Lorsqu’en avril 2014 Lambert Mende, considéré alors comme la bouche autorisée du régime Kabila avait déclaré sur TV5 Monde que Joseph Kabila quitterait le pouvoir à la fin de son deuxième mandat constitutionnel, il eut à subir une véritable volée de bois vert de la part de ceux de ses commensaux qui dans l’alors Majorité Présidentielle (MP) estimaient qu’ils n’étaient pas encore «rassasiés» (kotonda) du pouvoir incarné par JKK.
Davantage aiguillonnés par le «Kabila-désir», plusieurs caciques refusaient d’accepter que le temps était à la préparation d’une sortie honorable du Raïs du top job qu’il exerçait depuis 2001 et qu’il leur fallait, pour l’intérêt supérieur de la nation, résister à la tentation du raccourci consistant en des stratagèmes pour la conservation ad vitam aeternam de l’impérium.
Joseph Kabila lui-même avait pourtant annoncé les couleurs lorsque, s’appuyant autant sur la sagesse des nations que sur les textes en vigueur dans son pays, il avait solennellement rassuré ses compatriotes dès 2007 qu’il ne toucherait pas aux dispositions intangibles de la constitution de 2006 (article 220) parmi lesquelles la limitation à deux des mandats présidentiels successifs.
Certes les organisations humaines ont un cycle de vie fait de hauts et de bas, mais le revers que connaît le FCC à l’heure actuelle n’est pas nécessairement lié à cette décision de JKK de ne pas tripatouiller la loi fondamentale à l’instar de nombre de ses homologues du continent pour s’adjuger un troisième mandat consécutif à la tête de l’immense RDC. Les raisons de ces déboires sont plutôt à rechercher dans les attitudes et comportements inconséquents qui étaient devenus comme une seconde nature chez un certain nombre de ses plus proches collaborateurs.
Mystification de l’autorité morale
Au lieu d’être le pivot du débat qui féconde l’agir des formations politiques membres du FCC pour leur pérennisation dans l’arène politique et institutionnelle, le concept ‘‘autorité morale’’ a plus servi de couverture à des intermédiaires indélicats qui s’étaient érigés en deus ex machina bien déterminés à tout régenter dans cette famille politique par commodité personnelle en s’abritant derrière le bouclier des «instructions venues d’en haut».
Pour empêcher les esprits critiques de vérifier la réalité desdites ‘‘instructions’’, ce groupuscule avait érigé un mur étanche entre l’autorité morale (Joseph Kabila) et les autres sociétaires du front. Taciturne, modeste et peu porté sur les salamalecs, le quatrième président du Congo-Kinshasa a commis l’erreur de se fier aveuglément à ces intermédiaires ambitieux qui ne partageaient manifestement pas ses convictions idéologiques bien qu’appartenant au parti politique qu’il a eu le malheur de créer en étant déjà au pouvoir avec ce que cela implique d’appel d’air drainant plus d’ivraie que de bons grains.
Nombre de formations politiques et des personnalités qui s’étaient ralliées à son leadership l’avaient pourtant alerté sur les dangers que représentaient ces thuriféraires plus préoccupés par les prébendes du pouvoir que par la réalisation d’actions pouvant lui permettre de laisser des traces tangibles dans l’histoire et les esprits de ses compatriotes survoltés par de dures épreuves depuis l’aube de l’indépendance en 1960. En vain.
Bien que peu préparé à l’exercice du pouvoir suprême auquel il avait accédé accidentellement en 2001 suite à l’assassinat de son père et prédécesseur Mzee Laurent-Désiré Kabila, JKK s’était très rapidement adapté au point de tenir d’une main ferme et assurée les rênes de l’Etat pendant 18 ans au cours desquels il parvint à réunifier un pays promis à la balkanisation par les «maîtres auto-proclamés du monde» et à le doter d’institutions grâce à une constitution adoptée par référendum populaire qui régit aujourd’hui la vie institutionnelle.
Le caractère laborieux de ces performances ne semblait guère émouvoir les thuriféraires susmentionnés qui s’étaient imposés dans son entourage et qui, toute honte bue, nageaient dans la jouissance et la boulimie en espérant naïvement de lui des solutions magiques aux problèmes politiques et socio-économiques du pays nécessitant une exploration des pistes innovantes de solutions et une contribution de tous.
Déficit de démocratie participative
Il y avait bien au sommet du FCC une très protocolaire ‘’conférence des présidents des regroupements et partis politiques membres’’ mais elle n’était convoquée qu’épisodiquement en cas d’urgence et au seul gré des besoins de visibilité d’un omnipotent coordonnateur. «Depuis l’échec de son dauphin désigné pour l’élection présidentielle du 30 novembre 2018, Joseph Kabila n’a présidé l’aréopage de sa plateforme qu’à trois ou quatre reprises et en mode d’urgence. Alors qu’il n’avait plus les charges de l’Etat qui l’accaparaient auparavant, il s’est laissé convaincre de faire sous-traiter la gestion de sa machine politique par un petit noyau de membres de son parti, le PPRD qui avait pourtant été à la base de la débâcle lors de cette élection présidentielle», déplore un membre de la conférence des présidents qui accuse la coordination du FCC d’avoir manqué de sens de prospective et d’anticipation. Il en veut pour preuve la déroute inattendue du Front à l’élection présidentielle consécutive à une gestion incurieuse du budget de campagne, l’un des plus importants parmi tous les compétiteurs et à la non-prise en compte des avis des uns et des autres.
D’aucuns accusent le candidat et ses proches de n’avoir pas employé à bonne fin les moyens mis à sa disposition pour sa campagne. Pour compenser ce déficit, il s’en serait remis aux gouverneurs de provinces presque tous membres de son parti. « Même au sein de son propre parti politique, des membres influents qui n’étaient pas convaincus de la justesse du choix porté par l’autorité morale sur Shadary comme candidat ne s’étaient guère mobilisés avec beaucoup de détermination autour de lui. Certains, déçus de n’avoir pas été pointés sont allés jusqu’à recommander à leurs bases respectives de voter pour d’autres candidats», croit savoir un analyste proche de l’ancien parti présidentiel pour qui il aurait mieux valu s’en remettre à un processus démocratique interne pour sélectionner par des primaires le candidat commun du FCC au lieu d’en référer aux seuls tours de magie sortis des manches de l’autorité morale.
D’autres décisions comme la désignation du 1er ministre chef du gouvernement, des ministres et des speakers des deux chambres législatives à majorité FCC ont suivi sans que les sociétaires de la plateforme ne se sentent concernés car le coordonnateur se limitait généralement à les informer des choix ‘‘discrétionnaires’’ de l’autorité morale même lorsqu’il s’agissait vraisemblablement de petits arrangements particuliers.
Déficit organisationnel
La dilatation du temps au sein du FCC que l’on a baptisé “soubirisme” (du terme swahili ‘’soubiri’’ signifiant ‘’attendre’’) n’était plus en phase avec la célérité exigée pour atteindre les résultats à court et moyen termes.
Les réformes, les changements, les décisions, les prévisions et les réalisations doivent toujours être planifiées et synchronisées. Si la méthode consistant à prendre son temps a réussi à JKK à son avènement à la magistrature suprême en lui permettant de prendre à revers des excités qui le poussaient à commettre des impairs en profitant de son inexpérience, elle est devenue avec le temps une entrave responsable pour une large part de l’inertie et de l’enlisement du pays.
Par ailleurs, aucune organisation humaine ne peut survivre sans se structurer. Une mégastructure de la taille du FCC n’est pas concevable sans une équipe d’animateurs avec une répartition claire des tâches. Augustin Matata Ponyo, ancien 1er ministre de Kabila parle à ce sujet d’une structure «sans âme, donc presque un mort-né».
En fait, depuis sa création avant les élections générales de décembre 2018, le FCC n’aura été qu’une concentration de pouvoir entre les mains d’un coordonnateur tout-puissant, ancien directeur du cabinet présidentiel qui relevait exclusivement de l’autorité de Joseph Kabila et qui, profitant de la tendance de ce dernier à se retrancher dans sa tour d’ivoire, a géré les affaires de cette plateforme comme un bien privé au service de ses propres intérêts.
La tentation était en effet trop forte pour lui d’exiger notamment pour son compte un ‘‘retour d’ascenseur’’ comme le font tous les kings’ makers.
À la formation du gouvernement Ilunga Ilunkamba par exemple, des bruits persistants font état de ce que plusieurs regroupements politiques et personnalités avaient dû payer de plantureux pots-de-vin en échange des maroquins les plus juteux. Ceux qui ne se pliaient pas à cette exigence en forme de chantage après avoir englouti d’importants moyens financiers dans un épuisant cycle électoral dilaté par les interminables procédures à la Cour constitutionnelle n’avaient que leurs yeux pour pleurer lorsqu’il apparut que la composition du gouvernement n’avait tenu compte ni de leur poids électoral, ni de leur apport en industrie, le ‘‘butin’’ ayant été raflé par des partisans du moindre effort et du clientélisme.
Ce n’est qu’à demi mots que ces maux qui rongeaient le FCC pouvaient être dénoncés par les sociétaires échaudés. Ce fut le cas lorsque certains exigèrent au cours du séminaire de Mbwela Lodge à Kisantu fin 2019 que la plateforme dispose enfin d’une structuration normale de sa coordination, sans obtenir gain de cause.
À sa décharge, lorsque le navire a commencé à tanguer sous les coups de boutoir de son partenaire Fatshi, JKK avait promis que ce serait chose faite avant le 5 novembre 2020, arguant à bon escient de ce qu’il aurait été pour le moins imprudent de procéder à pareil exercice en pleine crise.
Conséquence prévisible : le FCC a sombré dans une crise de confiance qui a poussé plus d’un à quitter le navire en se passant de toute consécration par procrastination.
La politique est avant tout un art de concilier les intérêts vitaux des uns et des autres. À cet égard, le martyre ne peut y devenir la norme car nul n’a la garantie d’une récompense outre-tombe comme en religion.
Rattraper le temps perdu
Tout compte fait, aussi bien dans l’opinion nationale qu’au sein même du FCC, beaucoup se sont lassés de l’immobilisme qui caractérisait la vie de la plateforme. Le pays donnait l’impression d’avoir suspendu sa marche vers l’avant et cela ne pouvait en aucune manière faire l’affaire des sociétaires qui ont des comptes à rendre à leurs électeurs en 2023. Pour toutes ces raisons et d’autres, il était impérieux de créer un déclic.
Le vieux sage Léon Kengo Wa Dondo avait coutume de répéter que «le pouvoir est unique mais que c’est son exercice qui est partagé». La tendance à croire que l’échec du camp présidentiel (CACH) par exemple était tout bénéfice pour le camp du FCC qui pourtant partageait avec le chef de l’Etat l’exercice du pouvoir apparaît à cet égard comme totalement irrationnelle. D’autant plus que cela signifierait qu’entre temps le social des populations et la concrétisation de l’émergence du pays devraient être renvoyés aux calendes grecques pour des raisons de politique politicienne.
Le développement est un processus linéaire et cumulatif dans lequel chaque étape compte.
Un peuple ne se développe pas lorsque son élite s’acharne perpétuellement à lui faire perdre délibérément du temps. Les lignes devaient bouger dans un sens ou dans un autre.
Du point de vue d’un peuple qui a besoin d’omelettes, peu importe qu’il faille pour lui en fournir que les œufs de la basse-cour soient cassées par un autre que par le cuistot attitré.
JBD avec Le Maximum
FRONT COMMUN POUR LE CONGO (FCC) : Chronique d’un revers annoncé
