Les errements des politiciens semblent remettre au goût du jour la conflictualité entre ressortissants katangais et Kasaïens dans certaines provinces du Sud du pays, particulièrement le Haut-Katanga. Nos confrères de mediacongo.net se font en effet l’écho de la réapparition ci et là des pogroms anti-communautaires qui avaient caractérisé d’abord les premières années de l’indépendance du Congo-Kinshasa et ensuite la fin chaotique de la deuxième République du défunt président Mobutu Sese Seko.
Les dirigeants en place ont beau nié les faits dans leur globalité, la répétition des incidents ramène à la surface cette dangereuse réalité de la criminalisation de l’altérité pour des motivations politiciennes qui agit comme un poison mortel pour la survie et l’émergence des nations en Afrique ou ailleurs.
Face à la perspective des grandes échéances politiques nationales, beaucoup d’acteurs politiques éprouvent des difficultés à maîtriser la tendance de leurs partisans à instrumentaliser l’arme ethno-tribale pour défendre ce qu’ils considèrent comme leurs intérêts particuliers. «C’est notre tour, profitons-en comme les autres ont eu à le faire lorsque leur frère était aux commandes », entend-on certains responsables sans vision ni envergure susurrer pour encourager leurs ‘’bases’’ à persécuter des compatriotes coupables de ‘’mauvaises opinions’’ (sic !).
Médiacongo.net rappelle à ce sujet qu’à différentes périodes tendues de la vie politique congolaise, le conflit entre katangais et kasaïens a ressurgi.
En effet, depuis quelques mois, les réseaux sociaux grouillent de messages de haine diffusés impunément de manière soutenue. Ils ont pour soubassement les problèmes de coexistence dans la coalition majoritaire CACH-FCC du président de la République Félix Antoine Tshisekedi et de son prédécesseur Joseph Kabila Kabange qui ont décidé de mettre en commun leurs forces pour gouverner ensemble à la suite des résultats des élections générales de décembre 2018.
Cette coalition qui avait surpris aussi bien la fameuse communauté internationale (occidentale) habituée à régenter au mieux de ses intérêts tout ce qui se passe sous les tropiques africaines que des acteurs politiques locaux mécontents du partage des strapontins dont ils n’ont pas bénéficié directement et qui entourent les deux chefs de file a été aussitôt décrétée ‘’contre nature’’ par les uns et les autres. C’est à leurs pressions et conseils croisés que l’on doit la détérioration des rapports entre les deux composantes d’une coalition dont la RDC ne peut pourtant pas se passer.
Un antagonisme séculaire
C’est à tort que d’aucuns veulent faire croire que les querelles qui s’accroissent entre les « katangais » de Kabila et les « kasaïens » de Tshisekedi datent d’il y a seulement quelques années.
«Certes, la pression s’est accrue avec l’impuissance et la révolte subséquente de quelques têtes brûlées de la base de l’UDPS de Tshisekedi contre ce qu’elles considèrent comme l’impuissance dans laquelle le parlement, à majorité kabiliste donc ‘’pro katangaise’’ maintient le chef de l’Etat, l’empêchant de réaliser son programme et l’impression dans le chef de quelques extrémistes proches de Kabila qui estiment que ce dernier après avoir passé la main de manière civilisée à son partenaire dans la coalition ne mérite pas d’être vilipendé à tout bout de champ par les tshisekedistes», estime l’analyste Hubert Kabasubabu. Pour qui dans les esprits surchauffés de la plupart des mousquetaires actifs dans les deux plateformes (CACH et FCC), la majorité que les deux ont constituée ne résulte pas des élections mais du seul accord entre Kabila et Tshisekedi tout comme le poste de président de la République qui a échu à ce dernier.
La redoutable machine de propagande mise en œuvre par les officines suprématistes occidentaux a fait des ravages dans une opinion congolaise très fragile.
Les tentatives de Tshisekedi pour imprimer sa marque sur la gouvernance partagée que lui impose le schéma de coalition et celles de Kabila de faire respecter autant que possible les termes de cette dernière ont ainsi pour conséquences d’accentuer le sentiment des kasaïens et des katangais d’être assiégés les uns par les autres. «Dans un tel contexte, une étincelle suffit pour mettre le feu aux poudres et on n’a pas l’impression que Félix Tshisekedi et Joseph Kabila soient parvenus à trouver les bonnes parades pour brider les agitations réciproques qui grignotent la bonne entente au sein de leur coalition», selon l’abbé José Mpundu, prêtre catholique curé de Nsele dans la banlieue de Kinshasa et initiateur d’une des toutes premières associations citoyennes rd congolaises, le groupe Amos.
Il est en effet facile pour les pêcheurs en eaux troubles de convaincre des groupes de jeunes exaltés que la seule présence à la tête de l’Etat ou du gouvernement du ressortissant d’une communauté autre que la leur est de nature à constituer une menace existentielle pour eux. C’est dans ce sens que certains katangais expriment de plus en plus ouvertement leur crainte de se voir dominer chez eux par les kasaïens maintenant qu’un des leurs est à la tête de l’Etat.
Historiquement, la rivalité katangais-kasaïens est liée au nombre de «kasaïens» – appellation qui englobe divers groupes humains au katanga – dans l’ancienne grande province cuprifère du Sud de la RDC. Leur présence remonte à la période coloniale. Aux débuts de la colonisation belge (1908), le Congo n’avait que quatre provinces: le Katanga, la Province orientale, l’Équateur et le Kasaï. Le district du Lomami faisait alors partie du Katanga, dont il était la région la plus peuplée (51% de la population totale du Katanga en 1927, selon les Rapports aux Chambres 1927-1958).
C’est donc logiquement dans ce territoire qu’a été recrutée la main-d’œuvre pour les fabuleuses zones minières du Haut-Katanga sous-peuplées qui ont fait la prospérité de la métropole coloniale belge. De ces territoires, venaient 91% des recrues entre 1923 et 1930. Ils seront rattachés à la province du Kasaï à sa création en 1933. Une partie de ceux que l’on appelle aujourd’hui «kasaïens» au Katanga sont donc les descendants d’anciens katangais.
À ceux-là se sont ajoutés les descendants de travailleurs recrutés par l’Union minière du Haut-Katanga (ancêtre de la Gécamines). Leur proportion est passée de 9,7% des recrutements en 1943 à 38% en 1954, avant de diminuer. Alors que ces travailleurs migrants rentraient chez eux au bout d’un an, la politique minière de l’administration coloniale belge décida de les fixer au Katanga en leur construisant des maisons dans des ‘’centres extra-coutumiers’’ et en faisant de même avec les retraités afin que leurs familles continuent à fournir la main-d’œuvre nécessaire à une industrie minière florissante.
Peu à peu, les kasaïens ont constitué une importante fraction de la population au Katanga, en particulier à Lubumbashi, Kolwezi et Likasi. C’est ainsi que les élections de 1957 virent des kasaïens être élus à la tête de 3 des 4 communes d’Elisabethville (Lubumbashi), le quatrième étant un kivutien. Lorsque Moïse Tshombe déclara la sécession katangaise, en 1960, une première chasse à l’homme fut déclenchée contre ses adversaires politiques. Elle aboutit à la création, en 1961, d’un immense camp, protégé par l’ONU qui abritait entre 50.000 et 100.000 personnes, dont 40% de kasaïens et 25% de balubakat (lubas du Katanga), hostiles à la sécession, une ethnie dont sont issus les Kabila, ce qui explique sans doute le caractère nationaliste et détribalisée de ces derniers.
La grande misère du Kasaï
Il y a encore eu des mouvements migratoires du Kasaï vers le Katanga dans les années 70. Mobutu entendait alors créer un sentiment national pour vaincre le tribalisme et le régionalisme, entretenus par les anciens colonisateurs dans leur politique de «diviser pour régner». Lorsque le pays lui imposa le multipartisme dans les années 90, il appliqua la même stratégie naguère reprochée aux néocolonialistes dans l’unique but d’éviter que toute la population s’unisse contre lui. C’est ce qui explique les pogroms anti-kasaïens de 1992-93, encouragés par l’alors 1er ministre Ngunz-a-Karl I Bond avec son lieutenant Gabriel Kyungu wa Kumwanza. Les deux venaient en effet de rompre brutalement leur alliance politique avec le kasaïen Etienne Tshisekedi wa Mulumba sur l’instigation de Mobutu.
Les pogroms des années 90’ firent près de 100.000 morts et 600.000 à 800.000 expulsés selon les estimations de Médecins sans Frontières.
Quelques années plus tard, après la chute de Mobutu, la misère noire dans laquelle la deuxième République avait laissé le Kasaï a poussé nombre de kasaïens à braver à nouveau les risques de l’hostilité de leurs compatriotes de la riche province cuprifère à la faveur de la paix retrouvée suite à l’avènement de l’AFDL des Kabila. Peu à peu, des travailleurs kasaïens en quête d’emplois rémunérateurs dans les mines ou ailleurs se sont réinstallés au Katanga suivis par une multitude de jeunes adultes sans emploi qui, bien que ne connaissant pas les lieux, espéraient y trouver des moyens de subsistance à défaut d’un avenir professionnel. Le chemin de fer Ilebo-Kasumbalesa facilitait cette migration.
Tensions entre kabilistes et tshisekedistes
Aujourd’hui, un schéma de tension semble couver à nouveau malgré l’accord secret entre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi pour gouverner ensemble le pays conformément aux résultats des dernières élections. Leurs bases politiques respectives éprouvent des difficultés à intégrer dans leur univers mental la coalition mise à jour par les deux leaders et les étapes de sa mise en œuvre. Elles ne cessent de se crêper le chignon sur le terrain parfois pour des broutilles.
En fait, nombre d’entre eux semblent avoir intériorisé la fiction que leur servent quotidiennement des officines suprématistes occidentales selon laquelle les élections ont été ‘‘truquées’’. En effet, les occidentaux qui avaient parié sur la victoire du groupe Lamuka de Moïse Katumbi ne se consolent pas d’avoir été ‘’driblés’’ par le flegmatique Joseph Kabila qui avait non seulement fait mentir leurs projections de plonger le pays dans une révolution orange qui aurait suivi un troisième mandat présidentiel inconstitutionnel ont été également surpris par le fait que le quatrième chef d’Etat congolais ait laissé s’installer au pouvoir l’opposant radical Félix Tshisekedi avant de conclure avec lui une coalition post-électorale, une première en Afrique.
A en croire cet analyste de l’Université de Kinshasa, «depuis lors, tout a été mis en œuvre pour convaincre les Congolais que Tshisekedi n’aurait pas gagné la présidentielle, pas plus que les kabilistes n’avaient gagné les élections législatives. Les premiers messages des gouvernements européens et nord-américains sont révélateurs de ce piège à cons. Ils demandaient avec insistance à Félix Tshisekedi de se séparer de Kabila pour mériter leur appui en méconnaissant le fait que dans un régime semi-présidentiel, donc semi-parlementaire, la politique de la nation est une synthèse négociée entre le président de la République et la majorité parlementaire quelle qu’elle soit. En fait, ce qu’ils cherchent, c’est à réinstaller le Congo dans un chaos qui puisse leur permettre de dérouler leurs manœuvres de reconquête des espaces perdus».
Les tshisekedistes ne comprennent pas pourquoi le président n’arrive pas à imposer son programme, tandis que les kabilistes se demandent pourquoi, ayant une majorité très confortable dans toutes les institutions délibérantes, ils doivent partager les décisions qui en relèvent avec leurs partenaires. C’est l’histoire du lièvre qui, dans sa malice, oppose l’hyppopotame à l’éléphant en faisant croire à chacun d’entre eux qu’il se trouve au bout de la corde à tirer. Conséquence : à Lubumbashi et à Kinshasa, les heurts se multiplient entre les deux camps que les patrons ont de plus en plus de mal à brider.
Même au plan sociologique africain, Kabila étant katangais et Tshisekedi kasaïen, il y a de l’inconséquence politique dans cette ébullition des forces qui s’agitent en se réclamant de l’un et de l’autre pour attiser le conflit communautaire katangais-kasaïens, notamment en revivifiant les tendances sécessionistes de la partie utile du Congo. Certains katangais se raccrochent à cette idée d’autant plus volontiers qu’ils estiment n’avoir pas suffisamment «profité» de la longue présidence des Kabila père et fils qui ont été au pouvoir pendant 21 ans. Ce sont notamment les bakata Katanga dont on n’a pas encore fini d’entendre parler.
Les incidents se multiplient. On parle de postes-frontaliers entre la Zambie et la RDC contrôlés par des « combattants » de l’UDPS/Tshisekedi qui y font la pluie et le beau temps, de corps de membres de l’UDPS de Lubumbashi assassinés qui auraient été retrouvés dans une rivière locale après une manifestation contre la nomination de Ronsard Malonda présenté comme un kabiliste à la tête de la Commission électorale nationale indépendante (CENI). Une mobilisation qui a bénéficié de l’appui de Jean-Marc Kabund (UDPS) avec ses troupes de taxi-motards.
Le 19 juillet, une manifestation de « jeunes Katangais» devant la résidence du premier ministre (katangais) Sylvestre Ilunga Ilunkamba a exigé «le respect des katangais» après que le chef de l’Etat eut faire contresigner des ordonnances de nomination dans l’armée et la magistrature par un vice-premier ministre UDPS, le kasaïen Gilbert Kankonde en l’absence de Ilunga qui s’en est ému dans un communiqué peu protocolaire mettant en cause l’initiative présidentielle. Quelques jours plus tard, une délégation de notables katangais rendait une «visite de consolation et de réconfort» au général d’armée (4 étoiles) John Numbi un katangais, réputé kabiliste, qui venait d’être évincé de son poste d’inspecteur général des FARDC par lesdites ordonnances.
Fausses rumeurs en pagaille
Les réseaux sociaux offrent une formidable caisse de résonance aux pêcheurs en eaux troubles qui y multiplient de fausses nouvelles depuis quelques mois. Le week-end du 18-19 juillet, a ainsi circulé un message affolant selon lequel « 1.800 militaires, tous kasaïens, vont atterrir à minuit ce samedi-dimanche à Lubumbashi avec une mission très spéciale et précise. Ils viennent fraîchement des écoles de formation militaire en Egypte et leurs commandants d’Israël où ils étaient eux aussi en formation… Réveillez-vous! Félix Tshisekedi opte pour l’extermination des katangais!».
Gabriel Kyungu wa Kumwanza, un des incitateurs des pogroms anti-kasaïens des années 90’, aujourd’hui rallié à Félix Tshisekedi, a pour sa part mis en garde ses corégionnaires katangais ainsi que «tous ceux-là qui ont l’intention de créer le désordre ici». Visant les kabilistes qu’il avait quittés en 2015, il a ajouté : «hier ils étaient au pouvoir et n’étaient plus katangais. Aujourd’hui ils redeviennent katangais. Aujourd’hui Kyungu wa Kumwanza est taxé de traître parce que j’ai accepté de travailler avec le président Tshisekedi. Je les appelle (à) arrêter leurs manœuvres qui visent à déstabliser le Katanga».
Les fauteurs de troubles arriveront-ils à leurs fins? La réponse appartient à Félix Tshisekedi et Joseph Kabila.
J.N.