Le 16 janvier dernier, lors d’un culte en mémoire de Mzee Kabila, l’évêque général de la Nouvelle Eglise méthodiste, le pasteur Daniel Ngoy Mulunda, a tenu du haut de la chaire des propos pour le moins questionnables. Surfant sur les atavismes sécessionnistes répandus au Sud de la RDC, l’ancien président de la CENI s’est livré à une digression dans laquelle il a cédé à une violence verbale déconcertante. Une mode qui s’installe insidieusement dans le pays veut que des ministres de Dieu prennent ouvertement le parti d’un camp dans les barouds politiques qui opposent leurs ouailles. Réputé proche du président de la République honoraire Joseph Kabila, le Révérend Ngoy Mulunda a proféré des insinuations dolosives en voulant établir un lien entre Kabila et la résurgence des velléités sécessionnistes au Katanga : «le katangais a toujours sa hache en main. Toutes les fois qu’il manifeste ou qu’il s’indigne, c’est parce qu’il a envie de couper. Je vais maintenant dire des choses qui fâchent. Je vais vous dire ce que les autres doivent faire s’ils veulent continuer à profiter du lait et du miel du Katanga. Première chose, si vous voulez que le Katanga ne se détache pas, il faut respecter nos dirigeants au premier rang desquels le sénateur à vie Joseph Kabila et notre mère l’ex-première dame Olive Lembe. Deuxièmement, il faut arrêter de corrompre nos députés pour les pousser à violer la Constitution. Troisièmement, il faut cesser de déstabiliser nos gouverneurs afin d’imposer des gens qui vont prendre notre lait et miel pour vous le donner au détriment des katangais. Si ces trois conditions ne sont pas réunies, la hache est prête», avait-il déclaré avant d’enchaîner : «les conducteurs des motos taxi doivent respecter les règles de la circulation routière. Leur désordre sur la voie publique, ils peuvent aller le faire à Canaan, pas sur la terre de Tshombe». Un mélange de genres que les services locaux d’intelligence n’ont pas digéré, ce qui a entraîné son arrestation musclée 48 heures plus tard.
Les images des portes et des meubles défoncés dans sa résidence cossues avec des enfants traumatisés en larmes ont fait le tour des réseaux sociaux. Embastillé dans les locaux de l’Agence nationale des renseignements (ANR) avant d’être transféré à la prison de Kasapa, Daniel Ngoy Mulunda y a été jugé en procédure de flagrance. Son épouse, Mme Shimba Ndala Mulunda qui parle d’un procès de la honte affirme que «dès le début, mon mari est resté serein, toutes les accusations étant fausses. Les juges ont violé toutes les procédures et semblaient agir sur des instructions fermes, leur arrêt de condamnation étant conçu avant même toute procédure judiciaire. La volonté de condamner mon mari, le Surintendant Général de la Nouvelle Église Méthodiste, les a poussé à jeter le discrédit sur la magistrature pourtant très respectée. La presse a été interdite d’accès à la salle d’audience, ce qui est une entrave à la publicité de la procédure. Si mon mari a commis les fautes lui reprochées, pourquoi les juges ont-ils prononcé leur verdict dans leur bureau à 23 heures, en l’absence de l’accusé et de ses avocats ? Après, ils ont tous quitté précipitamment leur juridiction et c’est en vain qu’on les a cherché pour l’établissement des minutes et des procès verbaux. Malgré cette condamnation arbitraire, il va continuer à annoncer l’évangile libératrice de Jésus-Christ. Je remercie la brillante équipe de ses avocats qui maîtrise bien le droit et qui a mis les juges en difficulté et à maintes reprises».
Une condamnation au premier degré à 3 ans de prison ferme a été prononcée à son encontre malgré les véhémentes protestations de sa défense arguant d’un procès jugé trop expéditif.
Une logomachie excessive
Ceux qui lisent les écrits du révérend Ngoy Mulunda, notamment sur son compte Twitter, ne s’étonnent pas de la tonalité de sa prédication qui a fait le buzz sur la toile le jour où le pays tout entier commémorait non pas un leader local mais l’assassinat d’un Héros national. Depuis que la coalition FCC-CACH a commencé à battre de l’aile suite à la décision du président Félix Tshisekedi d’y mettre un terme, Mulunda avait multiplié les critiques acerbes contre ce dernier. On sait que sa proximité idéologique avec le souverainiste Joseph Kabila lui avait valu d’être désigné à la tête de la centrale électorale en 2010. «Au lieu de s’en tenir à l’impartialité qui sied à un leader religieux, le révérend n’a jamais cessé de prendre fait et cause pour ses corégionnaires qu’il estimait lésés par la mise à mort de la coalition FCC-CACH. Ses plaidoyers pour le premier ministre démissionnaire Sylvestre Ilunga Ilunkamba et pour Joseph Kabila qu’il considérait plus comme des leaders katangais que comme des dirigeants politiques nationaux ressemblait de plus en plus à un chantage répugnant», rappelle un membre influent du sérail présidentiel en brandissant des postings du clergyman dans lesquels il est écrit : «il va falloir que le Katanga qui participe à hauteur de 60% au budget national soit respecté, sinon les katangais vont s’assumer», et «à quoi sert-il de rester dans l’unité nationale avec des gens qui aiment les richesses du Katanga sans respecter les katangais?». Pour cette source s’exprimant sous le sceau de l’anonymat, aucun katangais n’a donné mandat au pasteur de parler en son nom. Et Joseph Kabila qu’il tente de ravaler au rang de parrain d’une sécession en gestation n’est plus seulement un leader katangais. Il est, de par les hautes fonctions qu’il a eu à occuper, un patrimoine national, voire continental. «Dans une Afrique où la tentation est à des tripatouillages de constitutions pour des présidences à vie, Kabila a honoré la RDC toute entière en respectant la limitation constitutionnelle des mandats et en procédant à une passation pacifique et civilisée du pouvoir avec son opposant le plus radical. Il jouit de ce fait d’une aura qui transcende sa province d’origine», ajoute-t-il.
Prosélytisme politique des religieux
Les déboires du révérend Mulunda illustrent la nécessité pour les confessions religieuses congolaises (toutes tendances confondues) de rester au milieu du village, contrairement à une pratique solidement établie depuis belle lurette dans ce pays. On peut rappeler à cet égard la tristement célèbre triptyque église (catholique)-sociétés à charte-administration coloniale qui est loin de s’être évanouie avec la tropicalisation du clergé car la toute puissante Conférence Épiscopale Nationale du Congo (CENCO) ne s’est jamais départie du lourd passif colonial. Nul n’ignore que les assemblées générales de cette structure faîtière de l’église catholique romaine, la plus importante en RDC, plutôt que d’être des moments d’affermissement de la foi chrétienne, sont généralement des rendez-vous politiques assortis de communiqués au vitriol critiquant souvent au nom d’une prétendue «mission prophétique» que les prélats se sont auto-attribuée sur la situation sociopolitique et économique du pays. Certes, les évêques comme tous les membres de la société civile ont le droit de tirer la sonnette d’alarme face aux dysfonctionnements de la communauté nationale. Mais force est de constater qu’ils s’autorisent à distribuer sélectivement des anathèmes en décrétant qui, parmi les responsables politiques du pays sont «légitimes» ou non tout en gardant le mutisme sur des questions morales ou éminemment spirituelles comme le recul de la foi catholique face à la montée en puissance des églises évangéliques.
Par ailleurs, les accointances de certains princes de cette confession religieuse avec des groupes d’influence étrangers ou nationaux sont à ce jour un secret de polichinelle. À la dernière élection présidentielle, la CENCO ne s’est pas cachée d’avoir bénéficié d’importants financements occultes en vue de contrôler et orienter le processus électoral, ce qui la conduisit même à se substituer à la CENI en annonçant un vainqueur autre que celui révélé par la centrale électorale avant de se raviser et d’aller à Canossa toute honte bue. Au cours d’une émission télévisée, le député provincial katumbiste Mike Mukebayi a révélé que le Comité Laïc de Coordination (CLC) que l’on pensait devoir à une initiative de la hiérarchie catholique, était en réalité une création pour les besoins de la cause du candidat président Moïse Katumbi depuis son exil à travers feu Pierre Lumbi et un prélat catholique dont il n’a pas donné l’identité. Même les gourous traditionnels ne sont pas restés apolitiques. Les frasques de Ne Mwanda Nsemi et de sa secte Bundu dia Kongo sont connues de tous. Ses appels à la création d’un État constitué uniquement des ne kongo ainsi que les menaces répétées de ses miliciens (makesa) contre les non originaires du Kongo-Central ont souvent provoqué des bains de sang mais le président Félix Tshisekedi a privilégié à son égard la carotte plutôt que le bâton par souci de préserver la paix sociale.
D’autres tribuns des églises de réveil y vont aussi de leur prosélytisme politique débridé. Dans une vidéo qui circule sur les réseaux sociaux, l’on entend ainsi un quidam, pasteur de son état, promettre carrément la mort à tout ressortissant du Kasaï qui s’aviserait de faire de l’opposition à Félix Tshisekedi au cours d’une campagne d’évangélisation au stade Kashala Bonzola de Mbuji Mayi sans se faire inquiéter outre mesure par la justice.
À Kinshasa, la saga de l’évêque des ACK, Pascal Mukuna, qui transforme ses prédications en meetings politiques, a repris de plus belle après une brève interruption due à son interpellation pour une affaire de mœurs sur fond de menaces de mort et d’extorsion aux dépens d’une de ses fidèles. Rien à voir avec ses messages de haine et de discrimination ethnique.
Fatshi en sapeur-pompier
Pareil déferlement de l’intégrisme religieux peut avoir des conséquences incalculables sur la stabilité du pays. Le chef de l’Etat a, depuis son avènement fait preuve de pondération tout en évitant que les extrémistes ne mettent en péril la paix et la cohésion nationale toujours fragiles. Pour le cas du pasteur Ngoy Mulunda, il était certes nécessaire que la justice passe car les pouvoirs publics se devaient de frapper du poing sur la table face à de tels débordements. Néanmoins, les conditions de son arrestation et le caractère expéditif de son procès comparés à la complaisance dont bénéficient d’autres extrémistes font croire à une politique de deux poids deux mesures dans la prise en charge des dérapages politiques des dignitaires religieux. La main trop lourde des juges contre Mulunda peut avoir pour conséquence de le transformer en martyr et de braquer davantage les séparatistes katangais qui ne sont du reste pas quantité négligeable à ce jour quoiqu’on en dise. D’où l’importance de la longanimité du chef de l’État qui pourrait user du même gant de velours dans la main de fer dont a bénéficié Ne Muanda Nsemi notamment. Une mesure de grâce présidentielle ou un assouplissement de la peine frappant le pasteur katangais contribuerait à calmer le jeu dans la province cuprifère et favoriserait la réconciliation intercommunautaire dans cette partie du territoire national qui en a le plus grand besoin.
JBD