Le Soudan balkanisé, à qui le prochain tour ? La RD-Congo ? C’est la terrible question posée il y a de cela huit ans en 2012, par Nicaise Kibel’Bel Oka, éditeur et directeur de publication du journal Les Coulisses, paraissant dans la partie Nord-Est de la RDC.
Aujourd’hui, les faits démontrent qu’effectivement la RDC, notre pays, est en train de tourner une page de son histoire. On a l’impression que des forces occultes l’aident à mourir. Si l’on n’y prend garde, la RDC dans ses frontières héritées de la colonisation n’existera plus. Aujourd’hui qu’il est presqu’acquis que le forfait se prépare activement, et bien que l’on ne sache quand et comment il sera perpétré, il importe de sortir de la distraction alors que l’ennemi est à la manoeuvre sur toute la partie Est du territoire.
Grand pays ingouvernable?
La France qui, en 1998, avait choisi de «soutenir» l’unité du plus grand pays d’Afrique semble avoir capitulé devant la puissance anglo-saxonne. Mort donc à l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation. Mort à l’Afrique des indépendances. Apparemment, les Etats-Unis d’Amérique qui n’ont jamais eu de colonies en Afrique semblent en avoir besoin en ce 21ème siècle, en dépeçant les grands pays prétendument «ingouvernables» par un émiettement qui commence dans leurs parties les plus utiles en richesses naturelles.
Le Soudan du Sud, par exemple, regorge en effet de grandes quantités de pétrole. C’est ce qui intéresse au plus haut point les pétroliers. Il faut craindre la contagion pour la RDC pour deux raisons : sa taille de sous-continent et ses immenses potentialités naturelles convoitées par tous les charognards de la planète. Le pays de Lumumba est un Etat fragile et fragilisé par des nombreuses armées et une instrumentalisation en fonction des intérêts de grandes puissances qui se cachent derrière certains pays voisins pour poursuivre leurs efforts de mise sous tutelle du Kivu et toute la région septentrionale. On se rappelle à ce sujet la tentative en 2000 comme en 2010, de la création d’une province autonome de l’Ituri avec une « main d’œuvre » autochtone.
La partition du Soudan a eu un effet de contagion sur le Nord-Est de la RDC. Il a suffit d’actionner quelques marionnettes congolaises autour du fallacieux clivage Est-Ouest que l’on a toujours brandi à chaque événement majeur, comme ce fut le cas lors des élections de 2006.
Le nombre impressionnant de milices privées et autres bandes armées autour des mines a de quoi inquiéter à cet égard. Les différents gouvernements successifs de la RDC ne sont jamais parvenus à les contrôler. Tout se passe sur le mode du libéralisme maffieux qui s’impose partout. Le Congo, réputé ingouvernable, est en proie à une déstabilisation permanente par des milices et mouvements armés qui naissent, disparaissent et renaissent en changeant d’appellations.
Danger permanent : stratégies de balkanisation
Ce qui se passe à l’Est indique bien que les régions riches en matières premières sont en danger permanent à cause des convoitises extérieures. Dans le pire des cas, le Nord-Est de la RDC pourrait être démembré en commençant par le Haut et le Bas-Uélé (surtout le Haut-Uélé) à la frontière naturelle avec le Soudan du Sud. Culturellement, les peuples à cheval entre sur les deux frontières sont frères. L’histoire rappelle qu’il existe des territoires cédés de part et d’autre par compensation. La province du Haut-Uélé, avec le Parc de la Garamba, dispose de routes qui relient Isiro à Juba (Soudan du Sud), en passant par Dungu, Faradje et Abayei, avec un commerce florissant.
Ensuite viendrait le tour de l’Ituri et du Grand Nord (Beni-Lubero) sous la botte de l’Ouganda, très proche de certains opérateurs économiques et leaders ethnico-religieux et politiques de cette région et que les milices armées recrutées au sein des populations riveraines tiennent parfois à la gorge.
Enfin, le reste des deux Kivu vivraient sous la tutelle forcée du Rwanda dans un schéma en cours de réalisation en dépit des dénégations de Kigali.
Lorsqu’on ajoute à ce tableau sombre ce qui se passe dans le Grand Katanga où règne l’indécrottable et insaisissable Gédéon Kyungu qui tient toujours à son «Katanga yetu» (notre Katanga), la boucle est bouclée.
Toutes ces régions donnent des signes d’agitation centrifuge inquiétants même si on en parle en termes de tensions interethniques. L’autorité de Kinshasa y est souvent vertement contestée, voire vilipendée. Le cas du Soudan du Sud, à n’en point douter, constitue une jurisprudence pour toutes ces régions fragiles et longtemps convoitées par les multinationales anglo-saxonnes.
Ceux qui ont condamné à mort l’Afrique des indépendances risquent d’avoir gain de cause si le leadership congolais actuel ne se ressaisit pas pour mobiliser toute la nation autour de la défense de l’unité et de la cohésion nationale au de se laisser distraire par les querelles de clocher. L’intangibilité des frontières héritées de la colonisation deviendrait ainsi un souvenir du passé. Le danger est réel et devant notre porte.
HERMAN MALUTAMA