Réserver l’exclusivité de l’accès à la présidence de la République aux seuls Congolais de père et de mère. C’est l’idée lancée il y a quelques semaines par l’ancien candidat à la présidentielle 2018, l’économiste Noël K. Tshiani Muadiamvita qui provoque des remous dans le microcosme politique national. Elle ne laisse personne indifférent et le ton ne cesse de monter entre protagonistes prêts à tout pour soutenir leur point de vue.
Sur les réseaux sociaux, les échanges prennent souvent un tour passionné. On a ainsi entendu l’auteur de la démarche traiter carrément ses contradicteurs de «bâtards». Une insulte qui en a révolté plus d’un, y compris parmi les partisans de l’initiative qui estiment qu’il ne fallait pas en arriver là.
Echanges vifs
Les répliques n’ont pas tardé. Dont celle d’Olivier Kamitatu Etsu, directeur de cabinet de Moïse Katumbi Chapwe, l’ancien gouverneur de l’ex-Katanga dont les ambitions pour le top job ne sont plus un mystère, malgré son alliance avec le chef de l’Etat Félix-Antoine Tshisekedi qui, comme on le sait, est candidat à sa propre succession en 2023.
Ancien cadre de la rébellion du Mouvement de Libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba, Kamitatu a rappelé dans un tweet le week-end dernier que la question de la nationalité d’origine des aspirants à la magistrature suprême en RDC avait été réglée par le Dialogue intercongolais de Sun City. Et que y revenir équivaut à remettre en question la pacification du pays qui a résulté de cette entente. De ses propos, sourd comme une menace de remettre le feu aux poudres si les Congolais de père ou de mère étranger étaient interdits d’accès à la magistrature suprême. Cela sous-entend que les dividendes politiques acquis par les armes ne peuvent pas être remis en question au risque de mettre le pays en danger.
Un argument qui n’emporte pas l’adhésion de ceux des Congolais qui estiment qu’en réalité la guerre n’a jamais vraiment cessé dans leur pays malgré le dialogue de Sun City. Pour cette opinion, la paix précaire arrachée sous l’égide de l’Afrique du Sud en 2002-2003, est demeurée volatile jusqu’à ce jour.
Menaces à peine voilés
José Endundo Bononge, un autre membre du parti katumbiste, affirme que «les gens qui soutiennent Noël Tshiani doivent savoir qu’en cas de troubles 1) il ne risque rien. Il sera évacué parce qu’il est Américain 2) il n’a rien à perdre, n’ayant rien en RDC (il vit à l’hôtel)».
Moïse Katumbi lui-même s’est, au terme d’un séminaire organisé par son parti Ensemble pour la République la semaine dernière à Lubumbashi, présenté comme la véritable cible de la proposition de Tshiani, estimant que ce dernier voudrait se faire une célébrité sur son nom.
Hors du camp de Katumbi, d’autres critiques se sont fait entendre également, comme celle de l’ex-première dame Olive Lembe Kabila qui a exprimé sa désapprobation de l’idée de la congolité.
Au sortir d’une messe organisée à Lubumbashi par l’association «Les Femmes du Haut-Katanga» en faveur des Congolais de Goma, l’épouse du président honoraire Joseph Kabila, par ailleurs présidente de la Fondation Initiative Plus, a dit que cette proposition était inopportune et qu’elle ne conduira le pays nulle part. Elle conseille aux Congolais de «faire attention avec des initiatives pareilles. Si moi je me permets de parler, c’est parce qu’involontairement je me suis retrouvée leader d’opinion quand-même parmi les femmes du Congo. Joignons-nous chers compatriotes, unissons-nous. Des querelles inutiles, des rejets, des choix soit disant de congolité et consorts, ça ne nous amènera nulle part. Ça risque de provoquer notre chute encore une fois. Et pourtant, nous avons déjà pris un très bel élan avec tout ce que mon mari Joseph Kabila Kabange a consenti comme sacrifice, de façon à ce que nous en arrivions là. Nous n’avons pas besoin de reculer», a-t-elle déclaré avant d’ajouter : «je pense que le peuple congolais dans son ensemble est d’accord avec moi que c’est mieux de mettre une brique au-dessus de celle qu’on trouve au lieu de la détruire quand on ne sait même pas où est-ce qu’on va aller trouver une pierre de sable. Nous devons faire attention».
De son coté, Constant Mutamba du parti Nogec (FCC) s’intérroge : «entre un Congolais de père et de mère détourneur de deniers publics, et un étranger qui investit ses millions au Congo, lequel des deux aime réellement le Congo, et est digne d’être appelé Congolais ?».
Pour ce jeune leader kabiliste, la congolité est un faux débat. «Là où Noël Tshiani a mis la conjonction de coordination, nous proposons ‘‘ou’’ et non ‘‘et’’. La plupart de grands dirigeants au monde ont été binationaux. L’important, c’est ce qu’un compatriote peut faire pour sa nation. La nationalité est une question juridique et non sociologique», a-t-il précisé.
Defi Donado est, pour sa part, convaincu que cette proposition consacrerait un recul de la pensée et inciterait au jeu de la stigmatisation et de la haine en violation de l’article 12 de la constitution. Car «lorsque les enfants nés dans le mariage cherchent à exclure ceux nés hors mariage de la succession au mépris de la loi qui les classe tous parmi les héritiers de la 1ère catégorie et au mépris du testament du decujus de son vivant, cela va conduire à un conflit de succession avec pour conséquence la dislocation de la famille. Si nous voulons bâtir une nation forte au coeur de l’Afrique, nous devons apprendre à vivre ensemble comme une famille. Qualifier quelqu’un d’étranger pendant qu’il a le jus soli (né en RDC) et le jus sanguinis (né d’un parent congolais) relève purement et simplement de la méchanceté et non du patriotisme. Je plaide en faveur de l’insertion du background check parmi les conditions d’éligibilité. Il faudrait tout au plus instituer une clause de l’exclusivité de la nationalité congolaise à l’égard des seuls Congolais issus des pays voisins, ainsi qu’une revisitation de la nationalité collective accordée aux Banyamulenge par un recensement et un réexamen au cas par cas de leur nationalité».
Tshiani persiste et signe
En début de semaine, le débat sur le verrouillage de l’accès à la magistrature suprême en RDC a pris une autre tournure avec la manifestation de soutien projetée par un groupe dénommé «La société civile révolutionnaire» à Lubumbashi. Prévue mercredi 2 juin 2021, la manifestation sollicitée officiellement a d’abord été acceptée par le maire de la ville avant d’être interdite par la même autorité urbaine. Probablement parce qu’entretemps, des voix s’étaient élevées pour dénoncer «la division, la discorde et la haine dans le pays» que distillerait une telle activité.
Rien de tout cela ne décourage Noël K. Tshiani Muadiamvita, qui vient d’annoncer une série de conférences-débat sur son sujet de prédilection.
Mardi 2 juin 2021 sur son compte twitter, il en a rajouté une couche en affirmant que c’est «pour avoir laissé l’accès aux postes de souveraineté aux Congolais dont la loyauté était partagée, que nous avons une armée infiltrée qui paie le prix de la complaisance». Des propos qui pourraient avoir une résonnance particulière, dans les territoires perturbés de l’Est congolais particulièrement.
Les défenseurs de l’initiative de Noël Tshiani rappellent que cette dernière ne concerne pas directement la question de la natonalité. D’autant plus que Tshiani lui-même a déclaré être partisan du principe de l’irrévocabilité de la nationalité congolaise, c’est-à-dire de la double nationalité. Elle ne vise qu’à réserver exclusivement aux seuls Congolais ayant un père et une mère de nationalité congolaise l’accès au poste de président de la République et ne signifie nullement qu’une personne n’ayant pas de géniteur congolais ne puisse pas être de nationalité congolaise.
«Le Tchad, la Zambie et la Tanzanie ainsi que la République du Zaïre sous Mobutu avaient la même législation», rappelle le chercheur indépendant congolais Ephraïm Kazaku qui met en garde contre une nouvelle forme de colonisation qui semble se profiler à l’horizon. Pour soutenir leur leader, des pros katumbistes se sont donnés rendez-vous à Lubumbashi (Haut Katanga) jeudi 27 mai 2021, officiellement pour un séminaire de formation des Coordonnateurs provinciaux et nationaux du parti, «Ensemble pour la République». Journalistes et acteurs politiques acquis à Katumbi, ont été aussi conviés à ces assises qui se sont clôturées le 29 mai 2021.
Un chroniqueur lushois a noté la tendance à l’exhibitionnisme chez les partisans du chairman du TP Mazembe.
Partagé entre ceux qui estiment devoir soutenir le président de la République Félix Tshisekedi et son Union sacrée de la nation, et ceux qui piaffent d’impatience pour monter sur les barricades de 2023, le parti de Katumbi doit en même temps faire face à la polémique larvée sur le leadership de la coalition «Lamuka» dont la présidence se dispute entre Katumbi et Martin Fayulu.
Katumbi paraît de plus en plus gêné par la proposition de loi de Tshiani et y réagit en recourant à des attitudes victimaires. On constate cependant dans ses prestations une faiblesse de convictions sérieuses que cet universitaire de Lubumbashi qualifiait récemment d’indigence de la pensée. Cela se manifeste par le recours à des formules lapidaires du genre «nous sommes unis dans l’effort et par le sort» ou «je ne répondrai pas à des bêtises» chaque fois qu’il lui est demandé de réagir aux propositions de ses pourfendeurs. Il est de plus en plus évident qu’un tel acteur politique ne dispose pas de bagage politique susceptible de contenir un projet de société crédible pour l’avenir et le devenir du Congo. «Avec Moïse, rien jamais ne change, rien jamais n’est accompli. On passe simplement d’une polémique à une autre, d’une ‘‘cause urgente’’ à la suivante. Pur narcissisme», a écrit dans récent posting largement partagé, Jean-Louis Kakosa pour qui «les gens comme Moïse Katumbi aiment se considérer comme les héritiers du Mahatma Gandhi et Nelson Mandela dont il a même prétendu dupliquer l’ANC en RDC. Ce genre de poseurs, adeptes du ‘‘m’as-tu vu’’ se soucient bien plus des ‘likes’ sur Instagram que de réelle justice sociale et de développement durable qu’ils prétendent défendre. Ce ne sont que des pâles copies des héros des droits civiques d’hier qui s’agitent pour les besoins de la cause dès qu’ils disposent d’un pactole financier afin d’attirer l’attention du monde sur eux sans se soucier de la cause elle-même. Ce qu’ils cherchent c’est simplement l’opportunité de ramasser les miettes de la sensibilisation crachées par le festin des maîtres du monde dont ils veulent coûte que coûte attirer les projecteurs».
Au moment où les katumbistes brandissaient leurs pancartes bariolées, il était difficile de croire que leur leader était sérieusement préoccupé par l’idée de travailler pour une cause autre que la sienne propre.
Les efforts consentis par le patron d’Ensemble pour la République pour attirer l’attention et la compassion sur lui-même ne sont pas une marque d’altruisme et de patriotisme. Même sa prétendue générosité pour les victimes de l’éruption volcanique de Goma n’apparaît à cet égard que comme un faire valoir.
«Il n’y a pas de mal à ce que des agitateurs stipendiés jouent aux ‘‘freedom fighters’’ pendant quelques jours. S’ils cherchent à se présenter comme des champions de la justice sociale sur les réseaux sociaux, c’est leur droit le plus légitime. Mais cela ne doit pas faire illusion car le coût en termes sociopolitiques peut être énorme», ajoute Kakosa.
Les causes que défendent la plupart des katumbistes prennent désormais l’allure d’un carburant pour l’autoglorification. On ne sent chez eux aucun véritable engagement émotionnel ou psychologique. Lorsque les journalistes manipulés sont repus et obtiennent le nombre voulu de ‘likes’ d’un public tout autant manipulé, la tendance est à l’essoufflement. Il leur faut alors du temps pour se ressourcer avant de se tourner vers une autre ‘‘cause’’ pouvant leur rapporter une fournée de followers Instagram.
Ce cycle endiablé contribue à une succession de protestations sans consistance. Pendant un certain temps, une crise ou une tragédie comme le volcan de Goma ou le débat sur l’accès à la fonction présidentielle délibérément confondu avec celui sur la nationalité de Katumbi font grimper l’audimat. Des réseaux politiquement polarisés et des débats radiotélévisés font le reste. On passe alors à autre chose. Rien n’a changé. Rien n’a été accompli.
Ces tocades déguisées en causes politiques sont un objectif de prédilection pour Katumbi. Il est en effet plus facile de faire semblant d’être attaqué que de prendre des risques en s’impliquant effectivement dans la lutte pour le mieux être collectif.
Il suffit de signer quelques chèques et de multiplier des annonces sensationnelles pour soulever une vague d’indignation comme celle entretenue contre Noël Tshiani qui n’a rien fait d’autre qu’émettre une idée, un droit inalénable dans une démocratie.
Pas un enfant congolais affamé ne mange quand les partisans de Moïse -le-libérateur se prennent en selfie avec leurs pancartes. Pas un sinistré de Goma n’est assisté parce que les drapeaux du futur candidat président flotte à Lubumbashi.
Les Congolais qui peuvent résoudre certains de ces problèmes ratent au contraire de le faire parce qu’ils sont distraits par ces chasseurs de ‘likes’ sur la toile.
il faut arrêter de gaspiller la liberté pour laquelle beaucoup de Congolais sont morts pour de telles simagrées.
A.M AVEC LE MAXIMUM