Un reportage depuis les Etats-Unis de Maurin Picard, correspondant du quotidien bruxellois Le Soir à New York révèle que le président américain Donald J. Trump, inquiet pour ses chances de réélection en novembre prochain, « pense avoir trouvé le meilleur moyen de se faire oublier. Tout en tapant sur son rival démocrate : haro sur les relations dangereuses de Joe Biden avec la Chine… ». Pour l’auteur, la victoire au scrutin de novembre 2020 est un problème « plus obsédant » pour le tonitruant chef de l’exécutif américain que la crise sanitaire du coronavirus qui touche 740.000 de ses compatriotes et en a déjà tué plus de 40.000.
« Sa cote (de popularité) baisse dans les sondages, en lien avec sa gestion supposée de la pandémie outre-Atlantique. Un sondage du très sérieux Pew Research Center la semaine passée révélait que 65% de personnes interrogées considèrent que le 45ème président des Etats-Unis a bien trop tardé dans sa riposte face à la catastrophe sanitaire ».
Au pays de l’Oncle Sam comme partout ailleurs, lorsque les élections sont en vue dans un court laps de temps, le Covid-19 et ses conséquences en termes de récession économique, de chômage massif vont constituer inévitablement des arguments percutants de campagnes. Aux Etats-Unis particulièrement, on ne peut ne pas penser à l’enjeu de la couverture santé offerte par l’«Obamacare» à l’Américain lambda lorsqu’il se trouvera dans l’isoloir pour glisser son bulletin de vote dans l’urne le 3 novembre afin de décider qui, de Trump ou de son probable rival démocrate Biden, entrera – ou se maintiendra – à la Maison-Blanche le 20 janvier 2021.
The ‘’Chinese’’ virus…
Alors que le commun des mortels se mobilise contre la pandémie qui terrorise la planète en termes de Coronavirus ou Covid-19, Donald Trump, qualifié de « piètre manager de crise dépourvu de la moindre empathie vis-à-vis des malades et du personnel soignant » par Picard brille par sa jalousie teigneuse des gouverneurs qui, comme le démocrate Andrew Cuomo dans l’Etat de New York, ont pris les choses en main et cherche des échappatoires. Et des boucs émissaires. «Le coronavirus, rebaptisé par lui ‘’ Chinese virus’’ (le virus chinois) en conférence de presse à la Maison Blanche, a relancé une vague de sinophobie, essentiellement dans les milieux conservateurs et surtout l’électorat pro-Trump ». Le correspondant du tabloïd belge compare ce « coup de génie médiatique » à une série d’autres expressions xénophobes à l’emporte-pièce du président américain comme «Mexicains violeurs, construisons un mur», «les Européens de l’Otan doivent payer pour leur défense ». A son avis, le raisonnement de Trump ne s’arrête pas à ce niveau. Etant donné qu’une majorité d’Américains ne l’aime plus parce qu’il manque de consistance dans la peau de chef de guerre face au Covid-19, il a trouvé un autre thème de combat : écorner l’image de son futur adversaire démocrate en indexant les relations « dangereuses » entre Joe Biden et la Chine. « Sous le hashtag #BeijingBiden, l’offensive lancée sur les réseaux sociaux a rebondi dans le Michigan, le Wisconsin et la Pennsylvanie trois Etats clés de la campagne sous forme de publicités télévisées». Un Super PAC nommé ’’America First Action PAC’’ a décidé d’y consacrer 10 millions USD. Objectif: tirer à boulets rouges sur les liaisons dangereuses supposées entre le clan Biden et la Chine populaire depuis des décennies. Les sondages effectués parmi les sympathisants du président sortant confirment un espoir commun : «que Trump défie Pékin au bras de fer et continue de pourfendre les auteurs présumés du virus mortel venu de Wuhan ».
« Danger chinois » au lieu de «mur mexicain »
Pour les stratèges conservateurs, cet argumentaire antichinois est de loin plus intéressant que la vieille ligne d’attaque de la dénonciation de l’immigration illégale qui avait si bien réussi lors de la campagne de Trump en 2016. «L’argument du mur (pour contenir les immigrés mexicains NDLR) est en train de s’estomper et son manque d’efficacité lors des midterms (élections parlementaires de mi-mandat) en 2018 l’a relégué à l’arrière plan de la présente élection», a prédit Dan Eberhart, un magnat de l’industrie pétrolière dans le Colorado et grand donateur du parti républicain. Il ajoute que «la question de la Chine jouera en faveur de Trump qui a justement un bilan positif en la matière, avec son agressivité permanente vis-à-vis de la Chine. Il est passé maître dans l’art de fabriquer un ennemi de toutes pièces, de le mettre en évidence puis d’exhiber sa force en faisant mordre la poussière à cet ennemi. La Chine en est un bon exemple ». Problème : aussi évanescent et impulsif qu’il soit, Donald Trump sait instinctivement, que pousser dans les cordes le puissant Empire du Milieu aujourd’hui sous le leadership de Xi Jinping pourrait s’avérer contre-productif. Au fil des années, la République Populaire de Chine s’est ménagée un rôle d’usine du monde. S’agissant du Covid-19, elle est jusqu’à nouvel ordre le principal pourvoyeur d’équipement médical pour les hôpitaux même des Etats-Unis d’Amérique et leurs personnels soignant dont on s’aperçoit à quel point ils sont dépourvus de l’essentiel pour faire face à cette pandémie que nul n’aurait pu prévoir. « L’empathie, là encore, n’a rien à voir. Un clash sino-américain, électoralement motivé cette fois, pourrait faire capoter les négociations sur les tarifs douaniers et provoquer une nouvelle dégringolade des marchés financiers. Le cœur de la cible est là, dans ce Wall Street tout puissant dont les fluctuations déterminent les humeurs de tout dirigeant américain. Dans la grande bataille démagogique qui s’engage face au camp démocrate, il ne faudra peut-être pas trop compter sur l’électron libre nommé Donald Trump », écrit Maurin Picard à ce sujet. Sur le fond, une très récente enquête d’opinions a révélé que 65% des Américains interrogés considèrent que le président Trump a bien trop tardé dans sa riposte face à la catastrophe sanitaire.
Contrairement à son agitation électoraliste, les Européens paraissent plus circonspects. Ainsi, parlant de la vision européenne du monde post Covid-19, les commissaires européens à la Justice, Didier Reynders, et au Marché intérieur, Thierry Breton, après avoir rappelé l’importance du Pacte vert (Green Deal), qui poursuit l’objectif de neutralité carbone d’ici 2050 et de la numérisation pour changer la façon de produire, de consommer, de vivre et de travailler, ont mis l’accent sur les rapports de force. « Dans l’histoire, les grandes crises ont bien souvent été des accélérateurs de tendance (…). Il ne faut pas s’attendre à ce que tout soit à nouveau produit physiquement en Europe, les aspects qui ont fondé les échanges internationaux vont demeurer », a dit Reynders pour qui « il y avait déjà une évolution salariale dans les Etats qui étaient classiquement les pays d’investissements pour des raisons de différentiel de coût. On se demande certes si on peut accepter de manière très large des prises de participation d’opérateurs de Chine ou d’autres dans nos secteurs stratégiques. Il y a donc à la fois des mouvements et des mesures non pas protectionnistes, mais de regard sur nos intérêts stratégiques, qui pourraient entraîner des relocalisations en Europe ».
S’exprimant sur la dépendance des pays occidentaux vis-à-vis de la Chine en matière des médicaments notamment, son collègue Thierry Breton a déclaré : « Il n’y a pas que la Chine. Il y a la Malaisie ou l’Inde. La Commission est tout à fait disposée à organiser la gestion future d’éventuels stocks stratégiques communs ». Pour Didier Reynders, de grands laboratoires ou entreprises de santé en Europe qui avaient pensé avant la crise délocaliser certaines activités hors d’Europe ont stoppé leur projet du fait de cette crise. « Aucun pays n’était prêt à une vivre une pandémie d’une telle ampleur, à commencer par les Chinois. Alors que les questions de santé et d’équipements sont la compétence exclusive des Etats, la Commission s’est vu confier une mission de coordination et de supervision générale. On a identifié les usines qui fabriquaient ces produits et on leur a demandé d’augmenter très sensiblement leur cadence. Elles ont multiplié par trois voire quatre leur production. Aujourd’hui, suite à notre appel, cinq cents entreprises de textile sur le territoire européen ont converti des lignes de production pour produire des masques » a-t-il expliqué.
Panique au bureau ovale
Encouragées paradoxalement par le locataire de la Maison-Blanche, les manifestations de défi contre les mesures de confinement initiées par différents gouverneurs de certains Etats américains. Du New Hampshire à la Californie, en passant par le Texas ou l’Ohio, des manifestants souvent pro-Trump ont réclamé ce week-end la fin du confinement face au coronavirus, encouragés par le président américain lui-même qui a estimé que certains gouverneurs étaient «allés trop loin» dans les restrictions des libertés. Dans ce pays qui a pris la tête des statistiques macabres des victimes du Covid-19, les manifestants, brandissant souvent des drapeaux américains, ignorent carrément les consignes de distanciation sociale pour réduire l’expansion de la pandémie. « Si ces rassemblements semblent réunir avant tout des conservateurs partisans de Donald Trump, certains participants soulignent aussi que leurs motivations sont surtout économiques. Bien que les manifestants soient généralement peu nombreux, de tels rassemblements se sont multipliés ces derniers jours aux Etats-Unis », observe Picard. Pour sa part, Donald Trump, qui ne cache pas sa hâte de «rouvrir» l’économie de son pays, ne s’était pas gêné selon une dépêche de l’Agence France Presse, pour appeler vendredi à « libérer du confinement » trois Etats gérés par des gouverneurs démocrates, le Michigan, le Minnesota et la Virginie. Ubuesque !
Le Maximum