On ne peut plus douter de la détermination de certains caciques de l’UDPS à user de tous les moyens, même illicites et immoraux, pour conserver et élargir les espaces du pouvoir. Depuis qu’à la faveur des scrutins du 30 décembre 2018, les électeurs congolais s’étaient prononcés pour le leader de ce parti à la présidence de la République en confiant la majorité parlementaire au Front commun pour le Congo (FCC) de son prédécesseur Joseph Kabila, les membres les plus influents du parti présidentiel se sentent manifestement à l’étroit.
Le président a.i. de l’UDPS Jean-Marc Kabund et son n° 2 Augustin Kabuya qui incarnent cette ligne dure du parti de la 10ème rue Limete ruent sur les brancards et ne font pas mystère de leur volonté de voir le président Félix Tshisekedi s’emparer ‘’coûte que coûte’’ de la totalité du pouvoir, même a contrario des normes constitutionnelles et légales en vigueur.
Tout a commencé bien avant la mise en œuvre de l’accord de coalition entre le CACH du nouveau président de la République et le FCC de son prédécesseur Joseph Kabila par des campagnes haineuses de lynchage systématique par des «combattants» de l’UDPS à l’encontre du FCC, accusé de tous les péchés d’Israël. Une telle hostilité paradoxale avait ciblé également Vital Kamerhe, leader de l’Union pour la Nation Congolaise (UNC), le mieux élu des 500 députés nationaux rd congolais qui, après avoir jeté son poids dans la bataille de décembre 2018 a été embastillé à la surprise générale puis lourdement condamné par une justice dont ses partisans questionnent l’indépendance et l’impartialité.
Paranoïa et politique du fait accompli
Entre l’UDPS et le FCC, les choses ont dégénéré avec la convocation des deux chambres du parlement en Congrès en vue de statuer conformément à l’article 119, 2° de la constitution sur l’autorisation de la proclamation de l’état d’urgence sanitaire dû à la Covid-19. Manifestant une sorte de paranoïa, Jean-Marc Kabund qui venait d’être désigné grâce au FCC 1er vice-président de l’Assemblée nationale, avait bruyamment discrédité l’institution parlementaire en déclarant que cette session allait coûter au Trésor 7 millions USD et qu’elle était «en réalité destinée à mettre en accusation le chef de l’Etat pour haute trahison». Sommé de s’expliquer au sujet de ces allégations, il refusa de répondre et fut déchu de ses fonctions suite à une motion initiée par le député MLC (opposition) Jean-Jacques Mamba. Contrarié, il s’était arrangé avec le procureur général près le Conseil d’Etat (tribunal administratif n’ayant aucune compétence sur les actes des assemblées législatives) pour empêcher le parlement de siéger en faisant carrément sceller le Palais du Peuple par la police en violation de l’article 7, 1° et 3° du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale (« L’enceinte du siège de l’Assemblée nationale est une zone neutre et inviolable (…). Aucune autorité administrative, judiciaire ou militaire n’est autorisée à exercer ses prérogatives dans l’enceinte du siège de l’Assemblée nationale sans l’autorisation ou l’accord de son Président »).
Par la suite, Kabund fera arrêter par le procureur général près la Cour de cassation le député Mamba qui se trouve jusqu’à ce jour en exil en Europe alors que l’article 107, 1° de la constitution stipule qu’«aucun parlementaire ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé en raison des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions ». Simultanément, d’autres députés FCC avaient été agressés par des militants de l’UDPS (Wewas) qui ont récidivé après le dépôt par les FCC Minaku et Sakata de propositions de lois d’application de la révision constitutionnelle de 2011 sur le pouvoir d’injonction du ministre de la Justice sur le parquet. Dans la foulée, le même procureur général près la Cour de cassation arrêtera le ministre de la Justice FCC Tunda ya Kasende au motif qu’il avait transmis au nom du gouvernement à l’Assemblée nationale des avis favorables non délibérés en Conseil des ministres sur lesdites propositions de lois. Cette arrestation provoqua une véhémente protestation du 1er ministre qui fit remarquer qu’elle violait notamment les immunités de poursuites couvrant les membres du gouvernement car, l’acte du ministre qui constituait une faute administrative méritait une sanction disciplinaire et non un traitement pénal. Le fait que le président Tshisekedi se soit abstenu plusieurs mois après avoir obtenu la démission de Tunda de le remplacer est venu alourdir le contentieux entre les deux partenaires de la coalition. «Tout s’est passé comme si le chef de l’Etat à qui le nom du successeur de Tunda a été transmis par le FCC avait décidé par commodité de faire durer la vacance à la tête du ministère de la Justice au profit du vice-ministre issu de son parti qui en assume l’intérim», fait remarquer à ce sujet Néhémie Mwilanya, coordonnateur du front kabiliste.
Violence en guise d’idéologie
La plupart des têtes couronnées de l’UDPS n’acceptent pas de gaieté de coeur la critique malgré les multiples violations graves et intentionnelles de la constitution, des lois et des règles de bonne gouvernance. Leur argument de prédilection consiste à se justifier par le fait que «cela ne se passait pas autrement pendant les 18 ans du régime Kabila », comme si les errements d’anciens dirigeants donnaient des lettres de noblesse à toutes les déviations.
«Les diatribes de Kabund et Kabuya me rappellent les rodomontades du Duce italien Benito Mussolini qui n’avait aucune philosophie et se contentait d’une rhétorique belliqueuse assaisonnée de roulements de mécaniques qui extasiaient ses auditoires dont il ne cherchait qu’à flatter les instincts les plus bas», estime ce professeur de sciences politiques de l’Université Protestante au Congo pour qui «égrener à tout bout de champ des insanités contre des leaders d’autres formations politiques et appeler sur un ton martial à la chienlit en faisant l’apologie de la violence par de véritables fatwas ne peut tenir lieu de projet de société». C’est pourtant l’essentiel des communications publiques des leaders de l’UDPS lorsqu’ils ordonnent explicitement des attaques ciblées contre des membres du FCC de Joseph Kabila comme lorsque Kabuya lançait le 10 novembre ’’Toyebi ba ndaku na bango’’ (’’nous connaissons leurs résidences’’). Ce qui constitue des faits infractionnels devant exposer leurs auteurs à des poursuites pénales dans un Etat de droit. Curieusement, ni la police, ni la justice congolaises ne semblent s’en préoccuper outre-mesure.En promettant de la sorte une fin tragique à des citoyens congolais dont le seul tort est d’avoir adhéré à un regroupement politique légal ayant pignon sur rue, les dirigeants de l’UDPS installent l’instabilité et à l’insécurité provenant de la peur dans laquelle ces menaces font vivre beaucoup de Congolais et des réponses proportionnées ou non que leurs cibles pourraient y réserver.
Arbitre dans la mêlée
Nombreux sont les Congolais qui s’étonnent de voir la formation politique du président de la République, garant de l’exercice par tous les Congolais des droits garantis par la constitution devenir ainsi le vecteur du recours aux biceps, aux barres de fer et aux coutelas comme arguments de prédilection dans les débats d’idées. «Comment des responsables de l’UDPS peuvent-ils ainsi promettre à des compatriotes du FCC de vivre à nouveau les évènements de 1992 qui rappellent les attaques ciblées et les pillages des années noires du Zaïre de Mobutu sans encourir la moindre réprobation au de ce parti, ni des poursuites judiciaires? Appartenir au parti politique du président serait-il une assurance d’impunité ? », se désole le curé d’une paroisse catholique kinoise sous le sceau de l’anonymat. Il rappelle qu’au début des années ‘1990, des soldats des Forces armées zaïroises accompagnés de bandes de malfrats avaient pris prétexte de l’hyperinflation et des ajournements répétés de la Conférence nationale souveraine qui éloignaient les réformes politiques, économiques et sociales attendues par la population, avaient déclenché des émeutes sanglantes dont le bilan s’était chiffré en plusieurs dizaines de morts et en destruction de la quasi-totalité des infrastructures économiques de la capitale Kinshasa. Une catastrophe dont le pays ne s’est jamais remis à ce jour. D’aucuns ne sont pas loin de croire que c’est ce que Kabuya et ses sbires promettent aux kinois en annonçant une «marche de soutien aux consultations présidentielles du Palais de la Nation prévue pour le 14 novembre 2020 ». Il s’agit rien moins que d’un chantage éhonté pour contraindre ceux des Congolais qui ne sont pas convaincus de l’utilité et de la nécessité des mesures inconstitutionnelles qui se profilent en filigrane à travers les consultations du président Tshisekedi. On rappelle à ce sujet les attaques et les destructions par les «wewas» du duo Kabund-Kabuya des biens et des résidences privés des membres et proches réels ou supposés du FCC lors des manifestations contre les lois Minaku – Sakata.
La chienlit entre le CACH et le FCC présentée tantôt comme une «guerre» de type mafieuse pour le contrôle des espaces du pouvoir et des moyens matériels qu’il génère, tantôt comme un banal conflit interinstitutionnel provoqué par le souci boulimique des uns et des autres d’échapper au système de checks and balances (poids et contrepoids) qui, dans tout Etat de droit démocratique, permet au pouvoir d’arrêter le pouvoir est d’autant plus inquiétant qu’il ne s’embarrasse ni de légalité, ni de moralité dans la gestion de la chose publique qui incombe aux deux protagonistes.
C’est une véritable guerre de conquête sans foi, ni lois dans laquelle les techniques d’embuscade et de surprise, bien maîtrisées par les acteurs en présence sont la règle.
Pressé par ses partisans de descendre de son piédestal constitutionnel de chef d’Etat en charge des aspirations et des droits de tous les Congolais, le président Tshisekedi a notamment gelé le conseil des ministres confinant le gouvernement à un rythme de service minimum en pleine crise du coronavirus au bénéfice de consultations devant lui permettre de substituer sa propre vision à la politique de la nation qui doit, en RDC être «définie par le gouvernement en concertation avec le président de la République et être conduit par le seul gouvernement qui en assume la responsabilité» (article 91, 1° et 2° de la constitution), exception faite de «la défense, la sécurité et les affaires étrangères (qui) sont des domaines de collaboration entre le président de la République et le gouvernement » (article 91, 3°).
Condamnations de principe
Dans son mode opératoire, la guerre déclarée des extrémistes de l’UDPS au FCC emprunte aux techniques de harcèlement propres à la guérilla.
Personne n’est capable aujourd’hui de prédire à quelles extrémités peuvent conduire de telles excentricités qui bénéficient manifestement de la complaisance aussi bien de l’appareil judiciaire que du ministère de l’Intérieur et sécurité voire du président de la République lui-même. Réagissant sur son compte twitter, Constant Mutamba, cadre du FCC est d’avis que «les propos du secrétaire général de l’UDPS, Augustin Kabuya, ne concourent pas à la recherche de la stabilité tant recherchée du pays. Diviser les Congolais à des fins politiciennes a été la pire erreur des années 90. C’est une voie dangereuse à ne pas suivre». Le Bureau Conjoint des Nations-Unies aux Droits de L’homme (BCNUDH) a pour sa part condamné fermement «les propos incendiaires attribués à Augustin Kabuya qui sont de nature à inciter à la violence» et mis en garde contre de tels propos. Il appelle «les acteurs politiques de tous bords à s’abstenir de tenir des discours pouvant porter atteinte à la paix et à la cohésion sociale». Avant de signaler que «de telles menaces contre les personnes et leurs biens sont contraires à la loi et aux exigences d’une société démocratique». La représentation en RDC de Haut commissariat des Nations-Unies aux Droits de l’Homme a, en outre invité «les autorités à prendre des mesures pour prévenir de tels propos et sanctionner leurs auteurs». En vain jusqu’au moment où nous mettions sous presse.
Pour se justifier, Kabuya a publié sur les réseaux sociaux un communiqué dans lequel il affirmait avoir agi en réminiscence au traitement infligé au défunt Dr. Etienne Tshisekedi, un des fondateurs emblématiques de l’UDPS et père de l’actuel chef de l’Etat le 11 novembre 2011 lors de la très mouvementée campagne présidentielle de cette année-là. «Alors que le Sphinx de Limete (surnom d’Etienne Tshisekedi, ndlr) allait atterrir à l’aéroport de N’djili pour clôturer sa campagne électorale, il s’est vu refuser son droit en tant que paisible citoyen d’atterrir au motif que le président Joseph Kabila Kabange devenu aujourd’hui autorité morale du FCC allait aussi y atterrir. Le Sphinx s’était débrouillé pour atterrir à l’aérodrome de Ndolo. Ensuite, il s’était rendu à l’aéroport de N’djili par la route pour demander aux responsables de l’aviation civile pourquoi ils lui avaient refusé d’atterrir. Sur place, il avait été incarcéré jusqu’à 21H00’. La situation était tellement tendue que des jeunes gens (militants de l’UDPS, ndlr) avaient perdu leurs vies du fait du FCC qui est un conglomérat de sanguinaires», prétend-t-il.
Problème : les archives de l’époque démentent cette version revancharde. Selon les responsables de l’aviation civile et de la police, pour des raisons de sécurité, aussi bien l’avion d’Etienne Tshisekedi que celui de Joseph Kabila qui venaient tous deux de la province du Kongo-Central avaient été contraints à la demande du gouverneur de la ville de Kinshasa qui venait d’annuler leurs deux meetings de clôture de campagne, d’atterrir à l’aérodrome de Ndolo. On craignait des violences entre militants des deux camps vu la proximité des sites prévus pour les deux événements et la communauté internationale avait vivement conseillé cette précaution.
La violence physique est omniprésente dans la praxis de l’UDPS où on n’hésite pas à s’en prendre pour un oui ou un non à des adversaires ou à des partenaires plus ou moins critiques. Cela commence généralement par des invectives et des campagnes de dénigrement, puis on en vient aux passages à tabac, pillages, destructions de biens mobiliers ou immobiliers dans le but de terroriser tout adversaire ou dissident sur fond d’un rituel de théâtralisation bien rôdé des divergences qui vise à insuffler dans l’imaginaire collectif un manichéisme consistant à catégoriser la communauté nationale en «bons» citoyens (partisans de l’UDPS et leurs alliés) qui auraient tous les droits et en «diables» à qui on dénie toute humanité et contre lesquels tous les excès seraient permis. Les timides condamnations au lendemain de l’apologie de la violence par Augustin Kabuya ont permis de poser la question de la violence en contexte politique, au-delà des discours lénifiants sur la nécessité de la réduire, voire de s’en passer et, au-delà, sur l’impérieuse nécessité de savoir dire «non» à de telles dérives totalitaires qui vont jusqu’à faire une promotion décomplexée de voies de fait.
Il y a une pratique pour le moins atypique de la promotion de la violence par la proclamation sans relâche dans des réseaux sociaux d’une sorte de caractère «objectif» du choix de l’usage de la violence par les militants contre de prétendus ennemis du peuple. Que l’on prétend avoir laissé faire pendant trop longtemps. «On ne pouvait faire autrement, déjà comme ça on est beaucoup trop généreux», répètent souvent les nervis au nez et à la barbe d’une police débonnaire et d’une justice complaisante.
La violence gagne ainsi ses lettres de noblesse et devient une réponse ‘’normale’’ aux problèmes qui se posent au pays. On y recourt invariablement pour ‘’punir’’ l’Assemblée nationale d’avoir entériné la désignation de Ronsard Malonda à la tête de la CENI, pour dire non aux propositions de lois de deux députés sur les réformes judiciaires non encore débattues dans l’hémicycle, pour empêcher les députés de voter une motion pour ou contre la déchéance d’un membre de leur propre bureau, etc. On entendra même un général de police banaliser ce terrorisme qui n’est pas sans rappeler celui des chemises brunes hitlériennes de l’Allemagne nazie en déclarant que «le peuple s’est exprimé» comme si ceux contre qui ces excités se déchaînaient ne faisaient pas partie du ‘’peuple’’ !
Distinguo cynique et opportuniste
Il s’est développé à partir de la présidence de la République même ce très curieux distinguo entre les élus ‘’légitimes’’ des scrutins combinés du 30 décembre 2018 (le chef de l’Etat lui-même et la quarantaine des membres des députés et sénateurs de son parti) et les ‘’illégitimes’’ (députés et sénateurs FCC) qui, n’appartenant pas à la première catégorie, ne peuvent qu’être considérés comme le fruit de combines nauséabondes d’achats de consciences des électeurs. Plutôt que de se consacrer à la mise en œuvre du programme commun de gouvernement élaboré de concert avec le FCC, l’UDPS/CACH s’emploie à disqualifier par un discours infamant, la légitimité des élus nationaux majoritaires au parlement qui sont pourtant ses partenaires avant de se lancer sans crier gare dans une fébrile tentative de constituer avec eux une hypothétique «Union sacrée de la nation» par … la corruption !
A l’évidence, cette violence et cette corruption entretenues par des caciques de l’UDPS comme Kabund et Kabuya cachent mal un déficit idéologique flagrant, le seul but étant la conservation du pouvoir présidentiel et la soumission à celui-ci des autres institutions comme le parlement, le gouvernement et les cours et tribunaux ainsi que le contrôle de technostructures comme les services de sécurité, de la police ou des forces armées qui devraient pourtant rester impartiaux. Il s’agit de s’imposer à tous et vaincre même sans convaincre dans le pur style de la deuxième République mobutiste de triste mémoire. On le voit à travers des slogans comme «nous ferons la remise-reprise avec Jésus-Christ à la fin des temps», lancé sans rire par le président a.i. de l’UDPS Jean-Marc Kabund, visiblement obssédé par la conquête d’un pouvoir absolu qui passe par la main-mise sans partage de toutes les structures de l’appareil d’État.
C’est le degré zéro de la violence étatique. Inacceptable dans un Etat de droit.
A.M avec le maximum
CRISE FCC-CACH : Du duo au duel ?
