Devant la presse jeudi dernier à Bruxelles, le président Félix Tshisekedi est revenu sur le dossier des juges Noël Kilomba et Jean Ubulu. Pour le chef de l’Etat, en refusant d’accepter leurs nouveaux postes, ces deux juges «ont mis leur carrière en berne. Leur sort est scellé dans la mesure où ils n’ont pas exercé leur recours dans les normes. En refusant d’accepter leurs nouveaux postes, ils ont mis leur carrière en berne». Une déclaration qui soulève de nouvelles interrogations sur la place de la constitution dans l’acception que la président de la République, première institution nationale se fait de l’Etat.
L’on rappelle que le refus des juges Jean Ubulu Pungu et Noël Kilomba Ngozi Mala de prêter serment après leur nomination à la Cour de cassation n’a cessé d’alimenter le débat dans la classe politique congolaise. Leur avocat Maître Théodore Ngoyi a exprimé le voeu de rencontrer le chef de l’État pour échanger sur les ordonnances controversées nommant ses clients à la Cour de Cassation. Dans la même lancée, il souhaiterait rencontrer les présidents des 2 chambres législatives, l’Assemblée nationale et le Sénat. «Je vais adresser une demande d’audience au chef de l’État pour qu’on en parle. S’il peut bien accepter de me recevoir pour qu’on échange, ce serait une bonne chose», a-t-il déclaré, confirmant à l’instar du professeur émérite Raphaël Nyabirungu que le président de la République avait violé intentionnellement la constitution en promulguant les ordonnances du 17 Juillet 2020 interrompant le mandat constitutionnel des juges Kilomba et Ubulu. Ces deux magistrats avaient fait remarquer dans une correspondance au chef de l’Etat que leurs mandats respectifs à la Cour constitutionnelle étaient de 9 ans pour chacun, et courraient encore. Mais aussi que l’Ordonnance n°20/108, du 17 juillet 2020 leur notifiée ne reprenait pas dans ses visas la Loi-organique portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle. Elle s’est plutôt basée sur les articles 69, 79, 82, 152 et 153 de la Constitution, qui mettent en exergue le pouvoir du président de la République de nommer sur proposition du Conseil Supérieur de la Magistrature, des membres des juridictions de l’Ordre judiciaire, une catégorie à laquelle la Cour constitutionnelle n’appartient pas bien que son président se soit vu attribué la présidence du Conseil Supérieur de la Magistrature.
Réagissant aux propos du chef de l’État à Bruxelles, le panel d’experts de la société civile a publié son point de vue le 3 Octobre 2020 dans lequel il est rappelé que «les 153 ordonnances anticonstitutionnelles et frauduleuses du président de la République, du 17 juillet 2020, prétendument signées, contresignées et certifiées conformes aux originales, le même jour ont violé la Constitution et appellent à la mise en accusation du chef de l’État». Selon ces experts, le président de la République s’est rendu coupable de :
1. Violations intentionnelles, délibérées, manifestes, flagrantes et massives de la Constitution (18 articles de la Constitution violés : 1er, 12, 62, 64, 69, 74, 79, 81, 82, 91, 92, 149, 150, 152, 158, 165, 169, et 192) ;
2. Fraude à la Constitution, par le président de la République, par l’usurpation des prérogatives constitutionnelles du 1er ministre, y compris son contreseing, du Conseil supérieur de la magistrature, du Conseil supérieur de la défense et du gouvernement réuni en conseil des ministres, dans un contexte de Coalition politique (Articles de la Constitution violés : 1er, 62, 69, 74, 79, 81, 82, 91, 92, 149, 152, 169 et 192);
3. Inconstitutionnalité intentionnelle et manifeste du remplacement et de la nomination des deux (2) Juges membres de la Cour Constitutionnelle, en cours de mandat, à la Cour de Cassation (Noël Kilomba et Jean Uubulu), (Articles de la Constitution violés : 1er, 12, 62, 74, 82, 149, 152, 158 et 169 ainsi que les articles 2 à 8, 28 et 31 de la Loi organique n°13/026 du 15 octobre 2013, portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle, au regard du prescrit de l’article 4 de ladite Loi organique) ;
4. Nullité de plein droit de la nomination de 3 membres à la Cour Constitutionnelle. Il s’agit des magistrats Dieudonné Kamuleta Badibanga, Alphonsine Kalume et Dieudonné Kaluba Dibwa. (Articles de la Constitution violés : 62, 74, 82, 149, 152, 158 et 169, ainsi que les articles 2 et 28 de la Loi organique n°13/026 du 15 octobre 2013, portant organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle, au regard du prescrit de l’article 4 de ladite Loi organique) ;
5. Paralysie de la Cour Constitutionnelle, faute de quorum, et son impact négatif et préjudiciable au fonctionnement régulier des autres Institutions de la République, (Articles de la Constitution violés : 1er, 62, 64, 69, 74, 149, 158 au regard de l’article 90 de la Loi organique n°13/026 du 15 octobre 2013, portant organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle);
6. Anéantissement de l’Etat de droit en RDC et tentative de renversement du régime constitutionnel, constitutif d’infraction imprescriptible contre la Nation et l’Etat, notamment pour exercice du pouvoir en violation de la Constitution (Articles de la Constitution violés : 1 , 12, 62, 64, 69, 74, 79, 81, 82, 91, 92, 149, 150, 152, 158, 165 et 192) ;
7. Faux en écritures et Usage de faux (Voir les articles 21, 124 à 126 du Code Pénal Congolais, Livres I et II) ;
8. Haute trahison (Voir les articles 164, 165, 166 et 167 de la Constitution).
Dans leur note, ces experts ont appelé le peuple Congolais à se mobiliser pour garantir le respect de la Constitution car, paraphrasant Martin Luther King, ils estiment que «ce qui effraie le peuple, ce n’est pas l’oppression des méchants, mais plutôt l’indifférence des bons».
A.M