La succession épiscopale dans plusieurs diocèses de l’Eglise catholique de la RDC suscite un chassé-croisé de questionnements sur la manière dont on procède pour pourvoir aux différentes vacances des sièges épiscopaux. On observe la marginalisation des prêtres diocésains au profit des membres des congrégations internationales ou pères missionnaires. En plus, lorsque le Saint-siège décide de confier un diocèse à un prêtre diocésain, c’est souvent un membre du clergé kinois, devenu une sorte de germoir à cet égard.
Aujourd’hui, la plupart de diocèses en RDC sont plus que centenaires. Il est temps que Rome nourrisse des pensées positives sur leurs comptes et leur reconnaisse quelques privilèges du fait que :
•Ils sont présumés être de bonnes terres qui ont reçu et fait germer la bonne semence évangélique ;
•Ils sont sensés avoir des clergés dont la maturité est incontestable et qui assurent l’apostolat aussi bien auprès des leurs que dans les Eglises occidentales, par le truchement de leurs prêtres Fidei donum ;
•Ils sont non seulement supposés être capables de conduire, par leurs clergés autochtones, leurs propres destinées, mais aussi dignes de se choisir leurs propres pasteurs suivant les procédures classiques de l’Eglise universelle, c’est-à-dire par l’élection indirecte et sub secreto au moyen de consultations de certains membres de la communauté locale dont les réponses doivent être ratifiées par Rome.
Toutes ces théories suffisamment inspirées et hautement classiques qui ont toujours éclairé l’Eglise universelle dans la succession épiscopale post-missionnaire, se trouvent aujourd’hui malmenées eu égard à l’émergence très poussée de la politique de ‘’Kinoilisation’’ de ‘’Vaticanisation’’.
En effet, par ‘’kinoilisation’’ des autres diocèses, il faut entendre la politique qui consiste à vouloir diriger les diocèses des provinces congolaises par des évêques en provenance du clergé de l’archidiocèse de Kinshasa, tandis que la ‘’Vaticanisation’’ est la politique qui consiste à accorder à l’archidiocèse de Kinshasa, les prérogatives du Vatican, notamment dans la nomination des nouveaux évêques, pour combler les vacances des sièges épiscopaux de plusieurs diocèses. Ici, il transparait que l’archidiocèse de Kinshasa en a déjà acquis le monopole.
Depuis les deux dernières décennies, l’Eglise catholique de la RDC constate passivement, avec amertume, l’expansion vertigineuse, sous la complicité inavouée de la nonciature apostolique, de l’hégémonie kinoise sur les diocèses proviaux. Il se découvre une dépendance absolue et un conditionnement proverbial des autres diocèses à l’archidiocèse de Kinshasa, dans la nomination de leurs nouveaux évêques. Presque chaque cinq ans, Rome nomme et fait ordonner un groupe d’Evêques auxiliaires à Kinshasa, non pas pour répondre aux besoins pastoraux urgents de l’archidiocèse, mais en vue d’un transfert futur vers certains diocèses de l’intérieur du pays. Chaque fois que l’archidiocèse constate la fin du mandat pastoral de certains évêques, il se précipite pour réclamer des évêques auxiliaires à son compte. Derrière cette initiative se cache l’inavoué.
On a l’impression que, depuis Son Éminence Laurent Cardinal Monsengwo Pasinya, la succession épiscopale dans plusieurs diocèses se trame à Kinshasa (centre Lindonge), comme si les autres diocèses n’étaient que des paroisses de Kinshasa.
Cette politique étonne et suscite plusieurs questions. Kinshasa est certes la capitale politique de notre pays, mais tous nos autres archidiocèses et diocèses ne lui sont pas inféodés à titre de suffragants. Aucun décret papal ne l’a voulu ainsi. Quel est alors le statut clair du clergé kinois par rapport aux autres? Veut-on par là faire croire qu’en RDC, la semence évangélique n’a été mieux reçue et n’a germé qu’à Kinshasa et non ailleurs? Et que seul le clergé kinois est mûr ?
Rien ne justifie que seul le clergé de la ville capitale peut engendrer et compter des épiscopables et que pour pourvoir aux vacances des sièges épiscopaux, dans d’autres diocèses, Kinshasa doive pondre prolifiquement des auxiliaires que le Vatican n’aura qu’à injecter de manière simpliste partout où l’on aura besoin d’un évêque.
Voici libellé un tableau chronologique des transferts des évêques auxiliaires de Kinshasa vers les autres diocèses :
1. Le 30 Janvier 2000 : ordination épiscopale de leurs Excellences Messeigneurs Dominique Bulamatari et Daniel Nlandu, comme évêques auxiliaires de Kinshasa, qui seront par la suite transférés, comme des diocésains, l’un à Molegbe et l’autre à Matadi ;
2. Le 15 avril 2012 : une autre ordination épiscopale de leurs Excellences Messeigneurs Timothée Bodika et Sébastien Muyengo, comme évêques auxiliaires de Kinshasa, qui seront par la suite transférés, comme des diocésains, l’un à Kikwit et l’autre à Uvira ;
3. Le 07 Juin 2015 : ordination épiscopale de leurs Excellences Messeigneurs Donatien Bafuidinsoni et Jean-Pierre Kwambamba, comme évêques auxiliaires de Kinshasa, qui seront par la suite transférés, comme des diocésains, l’un à Inongo et l’autre à Kenge.
Tous ces prêtres kinois ont pourtant des collègues dans les autres diocèses. Ils ont fait leurs classes ensemble dans les grands séminaires du Congo ou diverses universités à Rome, en Belgique, en France ou ailleurs. Ils se connaissent bien et personne ne peut faire croire en l’idonéité du clergé kinois sur les autres par rapport à la charge épiscopale.
A la lumière de ce tableau, les analystes rigoureux se posent mille et une questions pour démasquer les intentions voilées du Saint-siège, dans la dernière nomination de trois nouveaux évêques auxiliaires dans l’archidiocèse de Kinshasa qui, après leurs ordinations, comptera cinq évêques, dont quatre auxiliaires et un archidiocésain, Son Eminence Fridolin Cardinal Ambongo. Quatre évêques auxiliaires à Kinshasa, pourquoi faire ? La réponse est perceptible. Elle se raconte partout. Elle a déjà brulé l’étape des «bruits de couloirs» et se formalise déjà en une hypothèse qui résiste à la rigueur de la vérification pour se transmuer en vérité apodictique. Un certain nombre d’entre ces auxiliaires ne passera son séjour épiscopal kinois que transitoirement. On le sait déjà, il va suivre le schéma de ses prédécesseurs ci-haut cités.
L’un d’entre eux serait sur orbite pour devenir le prochain évêque diocésain de Tshumbe. Il faut que le Saint-Siège en finisse avec cette pratique.
Le traumatisme et la psychose sont fiévreusement ressentis au diocèse de Tshumbe. La protestation y couve et peut exploser tel un bing bang n’importe quand. En effet, parmi les trois auxiliaires récemment nommés, il y en a un, en la personne de Mgr Vincent Tshomba, qui balbutie le tetela, dialecte du coin et au sujet de qui plusieurs déclarations programment déjà un futur transfert vers le diocèse où cette langue est de mise comme langue liturgique. Serait-ce le seul critère à retenir pour mériter un si grand diocèse garni d’autres dignes et dévoués fils de notre mère l’Eglise ?
Nihil sub secreto. Il n’y a plus rien de secret sur l’avenir du diocèse de Tshumbe. Depuis que cette nouvelle a gagné plusieurs familles de la diaspora tetela à Kinshasa comme dans le diocèse, ce transfert dont on parle déjà ouvertement inquiète, désarçonne les fidèles et le clergé qui se sentent profondément mouillés par cette disqualification. Car, l’Eglise de Tshumbe qui a engendré trois évêques de grande renommée, leurs Excellences Messeigneurs Albert Yungu, Paul Mambe et Nicolas Djomo ainsi que des prêtres très brillants comme feu le prélat Mgr Jean-Adalbert Nyeme Tese et tant d’autres, se sent à même de mériter d’être élevé à l’épiscopat. Ignorer cela constituerait un désaveu envers non seulement le clergé, mais aussi l’évêque sortant dont on laisserait ainsi croire qu’il n’a pas réussi, tel un père, à former un seul héritier parmi ses fils.
Face à ce qui risque de se tramer au Vatican et que dévoilent par avance les discours kinois, le diocèse de Tshumbe, sans être xénophobe, se fait jaloux de sa dignité chèrement acquise au fil de son histoire sacrée et refuse avec la dernière énergie, tout parachutage, d’où qu’il provienne. Il attend pieusement que soit sélectionné parmi ses nombreux dignes fils, le futur successeur de Monseigneur Nicolas Djomo.
En somme, le diocèse de Tshumbe ne s’opposerait pas au principe de l’universalité de l’Eglise catholique romaine dont elle est une portion, mais perd son latin face à cette double politique sacrée qui, tendancieuse et négative, voudrait instituer l’archidiocèse de Kinshasa comme le Vatican du Congo où se détermine le sort des autres diocèses, en ce qui concerne la succession épiscopale. Rome peut et doit encore épuiser sa recherche non pour trouver un ange parmi le clergé diocésain, mais un candidat qui connaît bien les réalités du diocèse et qui pourra facilement composer avec l’ensemble du clergé et les fidèles. Car, aucun diocèse n’a le monopole de pouvoir injecter ses pasteurs dans les autres diocèses. Que le Saint-Siège habité par l’Esprit-Saint veuille bien mette fin à la ’’Kinoilisation’’ des autres diocèses du Congo et à la ‘’vaticanisation’’ de Kinshasa, malgré la présence de la nonciature apostolique dans la ville-capitale.
JULES OKONGE
CORRESPONDANCE
PARTICULIERE