Assiste-t-on en RDC à l’importation des pratiques propres aux gardiens de la révolution iraniens ou aux bandes des favelas de Rio au Brésil ?
La question vaut son pesant d’or car à peine les forces de défense et de sécurité venaient-elles de démanteler un groupe criminel se réclamant de l’«UDPS base bilanga» de Kasumbalesa à la frontière avec la Zambie (Haut-Katanga), qu’une autre bande de même nature baptisée «gardiens de la paix» se revendiquant également du parti du chef de l’Etat était signalée à Kingabwa (Limete).
Les démentis rituels du tandem Kabund-Kabuya qui trône à la tête de l’UDPS/Tshisekedi ne convainquent plus grand monde. Le président de la République lui-même, autorité morale de ce parti a, lors de la 46ème réunion du conseil des ministres vendredi 28 août 2020, frappé du poing sur la table et enjoint le gouvernement à appliquer la loi dans toute sa rigueur contre «ce phénomène inhabituel qui met en exergue quelques individus qui, sous couvert de leur appartenance réelle ou supposée à tel ou tel parti politique de l’actuelle coalition au pouvoir, s’adonnent à des activités illégales dans certaines villes du pays notamment Bukavu, Lubumbashi, Kasumbalesa, Kinshasa et Matadi», selon le compte rendu du ministre de la Communication et médias, Jolino Makelele.
Des deux choses, l’une : ou le fils du sphinx de Limete est en train de perdre le contrôle de son parti dont un certain nombre de cadres et ‘’combattants’’ évoluent de plus en plus en électrons libres, ou l’ancienne fille aînée de l’opposition, championne de la lutte démocratique non violente est en train de virer sa cuti pour prendre une orientation fascisante avec sa bénédiction tacite.
Félix Tshisekedi a demandé à l’exécutif à travers le vice-premier ministre, ministre de l’Intérieur et Sécurité, l’UDPS Gilbert Kankonde Malamba de «prendre toutes les dispositions pour mettre ces inciviques hors d’état de nuire et de recommander fermement aux dirigeants des partis politiques de mieux tenir en laisse leurs militants afin de mettre un terme à cette situation anarchique», a conclu le porte parole du gouvernement.
Des coups de feu avaient été entendus la veille (jeudi) à Kingabwa lorsque la police nationale congolaise (PNC) avait entrepris de réprimer lesdits inciviques. Un communiqué du général Sylvano Kasongo, chef de la police de la capitale, avait annoncé dans la soirée que les forces de l’ordre avaient mis fin aux activités de la bande tout en rassurant laconiquement l’opinion de la détermination de la haute hiérarchie à «poursuivre des enquêtes pour retrouver le reste de la bande et les commanditaires».
On a appris des sources dans le quartier Kingabwa qu’il s’agissait d’un groupe de jeunes gens dont l’âge varie entre 20 et 35 ans, recrutés par un membre de la maison civile du chef de l’État pour constituer une milice en formation afin d’intégrer le groupe armé baptisé «gardiens de la paix volontaristes de Fatshi» dont la mission déclarée était de « protéger le pouvoir du chef de l’État ». La similitude avec l’agitation déplorée quelques semaines auparavant à Kasumbalesa (Haut-Katanga) où une bande arborant des drapeaux et T-shirts de l’UDPS emmenés par un certain Isaac Tshiswaka s’était livrée impunément pendant plusieurs mois à la fraude douanière après avoir occupé un point de passage de marchandises par contrebande d’où ses membres avaient carrément expulsé militaires, policiers et agents des services des douanes. Des tonnes de minerais de cuivre, cobalt, zinc et autres minerais avaient pu ainsi être exportés en échange de quelques prébendes pour les commanditaires de ce groupe de malfrats sans que le moindre sou vaillant ne soit collecté par les services générateurs des recettes du trésor de la RDC.
En réaction à la clameur publique relayée par les commandants locaux des forces de défense et de sécurité qui dénonçaient cette situation de non-droit instaurée par des malfrats se revendiquant ouvertement de l’UDPS dont ils obligeaient du reste les passants à s’arrêter pour saluer la levée du drapeau qui avait remplacé la bannière tricolore de l’Etat congolais, Augustin Kabuya, le secrétaire général ad intérim du parti présidentiel s’est empressé de répondre par une bravade: «Quand nous étions dans l’Opposition, au moment où on pouvait penser à la création d’une branche armée, nous ne l’avons pas fait. Aujourd’hui où nous sommes au pouvoir et l’institution président de la République est animée par un membre de l’UDPS, on nous colle des bêtises ! Les gens qui réfléchissent de cette manière, leur place est au Centre neuro psycho-pathologique (CNPP)», avait-il déclaré sans plus.
Pourtant, selon les renseignements recueillis par nos reporters, la plupart des 23 personnes arrêtées à Kingabwa dans une résidence située à quelques encablures de la résidence de Jean-Marc Kabund auraient bel et bien avoué être des membres encartés de l’UDPS.
Deux poids, deux mesures face aux crimes ?
Des scènes de guérillas urbaines au sein de l’UDPS sont devenues tellement chroniques que chaque manifestation publique de ce parti est émaillée d’incidents sanglants. Pour les marches de contestation contre la nomination de Ronsard Malonda à la présidence du bureau de la CENI et contre les lois de réforme judiciaire Minaku-Sakata au mois de juillet 2020, on a recensé plus de 5 morts, des blessés et des actes de vandalisme perpétrés par des militants de ce parti alors que pendant la même période, des manifestations publiques plus importantes en mobilisation de l’opposition Lamuka et du FCC de Joseph Kabila avaient pu se dérouler pacifiquement.
Depuis les manifestations en 2018 pour la tenue des élections, la situation semble avoir connu une dégradation dont le tournant majeur est le démantèlement de ces noyaux de violence et des zones de non droit que certains tentent d’instaurer ci et là. Le fait que l’usage des armes à feu sur les représentants des forces de l’ordre se généralise et se banalise comme cela a été le cas à Kingabwa dernièrement devrait interpeller sérieusement le gouvernement.
On peut, à cet égard saluer l’esprit volontariste manifesté par le président de la République et le gouvernement au sujet de la politique sécuritaire, mais il y a lieu de se demander si on n’est pas déjà engagé sur une pente dangereuse. Les statistiques rendues publiques par des ONG font état de plus de 150 quartiers ou citésde la RDC, regroupant entre 500.000 à 1.000.000 ou plus de personnes que l’on peut considérer comme étant des lieux de tension possible difficilement contrôlables en cas de crise majeure. Ces zones sont exposées à des risques d’implosion qui se traduisent par une délinquance d’oppression particulièrement violente qui substitue son propre modèle de société et de culture, véritable syncrétisme de cultures issues des partis politiques et d’anarcho-militantisme, aux valeurs républicaines.
Entretenue par le trafic de stupéfiants, la contrefaçon, les soutiens politiques et les rapines diverses, cette criminalité dure déploie ses tentacules derrière des véritables manœuvres de guérilla urbaine dès que les forces de l’ordre tentent de reprendre en main les agglomérations et quartiers ciblés par ses auteurs. La difficulté pour les pouvoirs publics d’y répondre efficacement parmi des populations «hostiles» vivant dans ces quartiers, qui sont de fait des enclaves, rend extrêmement laborieuse toute tentative de résorption significative de cette forme de criminalité. Beaucoup de grandes métropoles de par le monde connaissent cette problématique avec des réalités plus ou moins particulières selon qu’il s’agit de pays émergents comme le Brésil avec ses favelas de Rio ou l’Afrique du Sud ses guethos de Johannesburg ou du tiers-monde à l’instar du Salvador et ses ‘’maras’’, la Colombie avec ses narcotrafiquants, le Nigéria avec ses gangs de Lagos et la RDC avec ses Kuluna.
Indispensable restauration de l’autorité de l’Etat
En RDC, la situation est telle qu’il faut revisiter totalement les modèles de fonctionnement de cette criminalité liée à la politique. Face à des zones de non-droit sécrétant des antivaleurs et s’inspirant ouvertement d’une culture et des idiomes différents de ceux acceptés dans le pays, il est nécessaire d’envisager une reconquête vigoureuse de l’espace social par la morale et le droit en recourant notamment aux méthodes holistisques du genre Likofi appliquées à Kinshasa entre 2014 et 2015. On avait vu alors les autorités gouvernementales coopérer notamment avec le Service national pour imposer à des jeunes délinquants l’apprentissage d’un métier qui leur a permis par la suite de se réinsérer utilement dans la société.
Cette approche par une grille transversale qui transcende la gestion exclusivement sécuritaire du phénomène de la criminalité urbaine organisée permet de comprendre que l’objectif final est autant la population que les délinquants eux-mêmes. Elle implique une véritable révolution intellectuelle dans le chef des forces de sécurité intérieure et appelle une série de mesures de mise à niveau de ces dernières. Elle n’est envisageable notamment que par la globalisation de l’environnement économique et sécuritaire en RDC qui constitue à ce jour le postulat d’une géopolitique contemporaine.
Le succès de cette entreprise est conditionné par un prérequis invariable depuis l’Antiquité. En effet, Thucydide dans les « guerres du Péloponnèse » recommande à cet égard la maîtrise et la cohésion totale de la cité, préalables à tout mouvement offensif vers un ennemi extérieur de quelque nature que ce soit. Conduire une action de ce type en laissant se développer en arrière-plan des zones d’insécurité multiples constituerait un facteur de fragilité susceptible de conduire inéluctablement à la défaite ou à la paralysie.
Des événements récurrents et inquiétants en matière de sécurité intérieure imposent aujourd’hui de revoir de fond en comble la conception stratégique de la sécurité nationale à la lumière de ce précepte. On assiste à une radicalisation de ces phénomènes de sécession criminelle et à l’apparition de zones dissidentes qui risquent de compromettre tous les efforts d’émergence de la RDC consentis depuis plusieurs décennies. Cette situation est un facteur de porosité stratégique, de fragilité politique et de préemption opératives en période de crise.
Certains proposent des négociations politiques comme piste de solution dans ce conflit de valeurs. Cette «insurrection criminelle» prend corps en effet dans la problématique des zones urbaines hors contrôle que l’on trouve dans la plupart des grands ensembles bâtis comme des quartiers sensibles que sont notamment Kingabwa et Mombele à Kinshasa ou Kasumbalesa dans le Haut-Katanga.
L’actualité et la pensée stratégique congolaises se focalisent sur la notion d’incessants affrontements basés sur le principe, relatif et critiquable, de l’homogénéité sociale, politique et nationale. L’approche criminelle de la menace se limite généralement aux phénomènes mafieux qui représentent in fine, au regard des moyens et des réalités politiques, un risque stratégique maîtrisable.
Au demeurant, l’analyse du phénomène de dissidence criminelle qui a pris des proportions alarmantes avec les dérives de certains militants politiques exaltés et des actions corrélatives de guérilla urbaine amène au constat d’une menace stratégique majeure pour l’avenir de la République. Face à cette perspective, seule une approche globale avec une réflexion poussée sur l’objectif pertinent constitue une réponse appropriée.
Kabund et Kabuya dans le collimateur des enquêteurs
Quoiqu’en dise Augustin Kabuya, l’UDPS n’en est pas à son premier forfait du genre. Le phénomène «combattants» auquel il n’a de cesse de s’identifier n’a pas dégénéré seulement à Kasumbalesa et Kingabwa. Il suffit de rappeler entre autres faits la fermeture pendant des mois de la maison communale de Ngaliema, à moins de 100 mètres des bureaux du président de la République par une bande de jeunes militants du parti de la 10ème rue et les actes de vandalisme contre les propriétés du journaliste Jean-Marie Kassamba, directeur du groupe Télé 50 réputé proche du FCC et du sénateur FCC André Kimbuta Yango par les mêmes, en signe de mécontentement face à l’introduction par deux députés de cette plateforme des propositions de lois sur la réforme judiciaire.
Le député national Jean-Marc Kabund, président ad intérim de l’UDPS et Augustin Kabuya, secrétaire général de cette formation politique sont perçus comme les maîtres à penser de la plupart de ces actions musclées qui ne se justifient guère de la part d’une formation politique au pouvoir. Ils ont déjà eu à recourir à de telles pratiques contre leurs rivaux à l’intérieur de l’UDPS où pour y défendre leurs positions. «En recrutant à tour de bras pour grossir rapidement et à moindre frais les rangs des ‘’forces d’autodéfense’’ on ne sait contre qui ou contre quoi, ils espèrent dissuader les offensives argumentaires menées contre eux aussi bien par leurs partenaires dans la coalition que par les forces adverses», fait observer un diplomate européen en poste à Kinshasa sous le sceau de l’anonymat.
Faute d’arguments, les deux hauts cadres de l’UDPS développent cette stratégie consistant parfois à utiliser des nervis qui connaissent bien le terrain. Cela leur permet en cas de dérapages de dissimuler leurs responsabilités derrière des terminologies fourre-tout comme «le peuple en colère» ou « la foule », voire les qualifier de «Kuluna» et ainsi éviter d’endosser la responsabilité de leurs actes de délinquance.
Force est de constater que malgré d’incalculables violations des droits de l’homme et des pressions exercées pour mettre fin à cette forme de criminalité, la haute direction de l’UDPS n’a encore pris aucune initiative significative pour y mettre un terme. Des milices tribales ont ainsi beau jeu de profiter de cette indifférence pour se muer parfois en mouvements démocratiques sans renoncer à la violence. C’est tout bénéfice pour leurs parrains qui y trouvent un raccourci pour la réalisation de leurs objectifs politiques (victoire aux élections, répression des divergences d’opinion par la promotion des clivages ethniques, maintien dans leurs fonctions etc.). Dans certains cas, ils n’hésitent pas à instrumentaliser l’appareil étatique pour créer et/ou contrôler ces groupes de délinquants. Dans d’autres cas, de tels groupes relèvent de l’autorité de leaders politiques ou de chefs de communautés tribales.
Détail troublant: la présence lors des affrontements aux côtés de la fameuse milice dite des gardiens de la paix de Kingabwa de quelques éléments en tenue de la Garde Républicaine, le corps d’élite chargé de la sécurité du chef de l’Etat et de sa famille. Interrogé à ce sujet, le commandant de la police de Kinshasa a botté en touche, préférant s’en remettre à l’enquête judiciaire pour identifier correctement tous les malfrats qui ont été arrêtés.
Du côté de la police nationale, on a enregistré un blessé grave, le colonel Freddy Lifenge.
Aux dires des habitants du quartier, la parcelle sise au numéro 6484 avenue Bwabwa au croisement de l’avenue Bobozo, cellule de Kamataba où les miliciens ont été débusqués serait un site géré par l’abbé Pierre Katumpa Mutanga Dibwe bien connu comme un des responsables de la Maison civile du chef de l’Etat, ce qui expliquerait pourquoi il était placé sous la surveillance d’éléments de la Garde républicaine.
Dès le lendemain des incidents, un communiqué attribué à un «comité des directeurs de la Maison civile du chef de l’Etat» alertait l’opinion publique sur l’existence de réseaux des malfrats qui opèrent et commettent des actes inciviques avec le label de la Maison civile. «Ce sont des malfaiteurs sans scrupules qui salissent le nom de l’institution de la Présidence. En effet, nous sommes avertis de la prolifération des activités de malveillance à travers le pays que commettent certains individus abusant du nom de la Maison civile, de la présidence de la famille présidentielle. A Kinshasa ou en province, ces escrocs sans gêne vont jusqu’à se doter d’hommes en uniformes, afin de couvrir leurs actes malsains. Ces hors-la-loi utilisent le trafic d’influence, se présentant faussement comme des membres de la famille présidentielle ou même travaillant comme agents de la Maison civile. Ils profitent de cette mention afin de jouir frauduleusement des privilèges ou autres avantages sociaux alors que les vrais membres de la famille présidentielle ne sont même pas concernés. Par contraste, ces derniers sont plutôt des gens courtois, bien éduqués, très simples et humbles. C’est rare de les voir exhiber publiquement l’étiquette de l’appartenance à la famille présidentielle. Voilà un modèle de comportement patriotique à suivre dont l’échantillon est le président de la République lui-même. Ainsi, ayant pris avec indignation connaissance de ces forfaits malheureux qui ternissent l’image de la Présidence et de la Maison Civile, le comité des directeurs de la Maison civile du chef de l’Etat informe l’opinion publique qu’il n’a donné mandat à personne de ces inciviques pour agir en son nom ou en celui de la famille présidentielle. Nous demandons donc à tout citoyen d’être vigilants pour dénoncer tout individu suspect qui tenterait d’abuser de l’étiquette de la Maison civile, de la présidence ou de la famille présidentielle pour commettre des actes indécents. Il est temps que l’on respecte la présidence de la République, car c’est la tête de la nation. Manquer de la courtoisie en s’attaquant d’une manière impolie à la présidence ou commettre des actes inciviques qui la dénigrent, c’est éclabousser notre fierté nationale, un acte qui ne peut rester impuni. La Maison civile du chef de l’Etat déploiera tous ces efforts grâce à ses services secrets et à la vigilance de notre peuple, pour traquer tous ces malfrats et les mettre hors d’état de nuire. La vision du Chef de l’Etat, Félix Antoine Tshisekedi, une vision politique de paix et d’honnêteté doit rester notre seule ligne de conduite dans toutes nos activités citoyennes». Ce communiqué est signé «pour le comité des directeurs de la Maison civile du Chef de l’Etat (Intendance, Logistique, administration) » par le directeur administratif Père Pierre Mutanga… Une véritable quadrature du cercle quand on sait que lesdits inciviques au nombre de près de 200 à en croire leurs premières déclarations corroborées par le voisinage, s’adonnaient à des exercices martiaux sur le site du révérend Mutanga depuis plusieurs jours jusqu’à l’assaut de la PNC.
Des extrémistes de l’UDPS se sont servis de certains taxis-motards communément appelés «wewas» qu’ils ont transformé en une véritable milice pour leurs basses besognes. Ils leur ont confié la mission dans certains cas, d’imposer le respect de leurs directives politiques, de dissuader l’opposition, voire forcer les Congolais à accepter des politiques qui leur sont favorables.
En commettant des actes de violence à l’égard de leurs compatriotes, ces cadres exposent le parti présidentiel au risque d’avoir à répondre des excès commis par ces groupes de jeunes exaltés qui se permettent souvent de perturber la convivialité nationale et la quiétude des populations congolaises car tôt ou tard l’Etat devra sévir !
A.M avec Le Maximum