Ce n’était donc pas une de ces rumeurs dans lesquelles se délectent les internautes congolais de tous bords. Ni une querelle de palais à la présidence. A en croire le communiqué lu sur la RTNC le 8 février 2022 par le porte-parole du chef de l’Etat, Kasongo Mwema, la désormais célèbre affaire François Beya, du nom du conseiller spécial en matière de sécurité du président Félix Tshisekedi est une réalité.
Interpellé et placé en garde à vue à l’ANR depuis samedi dernier, le premier flic de la République a à répondre de questions relatives à la sureté de l’Etat. Après plusieurs jours de silence, la présidence s’est permis de déroger au principe selon lequel en matière pénale, l’instruction pré-juridictionnelle est secrète. «Les enquêteurs disposent d’indices sérieux attestant d’agissements contre la sécurité nationale», avait précisé le porte-parole du président, ajoutant que «les indices sont suffisamment sérieuses et ne doivent pas donner matière à d’autres considérations de type tribal, clanique ou régional». Kasongo Mwema a invité la population à la vigilance et à «éviter de donner crédit aux spéculations mensongères diffusées par des personnes malintentionnées dans les médias et sur les réseaux sociaux».
Pas n’importe qui
La mise au point de la présidence de la République sur ce dossier délicat valait son pesant d’or. Parce qu’en RDC, le conseiller spécial en matière de sécurité du chef de l’Etat n’est pas le premier venu. Sous la deuxième République du défunt maréchal Mobutu, le «spécial» Seti Yale et son Conseil national de sécurité (CNS) avaient autorité sur tous les services de renseignement du pays.
François Beya Kasonga, originaire du Kasaï central, cueilli et interrogé par un commando emmené par l’administrateur général de l’ANR Jean-Hervé Mbelu Biosha et le général Hugo Ilondo, commandant en place des FARDC pour la ville -province de Kinshasa, la thèse d’une guerre de clans sur fond d’atavismes régionaux avait envahi les médias et réseaux sociaux, aussitôt l’information connue. Une photo présentant le puissant patron du CNS en bras de chemise, pieds nus, affalé dans un canapé de bureau, devenait virale sur la toile, portant un coup au professionalisme des renseignements généraux rd congolais.
Mais même dans ces conditions, le sérieux et la solennité du communiqué de Kasongo Mwema ont permis de démontrer la gravité de la situation. «Le processus démocratique amorcé dans notre pays par la première passation pacifique du pouvoir en janvier 2019 est un acquis sacré à préserver à tout prix. Aucune tentative de déstabilisation de nos institutions démocratiques ne sera tolérée», ponctuait-il, laissant ainsi germer dans les esprits l’idée d’un coup de force déjoué. S’il était donc question de préserver les acquis de la passation pacifique du pouvoir, c’est qu’ils avaient été peu ou prou menacés. Avec la complicité du n° 1 du CNS ? D’aucuns semblent ne pas entretenir le moindre doute là-dessus, même si les enquêteurs se montrent peu diserts à ce sujet.
Passé professionnel
Tombent ensuite, à la cadence d’une pluie torrentielle, les informations sur l’ancien patron de la Direction générale de migration (DGM), nommé conseiller spécial en matière de sécurité par une ordonnance du président Félix Tshisekedi datée du 2 février 2019, soit un mois seulement après son avènement. L’homme a fait ses premières armes dans les services de sécurité sous Mobutu en qualité notamment de proche collaborateur du tout puissant Jean Seti Yale au Centre national de documentation (CND). Par la suite, il a gravi les échelons pour être appelé à la tête de la DGM par le président Joseph Kabila avec qui il a gardé le contact, facilitant une transition civilisée entre ce dernier et son successeur Félix-Antoine Tshisekedi. Ce fait semble nourrir les supputations d’«accointances coupables avec la kabilie» que certains commentateurs mettent en exergue pour l’accuser d’être un agent double.
Ce sécurocrate compétent et débonnaire bénéficiait par ailleurs d’un important réseau de relations sur le continent africain et à travers le monde. En République Centrafricaine voisine, le président Archange Touadéra qui était un de ses amis appréciait particulièrement l’entregent de Beya qui lui aurait ouvert un certain nombre d’horizons pour stabiliser son régime.
Relations suspectes à l’étranger
Seulement, l’homme fort de Bangui qui doit son exceptionnelle résilience face aux mouvements rebelles déstabilisateurs du continent à la Russie de Vladimir Poutine n’est en odeur de sainteté auprès de certains milieux occidentaux. Les oligarques proches du président russe comme Evgueni Prigojine, dont on dit qu’il possède de juteux intérêts dans le diamant centrafricain sont accusés par la France notamment d’avoir doté le régime Touadéra d’unités combattantes composées de mercenaires de la société de sécurité Wagner qui donnent des sueurs froides à l’Hexagone.
Le conseiller spécial ès sécurité de la RDC aurait-il traficoté avec ces mercenaires venus des berges de l’Oural pour s’implanter au pays de Boganda avant de déferler sur le Mali ? Les spéculations qui vont bon train à ce sujet pourraient expliquer un certain nombre de griefs portés à charge de François Beya.
Avalanche de coups d’Etat
D’autant plus que sur le continent, l’air semble être aux coups de force labelisés Wagner. Au Mali, où un coup d’Etat a porté au pouvoir le colonel Assimi Goïta, les ‘‘experts’’ en sécurité russes de Wagner combattent désormais aux côtés des forces gouvernementales contre l’hydre djihadiste au grand dam des Occidentaux, Américains y compris. Au Burkina Faso, un autre militaire, Paul-Henri Sandaogo Damiba, a pris le pouvoir le 24 janvier 2022 après avoir arrêté le chef de l’Etat élu, Roch Marc Christian Kaboré. Là aussi, des sources assurent que Wagner, dont le patron s’était publiquement réjoui du changement intervenu, n’est sûrement pas loin. La contagion n’était donc pas à exclure d’emblée.
Le porte-parole du président Tshisekedi n’a pas convaincu du contraire dans sa communication lorsqu’il a annoncé la poursuite des enquêtes ‘‘à divers niveaux’’. Il s’ensuit comme un vent de panique dans la classe politique à Kinshasa. Où on renifle des complices à chaque coin de rue.
Des internautes ont ainsi, sans la moindre élaboration, fait état de soupçons qui pèseraient sur le speaker du Sénat, Modeste Bahati Lukwebo, pour l’unique raison qu’il est le dauphin putatif du président de la République.
Des noms de ses ‘‘complices’’, tous dignitaires de l’ancien régime, qui se seraient réunis dans la ville haute pour peaufiner le complot circulent sur la toile.
Comme pour leur clouer le bec, le n° 1 de la chambre haute du parlement a convoqué, toutes affaires cessantes mercredi 9 février une réunion des sénateurs membres de l’Union sacrée de la Nation (USN), la plateforme de Félix Tshisekedi qui a débouché sur une déclaration de soutien au président et aux institutions de la République pour se rassurer et rassurer.
LE MAXIMUM