C’était prévisible. La RDC est entrée de plein pied dans une crise interinstitutionnelle au sujet des ordonnances présidentielles du 17 juillet 2020 nommant et permutant des juges à la Cour constitutionnelle. Le président Félix Tshisekedi paraît déterminé à passer en force même au prix d’un bras-de-fer avec le parlement pour imposer coûte que coûte les 3 nouveaux juges constitutionnels dont la nomination est considérée comme inconstitutionnelle, donc nulle de plein droit par une majorité des membres des chambres législatives. Ambiance.
Le chef de l’Etat a reçu en audience mardi 13 octobre, les speakers de l’Assemblée nationale et du Sénat Jeanine Mabunda et Alexis Thambwe Mwamba qui lui ont exprimé les réticences du parlement à accompagner ce qu’une majorité d’élus considère comme une inconstitutionnalité en participant à la présentation «à la Nation devant le président de la République, l’Assemblée nationale, le Sénat et le Conseil supérieur de la magistrature représenté par son bureau» des heureux promus préalable à leur prestation de serment requise par l’article 10 de la loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle.
«Nous avons simplement dit au président de la République que nous étions attachés aux textes», avait sobrement expliqué Thambwe Mwamba au sortir de l’audience.
Un point de vue remis en question par Jean-Pierre Mukolo wa Nkolesha, procureur général près la Cour constitutionnelle qui conduisait peu après le bureau du Conseil supérieur de la magistrature dont il est le vice-président auprès du chef de l’Etat. Pour ce magistrat qui est sorti du mutisme de rigueur dans sa profession, «les ordonnances du 17 juillet 2020 sont conformes à la constitution». Position qui a provoqué l’ire du professeur Théodore Ngoy, avocat des juges constitutionnels Jean Ubulu et Noël Kilomba qui n’a eu de cesse d’alerter sur la violation grave de la constitution par ces actes visant à interrompre les mandats en cours des 2 membres de la Cour.
Ngoy conteste le procureur général Mukolo qui, à son avis «ne peut ni présider ad intérim la Cour constitutionnelle, cette charge revenant de droit au juge constitutionnel qui préside ‘’de droit’’, c’est-à-dire même à titre provisoire ladite Cour, ni se substituer aux juges constitutionnels, seuls habilités par leurs arrêts à émettre des avis d’interprétation quant à la conformité à la constitution d’une loi ou d’un acte réglementaire d’où qu’il provienne, privilège qui ne revient pas à un membre du parquet». Et de souligner que de la même manière que le chef de l’Etat qui est en lui-même une institution préside une autre institution à laquelle il n’appartient pas (le gouvernement) le président de la Cour constitutionnelle, sans être magistrat à l’instar de ses autres collègues de cette haute cour préside le Conseil supérieur de la magistrature. «Le procureur général près la Cour constitutionnelle n’en est que la deuxième personnalité», a-t-il précisé.
Parlement vs Conseil supérieur de la magistrature
On se trouve en face d’une situation cacophonique non prévue par la constitution congolaise : un conflit entre des membres du pouvoir judiciaire appuyés par le président de la République d’une part et, d’autre part, le parlement et la majorité du gouvernement qui en est l’émanation. Pour le chroniqueur Rachidi Mabandu d’Actu7.CD, «c’est Félix Tshisekedi (qui) oppose le pouvoir judiciaire au législatif et crée la confusion au sommet de l’Etat. C’est une tache noire dans les relations entre institutions de la République qui annonce un blocage institutionnel à venir car il est impossible au pouvoir judiciaire de contourner le pouvoir législatif. Dans le régime semi-présidentiel de la RDC, le Parlement est l’organe pivot par excellence du fonctionnement des institutions. Outre le Gouvernement qui est sous tutelle du parlement, d’autres institutions ont besoin de l’implication de ce dernier pour carburer. En perspective des joutes de 2023, le chef de l’Etat veut gagner un peu plus de terrain y compris dans l’appareil judiciaire, quel qu’en soit le prix». Des partisans du président balayent du revers de la main. Yezu Kitenge, haut représentant du chef de l’Etat a qualifié les réserves du parlement au sujet de la constitutionnalité des ordonnances présidentielles du 17 juillet 2020 de «débat d’intellectuels et de chanson qui va prendre fin avec la prestation de serment fin avec la prestation de serment qui aura lieu bientôt» en se gargarisant du fait que « seul le chef de l’Etat détient le bic bleu et le bic rouge» tandis que sur le site Telema Pona Mboka Na Yo, un certain Maître Beylard David lui emboîtait les pas en lançant des imprécations contre «les dirigeants du régime criminel de l’AFDL devenu FCC qui ne cessent de crier hypocritement à la violation de la constitution en faisant semblant que durant leurs 18 années de règne tout puissant, ils avaient respecté cette loi fondamentale». Ignorant délibérément aussi bien les exigences du quorum que la mission générale de direction et de représentation vis-à-vis des tiers dévolue aux présidents des deux chambres, il écrit que la présence de quelques députés et sénateurs «suffira à représenter valablement celles-ci ».
Ce point de vue est défendu par le constitutionnaliste et député tshisekediste André Mbata qui minimise les conséquences de pareil passage en force.
Plusieurs juristes ne sont pas de cet avis. C’est le cas de Me Firmin Yangambi, peu suspect de complaisance à l’égard de la majorité FCC du parlement qui a écrit sur son compte facebook : «imaginer une cour constitutionnelle, gardienne de la Loi fondamentale où siègent des juges dont la nomination n’est pas régulière. Insécurité juridique absolue ! Ses arrêts n’auraient aucune autorité de Droit. #RDC : Le summum de la bêtise !».
Le professeur Raphaël Nyabirungu considère pour sa part que «la règle élémentaire d’interprétation d’un texte est de lui donner son sens usuel et normal. Lorsque le constituant s’exprime, il veut dire ce qu’il dit et non autre chose. On ne peut pas prétendre se soumettre à l’esprit de la constitution sans commencer par se soumettre à sa lettre. On ne recherche l’esprit que lorsque la lettre est silencieuse. Si le texte est clair, on ne tergiverse pas, on l’applique même si ceux qui le violent sont en même temps nos proches».
De nombreux experts alertent sur les violations intentionnelles de la constitution par les ordonnances d’organisation judiciaire signées par le président Tshisekedi et contresignées par le vice-1er ministre, ministre de l’Intérieur, l’UDPS Gilbert Kankonde Malamba. Sans y répondre sur le fond ou la forme, le président a, au cours de la 53ème réunion du Conseil des ministres du 16 octobre, annoncé que les nouveaux juges nommés le mois de juillet dernier, prêteront serment dans les prochains jours. Le porte-parole du gouvernement, s’appuyant sur l’article 10 de la Loi n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle, a précisé que le 1er ministre et le ministre des Relations avec le parlement ont été «chargés de prendre toutes les dispositions pour que le protocole d’Etat organise correctement la cérémonie de cette prestation de serment qui doit intervenir dans les prochains jours».
Errare humanum est, perseverare diabolicum
Une source gouvernementale signale que lors du conseil des ministres, un membre avait proposé que l’on fasse prêter serment aux 3 magistrats récemment nommés sur pied de l’article 10 de la Loi organique N° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle. Problème : l’ordonnance du 17 juillet 2020 nommant lesdits juges n’a fait nulle part allusion à cette Loi organique, ce qui prouve, si besoin en était encore, le caractère irrégulier de cet acte réglementaire.
Perturbé comme de nombreux autres législateurs par cette saga et dans le but d’en avoir le cœur net, le député national Etienne Masanga Kisigay, élu de la Tshopo, a sollicité un avis technique supplémentaire du professeur Ngoto Ngoie Ngalingi de la faculté de droit de l’Université de Kisangani qui lui a répondu en estimant que la nomination de 3 membres de Cour constitutionnelle par l’ordonnance du président de la République du17Juillet 2020 est « frappée de nullité de plein droit». Selon cet académicien, en assignant à la Cour constitutionnelle la mission de surveiller toutes les institutions, le constituant du 18 février 2006 a répondu à la question de savoir qui devait garder les gardiens de la légalité. Cette surveillance transparaît dans les articles 164 et 165 de la Constitution et 4 de la loi organique n 0 13/026 du 15 octobre 2013, portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle.
Enième expertise
«Si la nomination de M. Dieudonné Kaluba Dibwa n’appelle pas de commentaires particuliers parce qu’il y avait une vacance dans le quota des membres de la Cour nommés par le président de la République, celle de Mme Alphonsine Kalume Asengo Cheusi et Dieudonné Kamulete Badibanga, issus du Conseil supérieur de la magistrature, soulève le problème de l’inamovibilité des Juges constitutionnels Noël Kilomba et Jean Ubulu consacrée par l’article 158 de la Constitution», peut-on lire dans l’avis technique de Ngoto. Avant lui, plusieurs moyens d’inconstitutionnalité ont été épinglés par d’autres éminents universitaires et praticiens du droit parmi lesquels le doyen Nyabirungu, avocat près la Cour de cassation, le Conseil d’Etat et près la Cour pénale internationale de La Haye, ancien conseiller juridique principal du Dr. Etienne Tshisekedi wa Mulumba, père du président Félix Tshisekedi, alors 1er ministre issu de la Conférence nationale souveraine.
Le professeur Théodore Ngoy, avocat des juges constitutionnels Kilomba et Ubulu et candidat malheureux aux élections présidentielles de 2018, a exhorté le président Tshisekedi qu’il tient en haute estime à rapporter son ordonnance querellée, sous peine d’être poursuivi pour haute trahison, parce qu’il estime qu’il a en l’espèce violé intentionnellement la constitution même s’il y met du bémol en suggérant une rencontre au cours de laquelle il se propose de le convaincre de la nécessité de s’y résoudre. «Je suis convaincu, sans préjudice de la bonne foi et des qualités intrinsèques des personnes qu’elle désigne, que I’ ordonnance n° 20/116 du 17 juillet 2020, portant nomination des membres de la Cour constitutionnelle qui contient plusieurs mentions dont l’exactitude est sujette à caution est passible de nullité de plein droit», tranche Ngoto qui déplore qu’au lieu de résoudre le problème du remplacement d’un membre démissionnaire (Benoît Lwamba Bindu), cette ordonnance suscite une impasse qui porte gravement atteinte au fonctionnement régulier et harmonieux de la Cour constitutionnelle, qui se trouve paralysée à ce jour car ne pouvant pas siéger, faute du quorum légal de sept de ses membres.
Comme solution, cet expert déconseille la voie proposée par Nyabirungu et recommande un dialogue direct aussi bien téléologique qu’étiologique tel que préconisé par Théodore Ngoy sans pour autant souscrire à la mise en accusation du président «parce que non seulement que le chef de l’Etat doit avoir été induit en erreur et n’a donc pas violé intentionnellement la constitution, mais aussi et surtout parce qu’un procès pénal ne fait pas toujours bon ménage avec l’intérêt général».
En tout état de cause, maintenant que la représentation nationale (parlement) a, par ses organes légaux attitrés, décidé de s’abstenir à la présentation à la nation devant elle des juges constitutionnels nommés dans ces conditions controversées avant leur prestation de serment, «on est en pleine crise, ce qui justifie, plus que jamais l’arbitrage du président de la République institué à l’article 69 de la constitution», conclut-il en invitant les extrémistes des 2 camps à privilégier avant tout l’intérêt général.
Lire en pages 6, 7 et 9, le texte intégral de l’avis technique du professeur Ngoto.
A.M AVEC LE MAXIMUM
AVIS DE CYCLONE POLITIQUE : Bisbilles autour de la justice
