Les relations, plutôt tumultueuses ces derniers mois, entre certains princes de l’église catholique romaine et le pouvoir en place à Kinshasa, ont connu un peu de répit depuis quelques jours. En l’espace de 24 heures, la semaine dernière, les représentants des institutions de la République, en ce compris le chef de l’Etat et les évêques catholiques se sont rencontrés pour tenter d’aplanir le différend qui les oppose. Avec des succès mitigés.
Le 25 novembre 2021 à l’archevêché de Kinshasa, le cardinal Fridolin Ambongo, chef de file d’un groupe d’évêques de la CENCO résolument hostiles au président Tshisekedi, a reçu une délégation des responsables des institutions nationales conduite par le président de l’Assemblée nationale. La rencontre s’inscrivait manifestement dans le cadre de l’audience sollicitée auprès du chef de l’Etat au nom des confessions religieuses catholique et protestante par l’archevêque métropolitain de Kinshasa. Le lendemain, la même délégation est allée cette fois à la rencontre du président de l’ECC qui a engagé les protestants dans les rangs de l’opposition au pouvoir depuis son arrivée à la tête de cette confession religieuse.
Selon certains observateurs, la méfiance entre les églises dites traditionnelles de la RDC et l’Etat congolais représenté par Félix Tshisekedi sera demeurée intacte parce qu’en déléguant des représentants dialoguer avec les catholiques et les protestants, le chef de l’Etat réservait en réalité une fin de non-recevoir à l’audience sollicitée par ces derniers pour s’entretenir d’un dossier qu’il avait dûment clos en formalisant la désignation du nouveau président de la CENI, pomme de discorde aussi bien entre les 8 confessions religieuses chargées de sa désignation qu’avec les instances qui ont entériné puis formalisé la nomination de Denis Kadima.
Dialogue
C’est donc pour ne pas rompre irrémédiablement les amarres que Félix Tshisekedi a consenti vendredi 26 novembre, à recevoir en format élargi les évêques catholiques (ils étaient au nombre de 18 !) de la CENCO, affublés du représentant du Pape François en RDC, le Nonce Apostolique, Mgr Ettore Balestrero.
Au sortir d’une session extraordinaire du comité permanent qui les avait réunis du 23 au 25 novembre au Centre caritas de Kinshasa, les évêques avaient tenu à échanger avec le président de la République autour des recommandations, «pastorales» aux dires de l’Abbé Nshole, leur porte-parole, contenues dans un mémorandum rédigé à son intention.
A l’issue de l’audience présidentielle, le président de la CENCO, Mgr Marcel Utembi a rapporté aux médias que leurs Excellences avaient notamment fait part à Félix Tshisekedi de la contribution positive des évêques à travers des propositions pour accompagner le processus électoral et sur l’état de siège en vigueur au Nord-Kivu et en Ituri.
Tout semblait donc pouvoir aller pour le mieux, dans l’intérêt supérieur des fidèles catholiques et de la population congolaise dans son ensemble, parce qu’ainsi, il semblait que les princes de l’église catholique s’extirpaient des sentiers de la confrontation partisane et privilégiaient désormais l’intérêt général, c’est-à-dire, l’organisation au mieux des élections démocratiques en RDC. D’autant plus qu’à l’occasion, Mgr Utembi assurait qu’«il était temps de tourner la page du passé et de se projeter vers l’avenir avec espoir et foi en toute sérénité». Semblait ainsi définitivement tournée, la page du bras de fer sur la désignation du président de la CENI: «le processus électoral, c’est une dynamique, il y a une étape qui a déjà été franchie, il y a un temps pour tout, un temps pour réfléchir, un temps pour se quereller et un temps pour se concerter, un temps pour être réaliste, un temps pour prendre des décisions, l’important c’est d’aller de l’avant. Nous avons d’autres éléments de ce processus électoral qui nous engage l’église, l’État et d’autres partenaires comme par exemple l’éducation civique électorale, il y a aussi la mission d’observation électorale qui viendra mais il ne faut pas attendre 2023 pour en parler, ce mécanisme doit être déclenché dès aujourd’hui donc c’est cela les points autour desquels nous pouvons fédérer, mutualiser nos forces pour aller de l’avant afin de d’atteindre cet objectif qui consiste à assurer le bien-être du peuple congolais et à choisir des personnes idoines qui seront en mesure de répondre aux différents problèmes du peuple congolais», ponctuait le président de la CENCO.
Méfiance
Mais le rêve du rétablissement des rapports mielleux entre la CENCO et le pouvoir temporel en RDC s’est brisé en moins de 24 heures, lorsque le porte-parole des évêques catholiques, Donatien Nshole, a confié aux médias que «les propos de Mgr Utembi ont été saucissonnés et ça a mis les évêques mal à l’aise». Au cours d’un point de presse pour rétablir les «vérités cléricales», le 29 novembre au Centre interdiocésain de Kinshasa, le porte-parole de la CENCO s’est employé à rafistoler le saucissonnage en annonçant la suspension par l’église catholique de sa participation à la composante Confessions religieuses chargée de désigner le président de la CENI pour le compte de la société civile, et en prenant quelque distance avec les partis politiques auxquels elle s’était un peu trop rapprochée ces dernières années. «La CENCO est un corps pastoral. Ce n’est pas un parti politique, ce n’est pas non plus un corps de militants. Les évêques s’engagent à accompagner le processus par des orientations pastorales», se seraient ainsi, finalement, souvenus des évêques catholiques, qui en étaient arrivés à «louer» les lieux cultuels et de prière à des hordes combattantes depuis quelques années. «Il ne faudra pas que les partis politiques se cachent derrière l’Eglise. Ce ne sont pas les évêques membres de la CENCO qui vont s’aligner derrière un parti politique», avait encore martelé le Révérend Nshole.
Le porte-parole de la CENCO a également fait état des conditions posées par les évêques pour assurer leur collaboration à Félix Tshisekedi, qui apparaissent comme un véritable chemin de croix pour le successeur de Joseph Kabila. Parce qu’elles portent sur les réformes de la loi électorale, qu’on ne peut modifier sans le concours du parlement et sans retomber dans le piège combien nihilisant pour le chef de l’Etat, d’empiéter sur les délais constitutionnels relatifs à la tenue des prochaines élections. «Si les recommandations que la CENCO a faites aux autorités compétentes sont acceptées, on pourra trouver un consensus … et si dans ce consensus on pense qu’on peut avancer avec le candidat Denis Kadima … on avancera», avait déclaré l’Abbé Nshole au cours du point de presse du lundi 29 novembre à Kinshasa.
Conditionnalités
L’aveu est sans appel : il n’y a donc pas encore de consensus entre l’église catholique et le pouvoir, tshisekediste. Et il n’y en aura que lorsque le chef de l’Etat consentira des «réformes consensuelles» de la loi électorale incluant «des mécanismes qui rassurent toutes les parties prenantes. Donc si dans le cadre de ces réformes consensuelles souhaitées par la CENCO les gens sont rassurés, avec ou sans Kadima, le problème serait résolu», a encore souligné Nshole au nom de la CENCO.
Les conditionnalités cléricales se clarifient encore mieux lorsque Nshole les résume sous une expression empruntée à Lamuka aile Fayulu : la dépolitisation de la CENI (sans le consentement des acteurs politiques congolais !).
Il s’agit plus précisément du «renforcement de l’indépendance des membres du bureau de la CENI ainsi que la désignation des personnes apolitiques dans l’administration de la CENI». Notamment, le secrétariat exécutif national, les secrétariats exécutifs provinciaux et les antennes locales, selon les évêques catholiques, qui dévoilent ainsi leur ambition de faire main basse sur le processus électoral. Carrément.
«Ces recommandations ont été faites dans le sens d’arriver à rassurer les uns et les autres. Si toutes les parties prenantes sont rassurées, le dossier est clos», s’était permis de trancher péremptoirement, lundi dernier, le porte-parole des évêques, relançant ainsi les hostilités en réalité.
La CENI ou rien
Certains observateurs notent, en effet, que les catholiques se préoccupent très peu de rassurer les autres. «Rien n’indique que les autres confessions religieuses, dont ils se sont bruyamment désolidarisés du reste, cèderont face à cette véritable OPA sur les centres névralgiques de la CENI que sont les secrétariats exécutifs. Surtout s’il faut en défenestrer Ronsard Malonda, le candidat des kimbanguistes voué aux pires gémonies il y a quelques mois», fait observer un politologue de l’Université de Kinshasa. Il est appuyé par ce député PPRD qui avance lui aussi qu’«il n’y a aucune raison, pour un acteur politique digne de ce nom, de faire confiance aux catholiques qui ont déjà fait preuve de parti-pris à la limite de la haute trahison en faveur de l’une ou l’autre puissance occidentale. Sans compter leurs accointances locales, bien connues de tous depuis quelques années».
Les recommandations des évêques catholiques apparaissent, de ce point de vue, comme une tentative pour récupérer par la main gauche ce qu’ils ont perdu par la main droite : la CENI. La couleuvre est difficile à avaler, même pour un païen. Surtout dans un Etat réputé laïc, où la constitution n’oblige aucun responsable politique à concéder quoi que ce soit à l’église, catholique fut-elle.
LE MAXIMUM