Depuis près d’un mois en RDC, la mobilisation de la rue est devenue l’unité de mesure du débat politique. Alors que le pays était encore sous l’empire de l’état d’urgence sanitaire décrété par le chef de l’État, son propre parti a été le premier à passer outre la batterie de mesures barrières en s’illustrant à deux reprises par des manifestations violentes, d’abord pour protester contre une proposition de loi émanant de deux députés du FCC, pourtant allié du CACH dans la coalition au pouvoir, ensuite pour s’opposer à l’élection par les confessions religieuses du futur président de la CENI, au motif que le choix des leaders religieux n’aurait pas dû être entériné par l’Assemblée nationale dont la compétence en la matière au regard de la loi est liée. Grands perdants du choix effectué par leurs pairs, les représentants des églises catholique et protestantes dont le candidat à la présidence de la CENI n’avait pas pu s’imposer démocratiquement face à Ronsanrd Malonda qui avait rafflé six voix sur les huit grands électeurs, avaient préféré se servir de la rue pour brouiller les cartes. À l’occasion du soixantième anniversaire de l’indépendance du pays, le cardinal Fridolin Ambongo a servi à l’opinion un discours des plus incendiaires, distribuant aux uns et aux autres des anathèmes sur la gouvernance du pays et appelant à l’insurrection populaire comme unique voie de salut pour le peuple. Le 09 juillet, l’UDPS, encore elle, bravait de nouveau l’interdiction du gouvernement à travers une marche au cours de laquelle la violence s’est invitée avec mort d’hommes dans les rangs aussi bien des forces de l’ordre que des manifestants. Des pillages et des actes de vandalisme ont également été signalés, dont la mise à sac des sièges des partis politiques membres du FCC. Répondant à la mobilisation de l’UDPS, Lamuka a fait battre le pavé à son tour à ses partisans à travers le pays le 13 juillet, en prenant tout de même la précaution de ne pas affronter les forces de l’ordre. Plus tard, le dimanche 19 juillet, les ouailles du cardinal Fridolin Ambongo du CLC et quelques mouvements citoyens comptaient leurs manifestants dans les rues de la capitale en guise de pression populaire pour faire valoir leurs revendications. Le FCC qui n’avait pas obtenu l’autorisation de la ville pour ses manifestations prévues le 14 juillet a préféré jouer la carte du civisme en attendant la fin officielle de l’état d’urgence pour faire parler la rue.
Déroulé de la marche
Tôt le matin ce jeudi 23 juillet 2020, les rues de la capitales étaient noires des colonnes de manifestants arpentant pour la plupart à pied les artères principales pour converger vers le point de départ de la manifestation des kabilistes, devant l’église Saint Raphaël dans la commune de Limete. Fait notable, les manifestants ont fait preuve de civisme et de discipline en respectant le mot d’ordre de leurs partis respectifs. 9h00, derrière les leaders de leurs organisations politiques, les militants du FCC arborant des drapeaux et des calicots aux couleurs de leurs formations se sont ébranlés sur le boulevard Sendwe, scandant des slogans en l’honneur de Joseph Kabila. L’objectif de la manifestation était sur toutes les lèvres au point que les marcheurs étaient enthousiastes à l’idée de montrer leur attachement à la préservation des acquis de l’alternance. Soutien total aux institutions de la République, à Joseph Kabila Kabange. «L’unité nationale n’est pas négociable, Congolais unis derrière les institutions, Joseph Kabila le père de l’alternance pacifique, non à la dictature, la majorité parlementaire émane de la majorité populaire, le FCC appelle au respect strict de la Constitution, etc.», autant de slogans génériques visibles sur les calicots multicolores des militants FCC.
Partie du boulevard Pierre Mulele, ex-24 novembre, une autre colonne de kabilistes autrement plus mobilisés a pris la direction du boulevard triomphal avant de faire jonction avec leurs camarades venant de Limete au niveau du stade des martyrs. Difficile de faire une évaluation exacte du nombre de manifestants qui affluaient en bouchant toutes les rues adjacentes autour des deux grands stades de la capitale, le stade Tata Raphaël et le stade des martyrs. Pendant que les leaders du FCC se détachaient de la foule au niveau du stade des martyrs pour déposer leur mémorandum auprès des présidents des deux chambres du parlement au palais du peuple, d’autres partisans de Joseph Kabila, bien qu’en retard sur le lieu, continuaient leur procession, refusant de rebrousser chemin après la clôture de la manifestation, déterminés à faire mentir à ceux qui accusaient la majorité parlementaire de n’être qu’artificielle. «Ce n’est pas parce que nous sommes une majorité silencieuse respectueuse des lois de la République que les inciviques désœuvrés qui battent illégalement le pavé peuvent se targuer d’être plus nombreux que nous», clamait un manifestant visiblement requinqué par la mobilisation tous azimuts de la famille politique kabiliste. Et d’ajouter: «maintenant nous sommes prêts à répondre dans la rue à ceux qui pensent que c’est par hasard qu’ils sont minoritaires au parlement. Ils doivent faire un distinguo entre la mobilisation de la rue et la mobilisation de l’électorat. Même si notre mobilisation de ce jour est de loin plus importante que celle de toutes les marches précédentes, nous ne pouvons pas nous targuer, avec environs 150.000 manifestants ce jour, d’être numériquement plus importants que ceux des kinois qui pour une raison ou une autre vaquent à d’autres occupations. Donc la rue n’est pas forcément le thermomètre de la popularité d’une organisation politique. Dans une démocratie représentative comme la nôtre, l’unité de mesure d’une formation politique ne peut être évaluée qu’à l’aune du nombre des élus dont elle dispose dans des assemblées délibérantes. Ceux qui ont cru pouvoir faire le malin en niant cette évidence apodictique seront chaque fois rattrapés par la réalité des faits comme la manifestation de ce jour».
Malgré leur comportement irréprochable, les manifestants du FCC ont été victimes d’escarmouches de la part des militants de l’UDPS, visiblement mécontents du succès de cette mobilisation. Ces combattants surnommés «talibans» se sont attaqués aux militants du FCC qui revenaient de la marche avec des pierres causant des blessés dans le périmètre de Limete/Funa.
Bilan des marches
Les manifestants de l’UDPS qui se sont illustrés par la violence causant des morts et des blessés ainsi que la destruction de quelques sièges des partis politiques membres du FCC doivent avoir tiré une belle leçon de civisme de la part des manifestants de Lamuka, du CLC et du FCC qui n’ont pas donné du fil à retordre aux forces de l’ordre. Le FCC s’est par ailleurs distingué par l’observance des consignes des autorités municipales. Aussi se sont-ils inclinés pour faire honneur aux institutions démocratiques du pays dont ils ont conscience de la douleur d’enfantement.
A tout prendre, beaucoup auront compris que ce n’est certainement pas dans la rue que les Congolais trouveront des solutions aux problèmes qui les assaillent et qui se sont accentués avec la crise sanitaire mondiale due à la covid-19.
On aura noté après cette manifestation que la mobilisation de la rue n’est pas un bilan à défendre à la fin du quinquennat ou de la législature. Au pire l’agitation observée n’aura été qu’une distraction de trop qui éloigne les dirigeants de l’essentiel et porte un coup fatal à la cohésion nationale.
JBD