En RDC, l’effectivité du pouvoir a changé de camp, mais certains caciques du Front commun pour le Congo (FCC) de l’ancien président Joseph Kabila résistent. Tout se passe en ce moment comme si les stratégies de remontada qu’ils élaborent cahin-cahan en prévision de 2023 ont une chance d’aboutir.
A l’allure où vont les choses, d’aucuns y voient plutôt une sorte de miroir aux alouettes dans la mesure où JKK, patron incontesté du FCC a, à sa manière taiseuse envoyé à qui veut comprendre le message que ce combat-là ne l’intéresse guère.
Certains, faisant contre mauvaise fortune bon coeur, estiment qu’il faut revenir à des fondamentaux pour repartir sur des bases saines en acceptant de jouer un rôle d’opposition républicaine.
Cependant, il s’observe dans les hautes sphères du front kabiliste une certaine incapacité à imaginer et à accepter la situation nouvelle imposée par l’Union sacrée de la nation (USN), coalition gouvernementale élargie voulue par le président de la RDC, Félix Tshisekedi.
Ces jusqu’auboutistes qui avaient mis le feu aux poudres en refusant d’écouter par un amour propre démesuré le malaise et les propositions de Fatshi semblent aujourd’hui tourner en rond.
Il n’y a pas longtemps pourtant, la plateforme de Kabila était crainte et d’aucuns continuent à penser qu’il est peut-être encore trop tôt pour effacer complètement le 4ème président de la RDC du tableau.
Kabila aura de toute manière été pendant 18 ans l’homme qui était «le jeu lui-même» et cela s’est reflété à la manière dont beaucoup de Congolais et même de partenaires extérieurs ont perçu la coalition FCC-CACH à ses débuts. Malgré la défaite de son dauphin à l’élection présidentielle, il contrôlait les deux chambres du parlement et la grande majorité des provinces.
On pensait qu’il était difficile, voire impossible que Félix Tshisekedi qui, pour certains, projetait l’image d’un leader gentil, quelque peu naïf puisse surmonter une telle puissance institutionnelle écrasante.
Lorsque le bureau de l’Assemblée nationale dirigé par Jeanine Mabunda, une alliée de taille de Kabila est tombé le 10 décembre 2020, cela a pris presque tout le monde par surprise. Même ceux qui avaient soutenu la pétition contre l’élue de Bumba n’en revenaient pas de constater à quel point il avait été facile de renverser l’un des piliers de la mainmise de l’ancien président Kabila sur le pouvoir.
«Tout est tombé comme un château de cartes», selon une expression chère au philosophe camerounais Achille Mbembe.
Les rumeurs autour du nombre de signataires de la pétition contre Mabunda qui circulaient et le vote de la pétition à son encontre ont renforcé, voire dépassé les espoirs des adversaires du FCC.
Par la suite, c’est le 1er ministre FCC Ilunga Ilunkamba et le bureau du Sénat conduit par Alexis Thambwe Mwamba qui sont passés à la trappe.
Il s’en est suivi une importante vague de défections très médiatisées tant au sein du PPRD, parti de Joseph Kabila que du FCC, sa plateforme politique.
Cet effritement a dévoilé certains points faibles de la stratégie de l’ancien président. «Son pouvoir a été démystifié et on a découvert que le maillage dont il avait entouré la totalité des institutions hormis le président de la République n’était pas aussi épais qu’on le croyait», explique à ce sujet un député national qui a quitté le FCC pour adhérer à l’Union sacrée de la nation (USN) de Tshisekedi qui était devenu subitement le nouveau maître du jeu.
L’historien et philosophe français Michel Foucault a, évoquant le Léviathan de Thomas Hobbes, et en particulier sa notion de la «guerre de tous contre tous» dans un cours au Collège de France (février 1976), soutenu que cela s’obervait aussi bien avant la création de l’État mais aussi dans le cadre des États modernes. En précisant toutefois qu’il ne s’agit pas nécessairement d’une guerre avec des armes ou entre des forces sauvages déchaînées, mais plutôt d’une guerre des apparences, destinée à faire croire en sa propre force. «Il y a des représentations, des manifestations, des signes, des expressions emphatiques, rusées, mensongères ; il y a des leurres, des volontés qui sont travesties en leur contraire, des inquiétudes qui sont camouflées en certitudes. On est sur le théâtre des représentations échangées, dans un rapport de peur qui est un rapport temporellement indéfini», a-t-il martelé.
Aujourd’hui, le pouvoir de Félix Tshisekedi repose autant sur son contrôle croissant des institutions publiques que sur un effort de cultiver une sorte d’aura d’invincibilité. Cette aura est représentée par le surnom “Fatshi béton” qu’affectionnent ses partisans.
Comme pour dissiper l’idée d’un président faible, ce sobriquet qui lie le chef de l’Etat à un matériau “dur” fait référence à la fois au béton coulé dans le cadre de ses programmes d’infrastructures publiques et à l’idée d’un président fort et, pourquoi pas inamovible. Aujourd’hui, cette formule prend une autre consonnance avec ses récentes victoires politiques.
La question est de savoir si ces dernières sont aussi solides que le béton. “Fatshi béton” projetera-t-il davantage l’image de l’homme fort au sens mobutien du terme ou celle d’un leader charismatique et mosaïque, moins enclin à inspirer la peur ?
Entretemps, le jeu, cette guerre des apparences semble ne jamais se terminer. Le vrai défi n’est pas de créer et de maintenir une image de force. Il réside dans l’intrigue et le contrôle des perspectives et des avatars de l’émergence de la nation.
Il s’agit de gouverner avec en tête une obligation de résultat face aux attentes de la population, de briser le carcan symbolique postcolonial dans lequel tant de dirigeants en Afrique et au Congo en particulier semblent condamnés à s’engluer en répétant les mêmes représentations propres au «guide providentiel» dénoncé par le Brazza-congolais Sony Labou Tansi.
Comment créer de la redevabilité et un climat de respect mutuel entre le président et les citoyens ? Les exemples en Afrique et ailleurs abondent. Sankara qui a fait cesser la pratique de l’affichage onirique du portrait présidentiel en tout lieu; Magufuli qui a renoncé aux jets privés et a privé ses ministres de voyages en 1ère classe et le Pape François qui a lavé les pieds des détenus en sont quelques exemples édifiants. Fatshi lui-même ne semble pas indiférent à ce défi des apparences comme il l’a démontré à l’entame du 1er gouvernement de sa mandature lorsqu’il a payé de sa personne pour aider une ministre vivant avec handicap à monter les escaliers à la cité de l’Union africaine.
A.M AVEC LE MAXIMUM