Dans une de leurs récentes éditions intitulée «pari risqué de la diplomatie américaine en RDC», nos confrères du quotidien français Le Monde révélaient que malgré toutes les couronnes de louanges qu’il tresse quotidiennement à Félix Tshisekedi en public, Mike Hammer, l’ambassadeur de Donald Trump en poste à Kinshasa ne considère en réalité l’actuel chef de l’État congolais que comme «un président de transition avant les futures élections» à l’issue desquelles les États-Unis compte placer à la tête du pays un de leurs hommes-liges.
Le terme transition dans l’acception prêtée à ce diplomate américain par Le Monde avait déjà été invoqué à Genève lors de la création de la plateforme électorale Lamuka sous le parrainage d’un groupe de néolibéraux occidentaux à l’initiative de la fondation Koffi Annan. Le but était de fédérer les opposants congolais les plus significatifs au régime de Joseph Kabila. Martin Fayulu, coopté candidat de Lamuka à l’élection présidentielle de 2018, s’était vu assigner pour mission en cas de victoire de ne garder le pouvoir que pendant deux ans avant de laisser la place à un autre comparse à la suite d’élections anticipées.
C’était avant que Félix Tshisekedi de l’UDPS et Vital Kamerhe de l’UNC ne quittent bruyamment le navire pour créer leur propre ticket dénommé Cap pour le Changement (CACH) une semaine plus tard à Naïrobi (Kenya). Deux ans après la victoire de Tshisekedi à la présidentielle, des pressions diplomatiques exercées sur lui débouchent sur une réconciliation avec ses anciens alliés de Genève au sein d’une «Union sacrée de la nation» qui s’apprête à former son propre gouvernement après l’émasculation de la majorité parlementaire FCC de Joseph Kabila à l’Assemblée nationale.
Malgré le nombre plus élevé des transfuges du FCC au sein de la nébuleuse Union sacrée, le fait que leurs représentants au sein des institutions de la République seront sous la coupe de l’UDPS (32 députés), de l’AFDC de Bahati Lukwebo (40 députés putatifs), du MLC de Jean-Pierre Bemba (22 députés) et de la constellation des regroupements politiques proches de Moïse Katumbi (69 députés), soit une «majorité» de 163 députés sur une Assemblée qui en compte 500. Une dispensation bizzare qui n’est que la pâle copie de la transition 1+4 vécue entre 2003 et 2006 pendant laquelle la gestion du gouvernement de la RDC fut partagée entre un président et 4 vice-présidents trônant chacun à la tête d’une coordination quasi-autonome ayant ses propres membres du gouvernement sous son emprise.
Fort de cette expérience, on peut préfigurer celle à venir à partir des profils des figures de la future tétrarchie.
Bahati Lukwebo
Ancien de la très politisée société civile du temps de la Conférence nationale souveraine, Modeste Bahati Lukwebo avait fini par s’adjuger les faveurs du Maréchal Mobutu qui en fit son ministre du Budget pendant la transition post-CNS. A ce titre, il sera embastillé pour détournement de deniers publics par le régime de Mzee Laurent Désiré Kabila qui le logea à la même enseigne que bien d’autres mobutistes sommés de rembourser les sommes et biens ‘‘mal acquis’’ avant de bénéficier de la «révolution-pardon».
À l’avènement de Joseph Kabila, Bahati reprit du poil de la bête et parvint à se faire nommer à la tête de la Société nationale d’assurances (Sonas). Fin stratège, il y réalisa des scores de mobilisation de recettes notamment en imposant le monopole de l’alors assureur national au charroi automobile et à la flotte aérienne de la mission onusienne en RDC. Un partenariat avec les douanes lui permit en outre d’imposer le payement de l’assurance des véhicules automoteurs à l’importation grâce notamment à la protection de la présidence de la République.
C’est donc économiquement requinqué qu’il s’est présenté en candidat indépendant à l’élection législative 2006 dans son Kabare (Sud-Kivu) natal où il pu rafler un siège.
L’Alliance de la Majorité présidentielle (AMP) en fit le questeur de l’Assemblée nationale au bureau dirigé par Vital Kamerhe. À la chute de ce dernier, un autre notable de la province du Sud-Kivu, Bahati est encouragé par l’AMP à créer un parti politique pour tenter de porter ombrage au très populaire Kamerhe devenu opposant avec une envergure nationale.
Son AFDC alignera 29 élus nationaux en 2011, ce qui lui permit d’occuper des maroquins prestigieux sept ans durant jusqu’au dernier gouvernement de l’ère Kabila. Ayant brûlé la politesse à ce dernier en se portant candidat à la présidence du Sénat contre Alexis Thambwe Mwamba, candidat de sa propre famille politique, il sera sacrifié dans le cabinet Ilunga Ilunkamba par le FCC qui lui préféra le Dr. Nene Nkulu et depuis lors, il rongeait son frein en attendant sa revanche. L’Union sacrée de la nation située par son géniteur aux antipodes du FCC de Kabila est donc une aubaine pour cet acteur politique qui aura survécu à tous les régimes depuis Mobutu.
Jean-Pierre Bemba
C’est dans un jet privé affrété par la présidence que le ‘’chairman’’ du MLC a fait un aller-retour express Gemena-Kinshasa pour répondre à l’invitation de Fatshi dans le cadre des consultations nationales. Deux heures d’entretien auront suffi pour que Bemba publie un communiqué enthousiaste saluant les mesures annoncées par son interlocuteur le 6 décembre. Un geste d’allégeance qui annonçait le retour aux affaires de l’ancien vice-président de la République, ex-bagnard de la CPI qui ne demande pas mieux que de voir disparaître par un tour de passe-passe juridique l’inéligibilité au ‘‘top job’’ qui lui colle à la peau depuis une condamnation définitive pour subornation de témoins par la justice internationale.
Moïse Katumbi Capwe
Avec ses 69 députés, l’ancien tout-puissant gouverneur de l’ex-grand Katanga, longtemps très proche de Joseph Kabila avant de devenir un de ses opposants les plus farouches, avait signé son retour à Kinshasa par un bain de foule qui n’a pas tenu ses promesses. La réception princière lui réservée au palais de la nation a dû faire oublier cette légère déconvenue à l’homme qui n’a jamais cessé de rêver aussi de la magistrature suprême. Sur RFI, il a du reste affirmé «demeurer encore opposant jusqu’à la formation du gouvernement de l’Union sacrée».
Son parti «Ensemble pour la République» venait d’obtenir fort opportunément l’agrément du ministère de l’Intérieur. En plus des strapontins qu’il convoite dans le futur gouvernement en vue de se refaire une santé financère dans la perspective de 2023, il revendique également une représentation conséquente à la CENI et à la Cour constitutionnelle.
Jean-Marc Kabund
Après sa déchéance du bureau Mabunda, il a fait de la requalification de la majorité à l’Assemblée nationale une affaire personnelle. Sa revanche, il l’aura obtenue en titillant avec le soutien de la présidence de la République la fronde parlementaire qui a conduit au renversement du bureau de la chambre basse. À la tête d’un parti présidentiel qui a connu une hémorragie drastique de cadres au cours de ces dernières décennies, Kabund est accusé d’encourager les coups de mentons et autres roulements de mécaniques à l’UDPS où il tiendrait en piètre estime les intellectuels capés dont il redouterait l’ombrage. Son autorité dans le parti a été souvent contestée par ces derniers mais en vain.
Très actif sur le terrain de la contestation par la rue, il s’est de nouveau imposé comme le vrai patron de l’UDPS après l’empêchement de Fatshi. «Parrain» des députés de l’Union sacrée qui lui rendent jusqu’ici l’ascenseur, il pourrait être l’un des pôles de décision du futur exécutif.
Conclusion
Fatshi a accusé le FCC de bloquer son action après 54 réunions du conseil des ministres présidées par lui-même. En fait, il tenait de mains de maître les commandes malgré l’indice pondéral du FCC dans la balance numérique gouvernementale. Faute d’être un président qui gouverne comme il en expose les envies, le chef de l’Etat va devoir concéder dorénavant la direction effective du gouvernement à ses anciens alliés qui sont certes venus l’aider à se débarrasser de Kabila dans la gestion des affaires de l’État mais n’en seront pas moins des rivaux coriaces pour lui en 2023.
JBD.
UNION SACREE : Une nouvelle transition ?
