Au cours d’un point de presse conjoint, le 7 octobre 2021 au Centre interdiocésain de Kinshasa, soit 48 heures après l’échec de la désignation pas consensus du président de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), les porte-parole des églises catholique et protestante avaient donné de la voix. L’abbé Donatien Nshole et le révérend Eric Senga, s’exprimant au nom de leurs hiérarchies farouchement opposées au candidat des 6 chefs d’églises qui forment avec les catholiques et les protestants la composante confessions religieuses, avaient menacé de tous les foudres de guerre la suite du processus électoral en RDC. Rien moins que ça !
En proclamant haut et fort leur disposition à gagner «le pari de bonnes élections en 2023 en utilisant tous les moyens légaux, civiques, démocratiques et pastoraux à leur disposition», les deux confessions religieuses s’engageaient ainsi sur les sentiers d’une sorte de guerre sainte consistant à se servir du nom de Dieu pour poursuivre des objectifs temporels, selon une théorie largement répandue dans certains milieux extrémistes islamiques notamment.
Croisades chrétiennes
Ne restait plus, pour l’archevêque métropolitain de Kinshasa, qu’à organiser ses croisades de chrétiens, c’est-à-dire, des «pèlerinages armés en vue de conquérir ou de défendre», non pas des lieux saints comme au Moyen-Age mais ce que lui-même et un groupe de pères de l’église catholique de RDC considèrent comme «de bonnes élections». Même si la moralité d’un engagement politique aussi lourd d’implications pour les chrétiens dont la conduite des âmes est confiée au cardinal kinois demeure moralement critiquable, ainsi que le font remarquer nombre d’observateurs parmi les chrétiens catholiques. On rappelle, à cet effet, la célèbre répartie du Pape François en réponse à la question d’un jeune Belge, début 2013 : «Si tu portes ta foi comme un étendard, comme aux Croisades, et tu fais du prosélytisme, ça ne va pas ». Ou, mieux encore, le pardon solennellement prononcé par le Pape Jean-Paul en 2000, pour les «péchés commis dans le service de la vérité» au terme d’un travail conduit par le cardinal allemand Ratzinger sur la notion de repentance par rapport aux fautes commises par l’église au cours des siècles passés. «Le service de la vérité n’implique aucune attitude d’intolérance ni de violence vis-à-vis de la non-vérité», explique à ce sujet un professeur de Théologie au grand séminaire Jean XXIII, voisin de la colline du Mont Ngaliema à Kinshasa.
Les croisés d’Ambongo et Bokundoa
Les églises catholiques et protestantes se sont ainsi activement impliquées dans la création des «Forces politiques et sociales de la RDC», un rassemblement de tout ce que le landerneau politique congolais compte d’opposants au pouvoir en place, afin d’organiser des croisades populaires. S’y retrouvent, la plateforme Lamuka du candidat malheureux à la présidentielle 2018, Martin Fayulu ; le Front Commun pour le Congo de l’ex-président Joseph Kabila, jadis honni mais ‘‘absous’’ pour les besoins de la cause. Les associations de laïcs catholiques et protestants.
Un attelage hétéroclite qui ne paie pas de mine et qu’un spécialiste de géopolitique de l’Université de Kinshasa attribue à la rage de l’irascible cardinal de s’être vu ‘‘raffler’’ la très juteuse commission électorale nationale indépendante au moment même où le Vatican venait d’interrompre ses généreux subsides aux diocèses et où la politique de gratuité de l’enseignement primaire conventionnée privait sa congrégation des prélèvements sur les contributions des parents d’élèves.
Mi-figue, mi-raisin face à Martin Fayulu, le FCC de Kabila a précisé la nature de son engagement afin d’éviter de faire les frais de la propension du patron de l’Ecidé, un petit parti politique qui ne compte guère plus de 3 élus nationaux à s’approprier toutes associations ou regroupements avec lesquels il conclut une alliance. Comme ce fut le cas de la Dynamique de l’Opposition mise sur pied avec les Kamerhe, Lisanga et autres caciques de l’opposition à Kabila ; ou encore Lamuka, la plateforme créée en Suisse pour écarter Félix Tshisekedi de la course à la présidentielle en 2018.
Attelage monstrueux
Le 28 octobre sur Top Congo FM, la députée nationale FCC de Wamba Geneviève Inagosi a ainsi déclaré : «Nous sommes réunis autour des pères des églises, notamment les églises catholique et protestante. Il y a également la société civile, pour l’intérêt de la population. L’appel vient des pères des églises et non exclusivement de Martin Fayulu». Pour ne pas donner l’air d’avoir répondu à un appel au rassemblement d’un adversaire politique au poids politique assez douteux. Le reste des motivations déclinées par Inagosi par ailleurs très proche du cardinal Ambongo est puisé droit dans le répertoire de récriminations cléricales, assaisonné par l’exploitation de l’un ou l’autre problème social de l’heure. «Ce rapprochement a été motivé par l’intérêt supérieur du peuple Congolais. Depuis un temps, la population a beaucoup de difficultés, notamment sur la scolarisation des enfants, la prise en charge des enseignants, l’insécurité à l’Est, la taxe RAM qui continue à être imposée frauduleusement. Toutes ces préoccupations sont partagées avec Lamuka et le FCC», a-t-elle expliqué.
Au terme d’une réunion, le 29 octobre à Kinshasa, les nouveaux croisés d’Ambongo et Bokundoa ont annoncé des actions de grande envergure devant culminer avec une marche le 6 novembre 2021 «pour dire non à la CENI imposée, à l’abrutissement de nos enfants, à la paupérisation de nos enseignants, à l’absence de l’autorité de l’Etat et à l’escroquerie de la RAM». Le courrier adressé à l’hôtel de ville de Kinshasa pour annoncer l’organisation de cette manifestation renseigne qu’elle partira des 4 districts de Kinshasa à la fois (Tshangu, Lukunga, Mont-Amba) vers le Palais du Peule où un mémorandum sera déposé. Une technique déjà mise en œuvre contre … Joseph Kabila et son FCC en 2016 pour dérouter les forces de l’ordre et provoquer un chaos de type subversif, les organisateurs sachant bien qu’il est impossible d’encadrer une marche qui vient de partout et de nulle part.
Bâton de pèlerin anti-Fatshi
En attendant ces échéances, Ambongo et ses nouveaux alliés de l’église protestante enfourchent leurs bâtons de pèlerins pour prêcher l’évangile anti-Tshisekedi en Occident et dans certains pays de la région. Il s’agit notamment de la Belgique, des Etats-Unis et du Congo-Brazzaville dont le cardinal archevêque de Kinshasa a foulé le sol le 29 octobre pour fourguer sa version de la situation politique de son pays au président Denis Sassou Ngouesso. «Notre position est claire, notre avis est contre le choix de celui qui a été investi par l’assemblée nationale et confirmé par le président de la République. Nous l’église catholique et l’église protestante qui constituons 90% de la population de la RDC, nous avons dit au président Félix Tshisekedi que ce n’était pas un bon choix», argue un Ambongo Besungu méconnaissant le rôle de représentation nationale du parlement et le caractère laïc de l’Etat congolais affirmé sollenellement à l’article 1er de la constitution de 2006.
On reproche de plus en plus à «l’homme de Dieu» un parti-pris politique excessif motivé par le dessein inavoué de contrôler le pouvoir d’Etat au profit de certains milieux étrangers hostiles à la révision des contrats miniers décidée par Joseph Kabila et sur lesquels des pressions sont faites pour amener Félix Tshisekedi à revenir. Ou de paver la voie pour l’élection ‘‘coûte que coûte’’ de Moïse Katumbi, le richissime ex-gouverneur de l’ex-Katanga, connu pour financer grassement les «œuvres» de l’église.
Plusieurs observateurs dénoncent les contre-vérités répandues par les prélats et stigmatisent l’immoralité qui gangrène l’église catholique de la RDC depuis de longues années.
Statistiques tricheuses
Catholiques et protestantes ne représentent pas «90 % de la population congolaise», ainsi que l’a claironné Mgr Ambongo aux médias à Brazzaville. Aucune statistique fiable ne peut le confirmer à ce jour. «Le cardinal joue sur les mots et surfe malicieusement sur la sémantique en confondant délibérément le concept de chrétiens croyants et celui de la population congolaise», explique un spécialiste d’anthropologie religieuse de l’Université Catholique du Congo, qui a requis l’anonymat. «Encore que cette réalité ait sensiblement évolué depuis plus de 3 décennies, en raison de la montée en puissance des églises dites indépendantes et pentecôtistes qui ont proliféré après 1960, suivie de l’essaimage extrêmement fertile des églises dites de réveil nées autour des crises économiques des années ’80. On ne peut même plus affirmer que catholiques et protestants mis ensemble puissent atteindre même la proportion de 60 % de chrétiens croyants. C’est archifaux», selon cette source.
La guerre sainte d’Ambongo et Bokundoa se fonde essentiellement sur des pseudo-vérités. Pire, s’agissant de l’église catholique, elle ouvre la voie à une sorte de schisme en divisant les chrétiens entre ceux favorables au pouvoir en place et ceux qui s’y opposent. Ainsi, en réaction aux vociférations d’Ambongo contre Tshisekedi, le Comité de l’apostolat laïc (CALCC) de Mbujimayi (Kasai Oriental, province d’origine de Tshisekedi) a convié les chrétiens de cette ville à une messe de soutien au président de la République samedi 6 novembre en la cathédrale Bonzola. C’est clair comme de l’eau de roche : les laïcs Comme quoi, les catholiques d’Ambongo et ceux du Kasaï ne regardent plus dans la même direction.
Au cardinal d’assumer que sa croisade opposera inéluctablement aussi bien les catholiques entre eux que le clergé et les évêques.
LE MAXIMUM