Dans une chronique intitulée «Où le président Félix Tshisekedi mène-t-il le Congo?», la journaliste belge Marie-France Cros, connue comme une égérie des milieux néo-libéraux conservateurs européens, livre à ses lecteurs une lecture édifiante des derniers développements de la situation politique en RDC, particulièrement sur les consultations politiques initiées par le président Félix Tshisekedi et qui n’en finissent toujours pas depuis près d’un mois.
Exsudant par tous ses pores sa hargne contre Joseph Kabila dont le péché est d’avoir remis en question le caractère néocolonial de la gouvernance de son pays en diversifiant les partenariats économiques (contrats chinois) et en revisitant le code minier léonin de 2002, elle écrit ce qui suit au sujet de ces consultations politiques et sociales voulues par le nouveau président Félix Tshisekedi : «ce processus a soulevé beaucoup d’espoirs dans la population congolaise qui, fin 2018, voulait en finir avec dix-huit ans de pouvoir Kabila et qui se rend compte aujourd’hui qu’en fait, elle en a repris pour cinq ans». Par un phénomène d’auto-projection et de substitution aux aspirations des groupes sociaux assujettis, Cros qui n’a jamais fait mystère de son opposition aux politiques publiques souverainistes de Kabila, ignore superbement les résultats des élections générales du 30 décembre 2018 qui se sont soldées par la victoire de Félix Tshisekedi à la présidence et du FCC de Joseph Kabila aux législatives. Mieux, elle ne met pas de gants pour dire tout le mal qu’elle pense de l’accord de coalition entre le CACH de Tshisekedi et le FCC de Kabila. Avec une mauvaise foi aussi manifeste que le nez au milieu du visage, elle zappe les scrutins pour affirmer au mépris de toute évidence que «l’accord secret passé entre Kabila et Tshisekedi, qui accordait au second la présidence en échange du pouvoir législatif pour le premier, accord présenté comme une “alternance” au sommet de l’État, est en effet rapidement apparu comme un piège pour le plus néophyte des deux protagonistes».
On se souvient de la frénésie avec laquelle les «partenaires» néo-libéraux occidentaux et leurs relais dans le pays s’étaient mobilisés pour aider le candidat Lamuka adoubbé par eux à rafler la mise à tous les autres, notamment Félix Tshisekedi de l’UDPS et Emmanuel Ramazani Shadary du FCC. On les a vus à la manœuvre de Genval (Belgique) à Genève (Suisse) avant que le duo Tshisekedi-Kamerhe ne leur brûla la politesse.
Les observateurs avisés évoquent des dizaines de millions d’Euros mis à contribution pour faire triompher le schéma pro-occidental qui bénéficia notamment de l’appui de membres influents de la puissante Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO). En pure perte puisqu’au grand dam de ceux qui continuent à se prendre pour les «propriétaires» du Congo-Kinshasa, les élections se conclurent in fine par la victoire de l’UDPS à la présidentielle et du FCC au parlement. Leur dépit transparaît à travers la chronique de Marie-France Cros lorsqu’elle note, sur un style teinté de mépris : «On ignore quand Félix Tshisekedi s’est rendu compte que, comme dans le mythe de Faust – qui avait vendu son âme au diable en échange de douze années durant lesquelles Lucifer mettrait sa puissance au service de cet homme –, il n’a que l’apparence du pouvoir, pas sa réalité. Pour défaire la puissance de Kabila, son successeur à la tête de l’État doit violer les règles écrites. Et quelle légitimité a-t-il pour le faire, n’ayant pas plus été élu que les députés pro-Kabila qui ont une large majorité dans toutes les assemblées législatives du pays?». Tout se passe chez cette adepte du ‘’Congo de Papa’’ comme si les hommes et les femmes de ce pays ne peuvent agir que conformément aux plans préétablis outre-Atlantique ou outre-Méditerranée. Sans craindre le ridicule, Cros s’érige en évaluatrice de la fiabilité du processus électoral de 2018 et en baromètre attitré de l’opinion des Congolais. «La CENI (Commission électorale nationale indépendante, acquise à Kabila) n’a jamais fourni les résultats détaillés des élections de 2018, alors que les comptages parallèles de ceux-ci, effectués par l’Église catholique et des ONG, donnaient perdants Tshisekedi et le candidat kabiliste, et la victoire à Martin Fayulu. Bien sûr, Félix Tshisekedi pourrait avoir lancé ce processus de consultations pour réveiller à son profit le fort sentiment anti-Kabila des Congolais. Il laisse ainsi le président ad interim de son parti, Jean-Marc Kabund, “annoncer officiellement” à Kikwit, le week-end dernier, que “la coalition n’aura plus lieu”. Rouler ainsi des biceps attise certainement les passions des foules mais que faire de celles-ci ensuite? De nouvelles élections? Il n’y a toujours pas de nouvelle CENI pour les organiser», écrit-elle en substance. On croirait entendre le discours des lobbyistes occidentaux comme l’universitaire belge Jef Van Bilsen ou l’ambassadeur américain à Léopoldville Clare Timberlake qui, soixante ans plus tôt, parvinrent à convaincre Joseph Kasa-Vubu, le premier président du Congo indépendant et ses partisans qu’ils avaient le droit de limoger le leader indépendantiste de la majorité parlementaire Patrice Lumumba pour s’adjuger les pleins pouvoirs alors qu’ils ne faisaient que préparer le terrain pour leur homme de paille Mobutu.
Poursuivant ses cogitations ‘’stratégiques’’, Marie-France Cros note que «pour dissoudre l’Assemblée nationale en place (à majorité kabiliste NDLR), le président doit avoir le contreseing du 1er ministre, un kabiliste». Autant dire une équation impossible. En désespoir de cause, la suprématiste suggère la formule bien connue: aux grands maux, les grands remèdes. Sans égard pour la moralité ni pour la licéité des moyens à mettre en œuvre : «acheter des députés à son profit ? Félix Tshisekedi a-t-il l’argent pour le faire alors que les budgets sont pulvérisés par les dépenses indues, que les prévisions économiques annoncent une chute de 25 % des rentrées du Congo en 2021 et que Joseph Kabila a accumulé les richesses durant ses dix-huit ans à la présidence?». Ainsi qu’on l’aura noté, seule la possibilité et la disponibilité ou non des moyens financiers susceptibles de permettre au président minoritaire dans les chambres parlementaires d’«acheter» des députés par la pratique de la corruption est envisagée par cette donneuse de leçons de moralité devant l’Eternel. Pas autre chose.
«Le chef de l’État entend-il mener le Congo sur la voie de nouvelles confrontations violentes ? Ou laisser ses consultations accoucher de changements purement cosmétiques, pour donner le change? Prévues pour être clôturées le 8 novembre, elles sont toujours en cours onze jours plus tard; un indice du degré de préparation de cette opération qui ne laisse pas d’inquiéter», conclut-elle comme à regret en se rendant compte que le saut d’humeur de Félix Tshisekedi du 23 octobre dernier pourrait aboutir à des solutions consensuelles et pacifiques qui ne rencontreraient pas les aspirations de ceux pour qui tout événement survenant dans l’ancienne colonie belge ne devrait être évalué qu’à l’aune de l’impact qu’il pourrait avoir sur les expectations mercantilistes des groupes de suprématistes nostalgiques d’un ordre politique suranné en RDC.
L.M.