Alors que l’état de siège proclamé par Kinshasa fin mai dernier provoque un désarroi perceptible chez les rebelles ougandais des ADF et autres forces négatives nationales, à en juger par l’escalade désespérée des exactions spectaculaires ainsi que les pertes subies par les forces ennemies, le Rwanda et l’Ouganda manifestent des signes d’impatience qui ne trompent plus grand monde en RDC.
Le 18 octobre 2021, la localité de Kibumba au Nord-Kivu a subi un raid de l’armée rwandaise. Le 3 novembre, Bukavu, le chef-lieu de la province voisine du Sud-Kivu, a été le théâtre de l’incursion d’un groupe armé, le CMC-A64. Moins de 7 jours plus tard, Chanzu et Runyonyi à la frontière avec l’Ouganda ont subi des attaques en règle de ce qu’on a présenté comme une faction rebelle du M23.
D’aucuns pensent aujourd’hui que ces troupes de Jean-Marie Runiga, exilé depuis la défaite du M23 au Rwanda, ont bénéficié de l’appui actif de Kigali.
Du côté de Kampala, les agitations du raïs ougandais remontent à un peu plus longtemps. Depuis notamment que des attentats à la bombe ou la grenade se sont multipliés sur le territoire ougandais, que les autorités locales, Yoweri Kaguta Museveni en tête, attribuent aux rebelles ADF présents en RDC.
Kampala avait été visé en octobre par deux attentats, déjà attribués par la police aux ADF. L’explosion d’une bombe dans un restaurant de la capitale, le 23 octobre, avait tué une jeune serveuse et un attentat-suicide dans un bus, deux jours plus tard, avait fait un mort et de nombreux blessés. Museveni n’a eu de cesse, depuis lors, de clamer sa volonté de contribuer à l’éradication des rebelles ougandais qui opèrent chez son voisin congolais, en renvoyant l’UDPF combattre en RDC. Mais Kinshasa s’est prudemment abstenu de répondre aux appels du pied de Kampala.
Tension à Kampala
La tension semble monter à Kampala où de nouveaux attentats ont été commis mardi 16 novembre. Deux explosions à la bombe, que la police a aussitôt qualifiées d’attentats suicides, qui ont tué trois personnes et blessé trente et une autre, dont au moins 5 grièvement. Les explosions se sont produites dans le quartier commercial de Kampala, non loin du QG de la police et de l’entrée du parlement ougandais. Le premier attentat, perpétré près d’un check-point de la police, a été l’œuvre d’un homme transportant une bombe dans un sac à dos ; et le deuxième par deux hommes déguisés en moto taxis, non loin du parlement, tous appartenant à un groupe local lié aux ADF actifs en RDC, selon la police.
Seulement, dans la région, les observateurs connaissent les méthodes préférées aussi bien de Kigali que de Kampala. Selon des élus de Beni, ville distance de la frontière ougandaise d’une cinquantaine de km, Museveni est capable de provoquer des attentats pour justifier la présence de l’UPDF en RDC. Autant du reste que son voisin rwandais Paul Kagame. L’intérêt des deux chefs d’Etat pour l’Est de la RDC dont ils dépendent économiquement n’est plus qu’un secret de polichinelle.
Tout se passe, selon les observateurs, comme si Kigali et Kampala ne veulent pas d’une «Pax Tshisekedi» à l’Est de la RDC sans eux. La réapparition du M23, ou d’une de ces branches gardée au frigo en attendant le moment opportun, est un signal qui ramène à la surface les principales revendications des deux voisins du pays de Lumumba sur son territoire. Même si c’est via des rébellions factices interposées : elles ont été clairement exprimées par le M23 vaincu en 2012, lors des négociations de Munyonyo à Kampala. En deux mots comme en mille, c’est la balkanisation de la RDC qui est exigée, à en juger par ces fameuses revendications, qui sont rwando-ougandaises, en réalité. Ces rebelles demandent ainsi carrément au gouvernement de la RDC de déclarer le Nord-Kivu, l’Ituri, le Sud-Kivu, le Haut-Uélé, le Maniema et le Tanganyika zones sinistrées jouissant d’un statut administratif particulier, d’un plan de développement spécial, d’une large autonomie fiscale et financière, d’un programme spécifique de sécurisation afin de concrétiser différents accords régionaux. En plus du fait que les nouveaux gestionnaires de cette partie du territoire devront faciliter le retour des réfugiés dans l’espace concerné à grâce aux mécanismes de réconciliation, la cohabitation de la population avec les réfugiés et les déplacés internes. Selon les extraits de ce cahier de charges du M23 exhumé par notre confrère Les Coulisses, le M23, mouvement politico-militaire, tient à contrôler cet espace avec ou sans l’appui des FARDC, en menant des opérations contre les FDLR et les ADF durant 5 ans renouvelables. En attendant que la région de l’Est rd congolais bascule dans le fédéralisme. Rien moins que cela.
Revendications territoriales
Même militairement défait par les FARDC en 2012, le M23 n’a pas perdu son outrecuidance. «Nous continuerons à recourir aux armes tant que les causes profondes des conflits qui nous opposent ne seront pas traitées», avait déclaré François Rutchogoza à Munyonyo, rappelle encore Les Coulisses.
Lorsqu’on parle des causes profondes de la déstabilisation de l’Est rd congolais, c’est de cela qu’il s’agit. La communauté internationale, acquise à la cause de Kigali et de Kampala, soutient cette approche ‘‘négociée’’ du conflit de l’Est, comme on peut s’en rendre compte par l’importance des fonds, projets et programmes de développement orientés vers cette partie du territoire national. «Il suffit que feuilleter les dossiers du ministère du Plan pour se rendre compte de l’énorme quantité des projets visant la cohabitation pacifique des populations de l’Est avec leurs voisins ougandais ou rwandais pour s’en rendre compte», explique au Maximum un responsable du programme DDRRR.
Fermement mais poliment Kinshasa avait dit niet. Joseph Kabila avait en son temps marqué la disponibilité de son pays à écouter et à discuter avec les rebelles sans pour autant remettre en cause l’intangibilité des frontières nationales et la souveraineté de la RDC. Il avait laissé les choses en l’état, faute de mieux sans doute.
Voilà qu’arrive Félix Tshisekedi qui ne fait pas mystère de sa volonté de pacifier les territoires convoités par ses voisins sans tenir compte de leurs ambitions territoriales et des soutiens dont ils bénéficient chez les Occidentaux.
Alors qu’on l’entend de moins en moins sur le calvaire des populations civiles au Nord-Kivu et en Ituri, le Secrétaire général des Nations-Unies s’est dépêché de condamner les derniers attentats de Kampala et de présenter ses condoléances aux familles endeuillées. Par la voix de son porte-parole, Antonio Guterres a exprimé «ses plus sincères condoléances aux familles des victimes de ces actes de violence méprisables et un rétablissement complet aux personnes. Les Nations Unies expriment l’espoir que toutes les personnes impliquées dans la commission de ces attaques seront rapidement traduites en justice», poursuit le message.
Sur la RDC, dans les provinces sous état de siège, on n’a rien entendu de tel depuis longtemps. Comme si ici, les morts étaient légitimes.
LE MAXIMUM
INSECURITE A L’EST : Kigali et Kampala s’agitent
