Il n’aura pas tenu la corde trop longtemps. Comparé à un Joseph Kabila, traité de tous les noms d’oiseau durant ses deux mandats à la tête du pays, le successeur de Mzee Laurent-Désiré Kabila n’a pas craqué. L’ancien gouverneur de l’ex-Katanga, lui n’aura pas du tout résisté à la pression médiatique et d’une certaine opinion publique. La désormais célèbre proposition de loi Tshiani, prônant le verrouillage de l’accès au top job, a littéralement projeté l’ambitieux chairman du TP Mazembe de Lubumbashi hors de ses gongs. Et de la raison. Affirmant qu’il n’avait encore rien décidé quant à la présidentielle de 2023, il a botté en touche sur une éventuelle alliance avec qui que ce soit en minimisant son implication au sein de l’Union sacrée de la nation (USN) dont un élu, Nsingi Pululu, a osé porter le projet de loi ‘’suicidaire’’ de Tshiani, selon lui.
Sur plusieurs pages de la dernière édition de Jeune Afrique, Katumbi s’est livré par à coup, tel qu’en lui-même : pas de raisonnement élaboré ni tirades d’intello, mais de brèves réponses à la limite de formules lapidaires. L’essentiel est là : «Oui, il s’agit clairement d’une ligne rouge. Si elle venait à être ne serait-ce que programmée pour être débattue au Parlement, nous quitterions la majorité», a martelé le patron d’Ensemble pour la République sans se gêner d’en imposer ainsi à tout le monde.
Menaces ouvertes
Au sujet de la proposition de loi sponsorisée par Nsingi Pululu, Katumbi semble intimer au président de la République, initiateur de l’Union sacrée de la nation, l’ordre de mettre un terme à la récréation : «Je crois qu’il a dit aux sénateurs qu’il n’était pas d’accord avec cette proposition de loi, mais le débat public continue. Il faut sonner la fin de la récréation», rétorque-t-il au journaliste qui lui demande s’il s’attend à ce que le chef de l’Etat intervienne sur cette question.
Ainsi apparaît clairement un deuxième prétendant à la magistrature suprême au sein de la plateforme présidentielle. Moïse Katumbi Chapwe subordonne tout à cette ambition qui le ronge depuis belle lurette. Aucun principe, démocratique ou politique ne semble pouvoir l’arrêter. Encore moins, une quelconque notion du respect du droit à la libre expression, à l’instar de cette proposition de loi, qu’il faut simplement taire et faire taire au besoin par le chef de l’Etat. «Ça donne des frissons ! C’est cet homme-là qui voudrait diriger ce pays ? Ce serait un enfer !», commente un diplomate africain en poste à Kinshasa sous le sceau de l’anonymat. Il n’est pas le seul dans ce cas. Il y a peu, un confrère de Lubumbashi rapportait que l’alors tout puissant gouverneur du Katanga l’avait convoqué pour lui ordonner de démentir le contenu d’une revue de presse s’il voulait éviter ses foudres… Chassez le naturel, il revient au galop.
Amalgame trompeur
C’est aussi ça, l’ancien gouverneur du Katanga éternel prétendant au fauteuil présidentiel en RDC. De la confusion sur le sens et le contenu à donner à certains termes, par sophisme, ignorance ou méconnaissance. Au sujet de la proposition de loi Tshiani, il assure que «si elle venait à s’appliquer, cela signifierait que demain, concrètement, des jeunes congolais ne pourraient pas prétendre aux plus hautes fonctions bien qu’étant compétents et méritants. Cela porte un nom : le racisme», ne se rendant pas compte d’une part que le racisme est une discrimination par la race ou la couleur de la peau, que dans le cas d’espèce, les personnes visées ne sont pas forcément d’une autre race et que la proposition n’exclut nullement des fonctions régaliennes ‘’tous les jeunes congolais’’ mais seulement la catégorie née de parents étrangers.
Le «roi du Katanga», selon le titre d’un documentaire célèbre, se révèle ainsi comme le roi de l’amalgame, pourvu que cela lui profite. «Des Moïse Katumbi, il y en a des millions en RDC ! Quelle famille ici n’a pas un parent, un cousin, un fils ou une fille, une nièce ou un neveu qui n’est pas Congolais d’origine ? Nous partageons neuf frontières avec nos voisins, ce qui est un cas unique en Afrique. Chaque année, des milliers de mariages mixtes sont célébrés», avance-t-il. «Comme si partager neuf frontières signifie ne plus avoir de frontières et de territoire propre du tout. C’est en cela justement que des acteurs politiques de la trempe de Moïse Katumbi sont dangereux pour la RDC. Ils peuvent confondre intérêts congolais et intérêts d’Etats voisins», explique au Maximum ce proche du professeur Noël Tshiani qui avait rappelé dans un tweet le week-end dernier qu’en Zambie voisine où Hakainde Hichilema vient d’être élu président, la constitution en vigueur stipule en son article 34 que ne peut être candidat président de la République qu’une personne dont «(…) both his parents are Zambians by birth or descent» (traduction : dont les deux parents sont Zambiens de naissance ou par descendance). Sans que nul ne puisse accuser le législateur zambien de racisme.
Confusion des genres
Tout l’argumentaire ânonné par Moïse Katumbi dans les colonnes de Jeune Afrique tourne autour de cet axe du refus. Plusieurs observateurs sont d’avis que le n° 1 d’Ensemble pour la République est obnubilé par les strapontins du pouvoir. L’intéressé leur donne raison lorsqu’il explique à Jeune Afrique que «nous aurions dû avoir un minimum de douze ministres et vice-ministres. Malgré cela, j’ai estimé, contre l’avis de la majorité de mes députés, qu’il était de notre devoir de ne pas bloquer la machine en retardant davantage la mise en place du gouvernement». De quoi se demander si c’est encore les mêmes députés membres de sa plateforme qui le poussent à retarder la résolution de la controverse au sujet de la désignation des membres du bureau de la CENI dans laquelle il s’est enfoncé avec la délicatesse d’un éléphant dans un magasin de porcelaine. «Ici Katumbi n’a manifestement pas estimé qu’il était de son devoir de ne pas bloquer», ironise un chroniqueur qui rappelle les accointances entre le chairman et certains princes de l’Eglise catholique qui lui mangent dans la main depuis de longues années.
Fuite en avant
Au-delà de cette forme de révélation de l’homme tel qu’en lui-même habilement réussie par Jeune Afrique, certains voient dans la sortie médiatique de l’ancien gouverneur du Katanga, dont on dit qu’il fut mêlé jusqu’au cou dans l’exploitation et le bradage à vil prix d’intérêts miniers colossaux de l’Etat congolais, une véritable fuite en avant. Dans les réseaux sociaux, des internautes ont rapproché les enquêtes diligentées par l’intraitable inspecteur général des finances dans la province cuprifère et l’appel de l’ancien gouverneur à la clémence en faveur d’anciens acteurs politiques poursuivis par la justice pour diverses infractions.
Moïse Katumbi n’hésite pas, en effet, à dénoncer ce qu’il présente comme une chasse aux sorcières. «S’il faut condamner, il faut aussi savoir pardonner. La place des Congolais est au Congo. On ne peut pas se réjouir d’en voir prendre la route de l’exil, quoi qu’ils aient fait. Cela vaut pour Kikaya Bin Karubi, John Numbi, Kalev Mutond et les autres», déclare-t-il à Jeune Afrique. «Certains de ceux qui sont aujourd’hui en difficultés ont beaucoup apporté à notre pays. Notamment le pasteur Ngoy Mulunda, un homme de Dieu qui a beaucoup œuvré pour la paix, mais aussi Vital Kamerhe, l’un des principaux acteurs de la vie politique ces dernières années, ou encore Augustin Matata Ponyo, qui fut un valeureux 1er ministre», ajoute Katumbi, s’entremêlant les pinceaux. Etant donné que John Numbi, Kalev Mutond, ou encore le pasteur Ngoy Mulunda ne doivent nullement leurs déboires à des faits de gestion.
«L’impression qui s’en dégage est celle d’un détourneur de deniers publics aux abois qui prépare le terrain pour crier le moment venu à l’acharnement et à la chasse aux sorcières contre lui», a écrit un internaute, suscitant un vif échange sur la toile à la fin de la semaine dernière. Mais pas seulement. Tous ceux en faveur de qui plaide le fondateur d’Ensemble pour la République ont en commun leur appartenance à l’espace swahiliphone que Katumbi semble vouloir monter et opposer au pouvoir en place, le moment venu. Une tentative grotesque de tribaliser le débat qui est plus proche du racisme que la proposition de loi Tshiani.
Victimisation par anticipation
Ce moment semble se situer dans un avenir peu lointain, selon de nombreux observateurs qui notent que l’ancien gouverneur du Katanga ne fait nullement mystère de ses ambitions présidentielles. «C’est l’homme des compagnies minières, qu’il a toujours défendu bec et ongles depuis les années Kabila. Ils lui ont de toute évidence promis le pouvoir à la fin du 1er mandat de Félix Tshisekedi avec ou sans le concours du souverain primaire. Business as usual …», susurre un universitaire qui compte parmi les supporters du chairman du TP Mazembe.
L’interview de Jeune Afrique ne dément pas cette perspective. Interrogé au sujet de ses ambitions, Katumbi ment effrontément sans doute pour des raisons purement tactiques : «La décision n’a pas encore été prise, ni dans un sens ni dans un autre. Aujourd’hui, je suis à la tête d’Ensemble. Nous avons des instances, dont un comité directeur et un bureau politique. La décision ne pourra donc être prise qu’à l’issue de notre congrès et de manière collective», affirme-t-il pour faire bonne figure. Mais comme chacun le sait, dans la culture politique congolaise ambiante, les instances partisanes n’ont généralement pas d’autonomie de pensée ni d’action en dehors des oukases de leurs toutes puissantes autorités morales. Le fameux congrès d’Ensemble pour la République ne sera qu’une caisse de résonnance de la volonté de Katumbi. Et non pas l’inverse. C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre la levée des boucliers contre la loi Tshiani qui représente une menace directe pour l’ambition dévorante de Moïse Katumbi Chapwe.
LE MAXIMUM