ; et, 156,5 milliards CDF (sur 142 milliards CDF prévus) de la DGRAD.
Mais elle n’en suscite pas pour autant que des émules, aussi surprenant que cela puisse paraître. En raison d’inerties, elles aussi enfouies aux tréfonds des pratiques économiques et sociales de gestion.
Début 2021, la société nationale d’électricité, SNEL, accusait l’IGF de violer les textes et règlements de l’OHADA, de prolonger indéfiniment la durée de ses missions de contrôle et de s’impliquer directement dans la gestion courante de l’entreprise. Avant cela, début avril 2020, la division exploitation du département de distribution en provinces de cette entreprise du portefeuille de l’Etat avait vigoureusement protesté contre l’opposition de l’IGF à une mission de dépannage à Lubumbashi, les fins limiers d’Alingete estimant que le démembrement de la SNEL dans la capitale cuprifère disposait de compétences requises quant à ce, et que la sortie des fonds sollicitée ne se justifiait guère.
On peut rappeler en outre l’interpellation suivie de l’incarcération de membres du cabinet du ministre UDPS de l’Enseignement primaire, secondaire et technique, pour surfacturation des dépenses relatives à une activité sportive scolaire panafricaine financée par le Trésor public.
Ton pied mon pied
Pour enrayer les pratiques corruptrices et les antivaleurs qui se sont cristallisées dans les us et coutumes politiques et économiques en RDC, l’IGF ne se contente plus de missions et enquêtes à posteriori dont les rapports encombrent les tiroirs de diverses autorités administratives, souvent sans suites, consacrant ainsi une impunité aussi généralisée que le mal décrié.
Le contrôle à posteriori, qui n’intervient qu’à la fin de l’exercice budgétaire ou comptable a quasiment été remplacé par les contrôles concomitants et à priori. Cela gêne énormément aux encolures.
« Ton pied-mon pied », explique Jules Alingete aux médias, pour illustrer le contrôle concomitant mis en oeuvre auprès des différents gestionnaires des deniers publics au sein des entreprises relevant de l’Etat. « En raison du degré des antivaleurs dans notre société, nous sommes obligés d’imposer des contrôles au même moment que les actes de gestion sont posés », a-t-il martelé. Il a expliqué que cette méthode a prouvé son efficacité avec les résultats obtenus suite à l’accompagnement d’un certain nombre d’entreprises et même d’entités décentralisées, à l’instar de la Banque Centrale du Congo, les provinces du Lualaba et de Kinshasa, entre autres. « Des hémorragies financières se sont estompées et des malversations financières arrêtées. Désormais on parle de la transparence et de l’orthodoxie dans la gestion des fonds publics », a renchéri de son côté, Victor Batubenga, le numéro 2 de l’IGF.
Comptes positifs
A l’exception notable de l’ONATRA, dont le PCA a été placé sous mandat d’arrêt provisoire par la justice pour faits de mégestion, toutes les entreprises étatiques objet de contrôle concomitant ont apuré les arriérés de salaires et affichent des comptes financiers reluisants.
C’est le cas de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) dont la trésorerie est passée de 204 millions USD à 314 millions USD en six mois et du Fonds National d’Entretien Routier (FONER) où les recettes ont atteint 21,9 millions USD contre des prévisions de 9,4 millions en octobre dernier.
Quant au contrôle à priori, il intervient avant que ne soit posé l’acte de gestion : « les inspecteurs des finances sont affectés à la BCC où ils contrôlent toute sortie des fonds et peuvent ainsi suivre celles qui leur paraissent suspectes », renseigne Alingete. Cette méthodologie, appliquée notamment par le refus d’autoriser le décaissement de frais de mission qui ne se justifient pas (cas de la SNEL ci-dessus), a permis de bloquer le coulage à la source de plusieurs millions de dollars.
Le nouveau style des enquêtes de l’IGF aura donc permis de responsabiliser les décideurs (membres du gouvernement, mandataires publics, gouverneurs des provinces) qui sont les vrais gestionnaires en RDC. Et ce, dans la plus stricte légalité, parce que l’IGF dispose d’une compétence générale en matière de contrôle des finances et des biens publics.
A ce titre, elle est fondée à vérifier et contrôler toutes les opérations financières de l’Etat, des entités administratives décentralisées, des établissements publics et organismes paraétatiques ainsi que des organismes ou entreprises de toute nature bénéficiant des apports financiers publics sous une forme de participation en capital, de subvention, de prêt, d’avance ou de garantie. Tous sont visés, nul n’en réchappe.
LE MAXIMUM