L’incident s’est produit lundi 18 octobre dans le groupement de Buhumba au Nord-Kivu. Des éléments de la Rwanda Defence Forces (RDF), l’armée gouvermentale rwandaise se sont introduits en territoire congolais où ils ont eu des accrochages armés avec les FARDC (Forces Armées de la RDC). Sur le sujet, aucun doute, puisque les deux parties ont reconnu les faits.
Aux premières heures de ce 18 octobre, des images de populations fuyant ce qui ressemblait bien à des affrontements armés faisaient le tour de la toile. «Les soldats rwandais sont entrés chez nous, impossible de poursuivre la route», explique devant une caméra amateur un jeune congolais, baluchons sur la tête, essoufflé par une longue marche. Le cameraman l’avait extirpé d’une foule en débandade se dirigeant manifestement vers une agglomération plus sûre.
Confirmation, quelques heures plus tard : les tirs qui ont mis en fuite les populations de Buhumba (Nyiragongo) étaient le fait d’échanges entre RDF et FARDC sur le sol congolais. Des éléments RDF y seraient venus pour libérer deux des leurs capturés pour s’être introduits illégalement sur le territoire congolais, alors qu’ils pourchassaient de petits commerçants fraudeurs, selon des autorités locales. Des sources militaires rapportent qu’au moins 6 villages congolais avaient été brièvement occupés par les forces rwandaises, provoquant un déplacement des populations. Une version des faits confirmée par le colonel Malosa, administrateur militaire de Nyiragongo, qui explique que 2 soldats rwandais avaient illégalement traversé la frontière congolaise, à la poursuite de petits commerçants. Interpellés et désarmés par les FARDC, des procédures pour leur rapatriement étaient en cours lorsque l’incident armé est survenu. Des sources onusiennes, également interrogées, confirment les faits, c’est-à-dire, la traversée de la frontière congolaise par les RDF, l’échange de tirs avec les FARDC ainsi que l’établissement d’une position militaire dans la zone.
Zones d’ombre
Néanmoins, des zones d’ombres subsistent autour de ce qui se présente comme une énième agression militaire d’un Etat voisin dont on a toujours soupçonné la présence en RDC. Si le motif de cette énième incursion des deux premiers éléments armés RDF est connue, celle de leurs frères d’armes qui ont par la suite pris d’assaut Kibumba et ses alentours l’est moins. «L’armée rwandaise est venue libérer par la force deux de ses éléments capturés par la FARDC», ont indiqué certains médias locaux, relayés avec délectation par des Ongs congolaises, à l’instar de la Lucha qui a aussitôt dénoncé l’humiliation subie par «des FARDC mal équipées et en sous-effectifs».
La communication intervenue quelques heures plus tard, du porte-parole des FARDC dans la région n’a pas vraiment levé le doute sur cette version peu flatteuse pour les troupes régulières congolaises, même si elle fut riche de précisions. On sait ainsi qu’au moins une compagnie RDF avait effectué un raid en territoire congolais, y pénétrant jusqu’à 200 mètres de la Route nationale n°2; elle s’est servie de fusils d’appuis et d’assauts dont au moins un a été saisi par les FARDC. Cette pénétration hostile a été contenue par les FARDC en présence jusqu’à l’arrivée des renforts qui ont contraint des rwandais à déguerpir promptement non sans avoir pillé et emporté quelques biens privés, comme par dépit. Sur les 2 premiers éléments RDF, aucune information n’a filtré de la communication du colonel Ndjike, ce qui aurait tendance à confirmer leur libération forcée à la suite du raid sur Kibumba.
Vincent Karega
L’ambassadeur du Rwanda en RDC, Vincent Karega, a pour sa part livré sa version de l’incident de Kibumba. Toute en dénégations. Selon le plénipotentiaire de Paul Kagame à Kinshasa, il n’y aurait eu aucune incursion des éléments RDF sur le territoire congolais : seulement un incident «très mineur autour d’une poursuite de fraudeurs. Il ne peut pas y avoir incursion sans conflit ou blocage de dialogue entre les deux pays, sans objectif poursuivi en RDC par le Rwanda. Ce qui s’est passé est un incident, une erreur souvent répétée. Les forces de l’ordre poursuivaient des fraudeurs qui ont choisi de courir vers la RDC. Un des agents de l’ordre rwandais a traversé de quelques mètres en poursuivant ces fraudeurs qui avaient des colis incontrôlés. C’est une affaire purement de fraude. De l’autre côté, les forces congolaises l’ont interpellé pour avoir dépassé de quelques mètres la ligne non tracée. Ceux qui connaissent le lieu savent que c’est très difficile d’identifier à l’œil nu la frontière», a expliqué en substance Karega, niant tout échange de tirs entre les deux armées. «Je crois qu’il y a eu des tirs en l’air de part et d’autre et non un échange de tirs», a-t-il encore soutenu.
Pas d’échanges de tirs, seulement un mètre franchi à l’intérieur du territoire national congolais … Karega a donc minimisé à loisir. Pour tenter de masquer le réflexe rwandais bien connu dans la région maintenant : transgresser la frontière congolaise n’est pas un fait criminel pour un soldat rwandais. «C’est comme en territoire conquis. Un petit tour et on revient», commente, amer, un confrère de Goma. Rien d’étonnant à cela, pour plusieurs observateurs au courant de l’idéologie militariste prégnante de l’autre côté de la frontière, où le président Paul Kagame s’emploie à promouvoir l’art de la conquête militaire en se fondant sur ce qu’il présente comme des données historiques immémoriales de son peuple. Sur le terrain, cela donne le type de comportement vécu à Kibumba.
Dans les réseaux sociaux, le plénipotentiaire rwandais s’est même laissé aller à essayer de tourner en dérision l’officier FARDC qui avait fait état d’occupations de villages et de pillages : «… pour quels objectifs militaires ? … pour quelle stratégie ? … les soldats rwandais ne pillent jamais parce que c’est sévèrement sanctionné chez nous … » a-t-il tweeté lundi dernier. Il n’en est pas à ses premiers exploits en matière d’activisme et de négationisme ainsi que l’illustre son expulsion d’Afrique du Sud en mars 2014 pour activités illégales, dont des «tentatives de meurtre, y compris un assassinat». La justice du pays de Mandela lui reprochait en effet «des attaques contre l’ancien chef d’état-major rwandais, le général Kayumba Nyamwasa (…) et l’assassinat de l’ancien chef des renseignements extérieurs, le colonel Patrick Karegeya».
Ce n’est pas une balade, kalachnikovs aux poings, qui démonterait outre mesure ce partisan des méthodes fortes de Kigali à Kinshasa. Loin s’en faut.
LE MAXIMUM
RAID RDF AU NORD-KIVU : Kigali, comme en territoire conquis à Goma
