Les Hauts Magistrats de la Cour de cassation, du Conseil d’Etat et des parquets généraux près ces hautes juridictions en RDC, nommés par les ordonnances présidentielles du 17 juillet dernier, ont prêté serment mardi devant le chef de l’Etat Félix-Antoine Tshisekedi, au cours d’une cérémonie solennelle au palais de la Nation. Ces magistrats, à l’exception de deux d’entre eux qui se sont abstenus, ont juré de «respecter la Constitutions et les lois de la République démocratique du Congo et de remplir loyalement et fidèlement, avec dignité les fonctions qui leur sont confiées».
Le président Tshisekedi a pris acte de leur prestation de serment, avant la signature du procès verbal de leur prestation de serment aux côtés du directeur de cabinet a.i du chef de l’État, Désiré Kashmir Kolongele Eberande. Les assermentés sont des magistrats civils et militaires affectés respectivement aux sièges et parquets de la Cour de cassation, du Conseil d’État et de la Haute Cour militaire.
Plusieurs personnalités civiles et militaires ont assisté à cette cérémonie, parmi lesquelles quelques députés, sénateurs, membres du gouvernement et du cabinet du président de la République. On a constaté cependant, l’absence très remarquée des principaux chefs de corps constitués que sont la présidente de l’Assemblée nationale, le président du Sénat ainsi que le 1er ministre, tous sociétaires du FCC. Bien que les trois se soient fait représentés, la polémique entre les deux composantes de la majorité gouvermentale au sujet du contreseing sur les ordonnances présidentielles nommant dans la magistrature et les FARDC a été aussitôt relancée. D’autant plus que deux des principaux juges de la Cour de cassation qui avaient été permutés par les mêmes ordonnances de la Cour constitutionnelle, Jean Ubulu Mpungu et Noël Kilomba Ngozimala ont brillé par leur absence à la cérémonie. Une lettre de leur part adressée au chef de l’Etat dans laquelle exprimaient leur souhait d’achever leurs mandats à la Cour constitutionnelle avait fuité depuis la veille sur les réseaux sociaux.
«C’est par la voix des ondes et sans consultation préalable, que nous avons appris, le 17 juillet 2020, nos nominations en qualité de présidents à la Cour de cassation, par Ordonnance n°20/108 du 17 juillet 2020, lesquelles ont été suivies de nos remplacements immédiats, alors que c’est depuis juillet 2014 pour le Juge Kilomba, et avril 2018 pour le juge Ubulu, que par nos lettres respectives dont copies vous étaient réservées en leurs temps, nous avions levé l’option de ne plus travailler à la Cour suprême de justice, jusqu’à l’expiration de nos mandats de neuf ans à la Cour constitutionnelle, et ce, conformément à la Constitution, en son article 158, alinéa 3, ainsi qu’à la Loi-organique n°13/026 du 15 octobre 2013, portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle, en ses articles 6 et 34», peut-on lire dans cette correspondance.
Ces deux juges sont donc d’avis que leur mandat à la Cour constitutionnelle est bien de neuf (9) ans pour chacun, et court toujours.
Ils signalent en outre que l’ordonnance n°20/108, du 17 juillet 2020 par laquelle ils ont été nommés à la Cour de cassation a omis dans ses visas la loi organique portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle. Elle fait seulement allusion aux articles 69, 79, 82, 152 et 153 de la Constitution, qui mettent en exergue le pouvoir du chef de l’Etat sur les juridictions de l’ordre judicaire et le Conseil supérieur de la magistrature.
Kilomba et Ubulu font remarquer à cet égard que la Cour constitutionnelle de la RDC ne fait pas partie de cet ordre de juridictions même si son président est en même temps président du Conseil supérieur de la magistrature. Ce qu’aucun juriste normalement constitué ne peut contester en l’état actuel de la législation.
«Au nom de nos familles biologiques et des nôtres propres nous vous présentons nos très sincères remerciements du fait que votre Excellence a pensé à nos modestes personnes.
Permettez-nous, néanmoins, d’informer votre Très Haute Autorité que conformément à la Constitution, en son article 158, alinéa 3, et à la Loi-organique n’13/026 du 15 octobre 2013, portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle, en son article 6, nos Mandats respectifs sont de neuf (9) ans pour chacun, et sont encore en cours. Quant à l’Ordonnance n°20/108, du 17 juillet 2020, nous notifiée, elle ne fait pas allusion, dans ses visas, à la Loi-organique portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle mais elle s’est plutôt basée sur les articles 69, 79, 82, 152 et 153 de la Constitution, qui mettent en exergue votre pouvoir sur les juridictions de l’Ordre judicaire et le Conseil Supérieur de la Magistrature, alors que la Cour constitutionnelle ne fait pas partie de cet Ordre de juridictions, dont seul son President est en même temps Président du Conseil Supérieur de la Magistrature, et non les membres de la Cour», ont-ils souligné avant d’ajouter : «En plus, l’Ordonnance n 20/108, du 17 juillet 2020, s’est référée aux articles 10 et 11 de la Loiorganique n’06/020 du 10 octobre 2006, portant Statut des Magistrats telle que modifiée et complétée par la Loi-organique n°15/014 du 1 août 2015, alors qu’aux termes de l’article 90 de cette même Loi-organique, il est dit expressément ce qui suit: ’’les dispositions de la présente Loi ne s’appliquent pas aux membres de la Cour constitutionnelle’’».
Ils indiquent que «cette ordonnance n°20/108, du 17 juillet 2020, ne devrait donc pas nous étre appliquée, en l’espèce, car la Loi-organique à laquelle elle se référe l’interdit en son article 90 ci-haut énoncé. Par ailleurs, aux termes de l’article 11 de la Loi-organique n’13/026 du 15 octobre 2013, portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle, il est précisé que : les membres de la Cour constitutionnelle sont régis par un Statut particulier».
Ils expliquent que «ce statut, qui est différent du Statut des Magistrats, est, lui, fixé par l’Ordonnance n’16/070 du 22 août 2016, portant dispositions relatives au Statut particulier des membres de la Cour constitutionnelle, à laquelle l’Ordonnance n°20/108 du 17 juillet 2020 ne s’est aucunement référée. Enfin, la Constitution de la République Démocratique du Congo, en son article 158, alinéa 4, effectivement prévu le renouvellement des membres de la Cour constitutionnelle par un tiers par groupe, tous les 3 ans».
Les juges Jean Ubulu Mpungu et Noël Kilomba Ngozimala notent en conséquence que ce renouvellement est prévu en avril 2021, et, « ne pourrait nous concerner nous deux, en même temps, étant donné que nous sommes tous les deu Juges issus du même groupe». C’est pourquoi, en conformité avec la Constitution, spécialement en son article 158, alinéa 3, ils déclarent se trouver dans l’obligation de garder leur position à la Cour constitutionnelle pour y achever leurs mandats constitutionnels.
«Après ces mandats constitutionnels, nous demeurerons totalement et entièrement à disposition de la République», ont-ils suggéré.
Notons que ces nominations dans la justice et dans l’armée ont créé de vives tensions entre d’un côté le FCC et le CACH et de l’autre côté, entre le président de la République et le 1er ministre.
Joignant la parole à l’acte, les deux juges ont donc boycotté la cérémonie de leur prestation de serment en qualité de présidents (de chambres) de la Cour de cassation qui avait été prévue le 04 août.
Il s’en est suivi un débat fort passionné dans les médias et réseaux sociaux entre ceux qui les accusent d’insubordination devant le magistrat suprême qu’est le président de la République et ceux qui soutiennent qu’ils n’ont fait que jouer leur rôle de juges constitutionnels gardiens du temple, conformément au sacro-saint principe de la suprématie de la loi et de la séparation des pouvoirs.
«Sauf à nous faire croire que dorénavant le président de la République est au-dessus de la Constitution et des lois du pays, on ne peut pas faire grief à ces deux juges constitutionnels de rappeler les principes fondamentaux coulés dans la loi des lois et dont manifestement les juristes de la présidence n’ont pas tenu compte», estime ce constitutionnaliste d’une université confessionnelle de Kinshasa qui s’est confié à nos rédactions.
Ce à quoi les pourfendeurs du duo Kilomba-Ubulu rétorquent en disant qu’ils se sont tiré une balle aux pieds car «ils ne se retrouveront plus ni à la Cour constitutionnelle où ils ont été déjà remplacés, ni à la Cour de cassation qu’ils ont délibérémment quittée».
Reste à savoir si le débat tourne autour d’un confort de carrière ou de principes d’un Etat de droit dans lequel toutes les doctrines proclament la soumission des institutions publiques quelles qu’elles soient au prescrit de la loi, à commencer par la Constitution.
JN