C’est une bonne grosse crise au Cap pour le Changement (CACH), le ticket gagnant Félix Tshisekedi-Vital Kamerhe placé sur orbite électoral en novembre 2018 à Nairobi au Kenya. La coalition, qui battait manifestement de l’aile à la suite du désormais célèbre dossier judiciaire autour du programme de 100 jours du président de la République, semble agoniser. A l’issue d’une réunion de crise qui a rassemblé tout ce que le parti de Vital Kamerhe compte de cadres, mercredi 16 juin 2021 au siège du parti dans la commune de Kasavubu, l’Union pour la nation congolaise (UNC) a décidé la suspension de la participation de ses députés aux réunions du CACH et de l’Union Sacrée pour la Nation. En attendant d’autres décisions, sans doute plus radicales, à en croire le tout récent secrétaire général du parti, Billy Kambale Tsongo. Sur une chaine de télévision de la place, l’ancien ministre UNC de la Jeunesse du gouvernement Ilunga Ilunkamba expliquait aussitôt la réunion de Kasavubu terminée que des discussions à l’interne s’imposaient pour évaluer l’état des accords qui ont donné naissance à la coalition CACH il y a un peu plus de deux ans à Nairobi, au regard du règlement de compte dont ferait selon lui l’objet Vital Kamerhe, condamné par la Cour d’appel de Kinshasa Gombe à 13 ans de servitude pénale 24 heures plus tôt.
Partenaire condamné
Un partenaire du chef de l’Etat poursuivi puis condamné, d’abord au 1er degré à 20 ans, ensuite au second degré à 13 ans de servitude pénale, c’est le casus belli qui oppose désormais les coalisés de Nairobi. Quelque peu abasourdis par l’interpellation suivie de la détention de l’alors directeur de cabinet présidentiel par le parquet près la Cour d’appel de Kinshasa-Matete en avril 2020, les proches de Kamhere avaient suivi avec un certain stoïcisme le procès diffusé en direct à la télévision nationale. Avant de se ressaisir résolument il y a quelques mois, et de se lancer dans une sorte de contre-attaque, essentiellement médiatique, dans le dessein évident d’influencer la décision des juges d’Appel. Une contre-offensive remarquable, dans les médias et les réseaux sociaux particulièrement, où il ne s’est pas passé un jour sans un pamphlet clamant l’innocence de l’ancien alter ego de Félix Tshisekedi. Mais pas seulement.
Jeudi 27 mai 2021, le collectif de la défense de l’ancien dircab du président de la République sollicitait du premier président de la Cour d’Appel/Gombe l’autorisation de couverture médiatique du procès de leur client. Motif avancé : « … permettre de garantir au mieux les intérêts de notre client». «… Il nous semble indispensable que l’opinion tant nationale qu’internationale assiste sereinement via les médias au déroulement du procès, comme cela fut le cas au premier degré», avaient boucheronné les avocats de VK.
Pressions tous azimuts
24 heures plus tard, le 28 mai, l’UNC organisait des manifestations publiques à travers le pays pour réclamer la libération de son leader. A Bukavu, fief électoral de l’allié du président Tshisekedi à la présidentielle 2018, le rassemblement fut un peu plus impressionnant et les mots à l’encontre du pouvoir en place, plus crus. Il était notamment fait état de plusieurs centaines de participants à la manifestation qui s’est ébranlée sur les avenues du chef-lieu de la province du Sud-Kivu. Qui brandissaient pancartes et banderoles très expressifs sur lesquels on lisait notamment : «Vos maisons sont là, libérez l’innocent Vital Kamerhe», «Libérez Vital Kamehre, pas de preuves, pas de condamnation» … Même ton, sinon pire, sur le mémorandum adressé au chef de l’Etat, opportunément publié dans la presse : «Sans crainte, nous pouvons donc affirmer qu’en libérant Kamerhe, on aura libéré toute la nation congolaise. A travers ce mémorandum, qu’il soit compris une fois pour toute que nous sommes fatigués de voir notre digne fils resté en prison, voilà pourquoi nous exigeons son acquittement et sa libération car nous avons fini par comprendre que l’objectif de l’ennemi de notre pays est d’effacer notre leader dans la mémoire collective mais il va déchanter car nous ne baisseront jamais les bras tant que ce grand homme ne retrouvera sa place qui n’est pas la prison mais au service de son pays », scandait-il. Mais aussi, que « les maisons préfabriquées prétendues détournées sont les unes en train d’être envahies par les herbes au camp Tshatshi, et les autres moisissent aux ports de Dar-es-Salam en Tanzanie, de Lobito en Angola et de Matadi en RDC. Nous espérions que celles qui moisissent en Angola, en Tanzanie et au Port de Matadi seront à tout le moins ramenées à nos concitoyens de Goma qui sont en train de dans la nature en dormant à la belle étoile … ». La pique, très politicienne, ne s’encombrait déjà guère plus de la prévenance naturelle entre alliés politiques.
Manif’s publics ?
Le même vendredi 28 mai à Kinshasa, l’UNC a organisé une méga manifestation publique en faveur de Vital Kamerhe qui, si elle n’a pas pu se déployer à travers les rues de la capitale, n’en a pas moins atteint ses objectifs. Selon les observateurs, les manifestants mobilisés par l’UNC se comptaient en dizaines de milliers, rassemblés devant le siège de l’Interfédéral du parti sur l’avenue de l’Enseignement dans la commune de Kasavubu. Avec eux, Hamida Chatur, l’épouse Kamerhe et les enfants de l’ancien dircab de Fatshi. Le rassemblement avait été fermement dispersé par les forces de police déployées en conséquence, qui ont usé de grenades lacrymogènes pour se défaire de la foule grandissante.
Suffisant pour offrir l’occasion au parti de dénoncer la répression d’une manifestation pacifique, faisant état au passage de dizaines de victimes de la brutalité policière (et donc politique !). Le tout assaisonné par cette image qui a fait le tour de la toile : Hamida Chatur pleurant à chaudes larmes, entrecoupées de convulsions en raison des sévices subies par les manifestants UNC. Entre les alliés de Nairobi, le ton n’était plus à la fraternelle courtoisie. Depuis longtemps.
L’escalade qui a abouti la suspension de la participation des députés UNC aux réunions du CACH (qui ne se tenait vraiment plus, en fait) et de l’USN était suspendue dans l’air depuis plusieurs jours. Samedi 12 juin 2021, Billy Kambale dénonçait à l’avance l’acharnement dont VK faisait les frais par la justice interposée et proférait carrément des menaces au cas où les juges ne rendaient pas la liberté à son mentor. La réunion de crise de la direction politique de l’UNC mercredi, a livré les contours de ces représailles. Le communiqué qui l’a sanctionnée condamne et dénonce «… les irrégularités criantes observées au cours de la procédure en appel», autant qu’il constate que « malgré les appels du Président de la République (…) en vue de son implication en tant que garant du fonctionnement régulier de toutes les institutions (…) celui-ci n’a pas fait assez pour permettre à l’Honorable Vital Kamerhe d’accéder à un procès équitable».
Cohésion menacée ?
Si la suspension de la participation des députés aux réunions entre alliés a pu paraître faible aux yeux de certains observateurs, elle semble dictée par une sorte de realpolitik interne : aller plus loin ou exiger davantage exposerait le parti à des défections. Il n’est pas certain que tous les mandataires publics et ministres UNC acceptent de sacrifier leur confort à la tête de VK. A l’instar de l’élu de Butembo, Crispin Mbindule, qui s’est carrément désolidarisé de la décision de la direction politique du parti. «Je reste membre fervent du groupe parlementaire CACH et acteur permanent de l’Union Sacrée pour la Nation. Le fin de l’espoir est le commencement de la mort», a-t-il assuré dans un tweet.
Pour le reste, l’UNC semble vouloir rééditer janvier 2015, lorsque de concert avec les partis politiques de l’alors opposition au régime Kabila (dont l’UDPS/Tshisekedi), le parti de Vital Kamerhe organisait trois jours de manifestations de rue à Kinshasa et en provinces, entraînant la mort d’au moins 27 manifestants (chiffres officiels). Comme en 2015, des scènes de manifestations violentes qui se seraient déroulées dans certains quartiers de Kinshasa en guise de protestation contre la condamnation de Vital Kamerhe ont été diffusées dans les réseaux sociaux en prélude aux manifestations publiques à organiser par le parti kamerhiste dès le 18 juin 2021. Remake en l’air.
LE MAXIMUM
