(Tribune de Lambert Mende Omalanga et Alfred Mote)
On se perd en conjectures sur la crise sanitaire – et économique – provoquée par le Covid-19. Faut-il en rire ou en pleurer ? Ça dépend de la perspective dans laquelle se situe l’observation. En République Démocratique du Congo, la pandémie ne sera certainement pas sans conséquences sur le rapport à lui-même et au monde de ce pays balloté depuis sa création il y a plus d’un siècle entre des influences extérieures de connivence ou antagonistes tellement prégnantes que d’aucuns au sein de son intelligentsia subjuguée en sont arrivés à lui donner un véritable statut culturel.
Médisance et auto-flagellation assumées
Financé à grands renforts de publicité par les propriétaires de puissants médias globaux dans l’hémisphère Nord, le Congo Bashing (inclinaison à présenter sous un jour systématiquement pessimiste tout ce qui se pense et se fait au Congo) sur lequel un chroniqueur talentueux de Jeune Afrique a disserté il n’y a pas si longtemps et que certains avaient rationalisé en l’inscrivant parmi les armes fatales de la bien-pensance occidentale contre le régime « dictatoriale » de Joseph Kabila Kabange, quatrième président de la RDC, a pourtant survécu au deuxième mandat constitutionnel de ce dernier. On se trouve face à une stratégie d’influence de puissances décidées coûte que coûte à garder en l’état la mise sous coupe réglée de cet immense territoire regorgeant de ressources qui avaient fait dire au géologue Jules Cornet qu’il était un scandale géologique. Avec son souverainisme tatillon sur le droit fil de ses précurseurs Patrice Lumumba et Mzee Laurent Désiré Kabila, Joseph Kabila n’aura été à cet égard qu’une parenthèse ‘‘désagréable’’ à vite refermer. Encore heureux qu’il ait pu s’en sortir physiquement sain et sauf.
Convaincu que la plupart des partenaires « traditionnels » de ce coffre-fort naturel qu’est la RDC ne pariaient que sur le maintien des rapports de sujétion avec ses populations autochtones, quitte à les atomiser en y favorisant un sous-développement et des conflictualités endémiques pour faire prospérer leurs affaires, l’ancien président avait initié en 2006 et 2011 un ambitieux programme de reconstruction et de modernisation des infrastructures grâce à des financements innovants accordés par des nouveaux partenaires comme la Chine afin de sortir le pays de la stagnation dans laquelle il s’engluait depuis l’aube de l’indépendance en 1960.
Atomisation et conflictualités téléguidées
Cette ambition légitime de faire profiter à ses concitoyens d’une partie substantielle de leurs ressources économiques a été le « péché » de Kabila. Les héritiers des colons, furieux de voir ainsi offerts les arcanes des entrailles du Congo de leur aïeul Léopold II à des tout-venants «chinetoques» (selon l’expression de l’ancien ministre belge De Gucht) à travers les contrats chinois avaient résolus de le défenestrer. D’abord évalué à quelques 9 milliards USD d’infrastructures contre minerais, ce projet qui devait permettre aux Congolais de jouir des ressources de leur sous-sol a été amputé d’un tiers en échange de l’atteinte du point d’achèvement de l’initiative Pays Pauvres Très Endettés (PPTE) suite notamment à l’entregent de l’ancien patron du FMI, Dominique Strauss-Kahn qui effectua même le déplacement de Kinshasa pour négocier ce ‘‘redimensionnement’’ d’un plan de développement de la RDC dont l’incongruité résidait dans le fait qu’il se faisait avec d’autres que les maîtres autoproclamés du monde…
Il n’en demeure pas moins que, pour une fois depuis l’indépendance, un nombre significatif de routes, ponts, aéroports, écoles ou hôpitaux ont été construits au Congo et que des engins motorisés pour la mécanisation de l’agriculture et la montée en puissance de l’armée ont été acquis. Cette obsession de Kabila de bâtir sur fonds propres un État moderne digne de ce nom pouvant tenir son rang parmi les autres n’a manifestement pas été du goût de ceux qui s’évertuaient à investir sur l’instabilité et le délitement du pays pour faire main basse sur ses potentialités. C’est à eux que l’on doit l’emballement du Congo Bashing.
Pas d’Etat moderne
sur fonds propres
A la fin de son deuxième mandat, Kabila a déjoué avec une rare dextérité politique le chaos généralisé mis en scène en faisant fonctionner les mécanismes juridiques et politiques qui ont abouti, à la surprise générale, à l’alternance pacifique et civilisée du pouvoir souhaité par le peuple congolais. Après avoir usé et abusé du ‘’Congo de Papa’’, les mêmes manipulateurs dont les précurseurs ont coupé les mains des indigènes coupables de ne pas avoir récolté assez de caoutchouc pour Léopold II, aliéné à leur compte l’uranium de Shinkolobwe pour fabriquer la bombe qui permit de vaincre Hitler et ses alliés de l’Axe, pillé le cobalt katangais et le coltan du Kivu pour fabriquer des voitures électriques et des smartphones reprennent du service.
Pour étouffer toute réédition des actes de résistance héroïque comme ceux de Simon Kimbangu, embastillé en 1921 jusqu’à sa mort et de Patrice Lumumba, promptement occis en 1961, ils se sont offerts la collaboration d’une myriade de nègres de service à travers quelques ONG, mouvements citoyens, confessions religieuses, médias et réseaux sociaux dénués de scrupules et de patriotisme pour briser net tout élan émancipateur et fertiliser le projet funeste de balkanisation du Congo.
‘In fine’ les légendes d’infamie concoctées contre le régime de Joseph Kabila se sont dégonflées avec l’avènement en bon ordre de Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, leader incontesté de l’opposition radicale audit régime à la faveur de l’élection présidentielle du 30 décembre 2018. Mais pour les officines impérialistes à la manœuvre dans les chancelleries et capitales occidentales, les vrais enjeux étaient ailleurs. Il ne leur suffisait pas que Kabila ne puisse pas rempiler. Encore fallait-il qu’un pion de leur obédience prenne sa place. A leur grand dam, les fiers riverains du fleuve Congo en avaient décidé autrement.
Elites piégées par le schéma néocolonial
Il reste qu’un certain nombre d’intellos bon teint et d’acteurs politiques bien-pensants sont encore prisonniers d’un conformisme éculé dicté par la commandite occidentale.
En dépit des évidences, ils s’évertuent à emboucher toute honte bue, les trompettes de la diabolisation de Joseph Kabila présenté pour des raisons irrationnelles comme un « fusible » à faire sauter pour que la RDC trouve grâce aux yeux de ceux-là même qui veulent l’atomiser.
Beaucoup ont gagné des prébendes sonnantes et trébuchantes dans ce véritable jeu de dupes qui recourt sans vergogne à la manipulation de l’opinion avec pour leitmotiv la diabolisation de l’indocile quatrième président de la RDC. Pour cette engeance infantilisée par l’extrême droite européenne et américaine, il suffisait que Joseph Kabila ou son dauphin ne soient pas à la tête du pays pour que le Congo devienne un paradis sur terre. Pure naïveté.
Une alternance
qui ne suffit plus
Tout se passe comme si les stratèges de la balkanisation du Congo ont été pris à leur propre piège et sont devenus les dindons de la farce. Grâce à la froide détermination de Kabila ainsi qu’au patriotisme et au sens de responsabilité des animateurs des principales institutions publiques congolaises, l’alternance qui est intervenue à Kinshasa a vu un opposant pur et dur devenir président de la République.
Le désarroi des manipulateurs est total. N’ayant pas imposé un de leurs homme-liges à la tête de la RDC, ils sont à la manœuvre au jour le jour pour rattraper le train de l’histoire en marche. On les voit s’improviser maladroitement parrains du nouveau régime qu’ils tentent par ailleurs de faire imploser parce que Kabila y participe par son Front Commun pour le Congo (FCC).
Mais le miracle du paradis promis s’il était mis fin au fragile équilibre construit autour de la coalition CACH-FCC ne résistera pas à la pandémie du Coronavirus qui a tôt fait de tracer les limites de la toute-puissance des auteurs de diktats et d’oukases qui font miroiter monts et merveilles si, et seulement si, les liens étaient rompus entre les deux partenaires de l’actuelle majorité parlementaire.
Diviser pour régner
Les Congolais découvrent, abasourdis, le spectacle inattendu de ces censeurs occidentaux incapables d’élaborer une politique commune pour l’éradication de la pandémie du Covid-19 et qui s’étripent à qui mieux-mieux dans une sordide guerre de masques de protection. Masques commandés par la France à la Chine et rachetés au pied de l’avion par les Etats-Unis ; masques italiens détournés en Tchéquie… C’est chacun pour soi et Dieu pour tous. Il appert clairement que ceux qui s’emmuraient dans le manteau de l’omnipotence sont passablement impuissants devant ce virus.
La pandémie a pris naissance en Chine, deuxième puissance économique après les Etats-Unis. Mais la vitesse avec laquelle l’empire du milieu est en train de se sortir de ce mauvais pas et de se remettre au travail en volant au secours des occidentaux, y compris les USA, bien mal en point, indique que le curseur de la puissance globale est en train de changer de camp.
Le réalisme commence à l’emporter chez certains. Au point de faire sortir de sa zone de confort cet économiste proche de l’opposition Lamuka qui ne supporte plus que les Congolais se déchirent à belles dents juste pour complaire aux occidentaux. Il l’a dit en parlant de la guéguerre qui oppose l’aile ‘’combattante’’ de l’UDPS du président Tshisekedi au FCC de Kabila : « Nos amis de l’UDPS ont hérité d’un pays en parfait état de gouvernabilité avec une armée dissuasive, des réserves de change au-delà d’un milliard de dollars, un pays réunifié, des infrastructures modernes, une administration relativement stable et une économie attractive. Ils n’ont qu’à faire mieux s’ils en ont la capacité au lieu de justifier leurs insuffisances en indexant celui qui était là avant eux. Kabila avait au moins l’excuse d’avoir hérité d’un pays dont les deux tiers du territoire était occupé par des armées étrangères, avec seulement trois cent millions de dollars de réserves de change en 2002… », a-t-il déclaré.
La démonstration
par le Covid-19
Personne ne pensait sous le mandat de Kabila qu’un virus dévastateur allait ainsi remettre les compteurs à zéro en 2020. Même certaines grandes puissances étrangères auxquelles des théoriciens du complot attribuent la paternité du Covid-19 pour des raisons géostratégiques peinent à se doter des moyens d’une riposte à la hauteur de la menace. Partout, on essaye laborieusement de parer au plus pressé.
La Chine a surpris en érigeant en quelques jours un hôpital de 10.000 lits pour faire face à la pandémie. Pendant ce temps, aux États-Unis ou au Royaume-Uni, les systèmes de santé pourtant réputés très modernes sont débordés au point que des hôpitaux de campagne sont construits à tour de bras. La France, une des puissances européennes de pointe en est réduite à attendre impatiemment du matériel de protection de… Pékin tandis que l’Italie, autre puissance du vieux continent n’a pas assez de mots pour remercier Cuba qui y a dépêché ses médecins à la rescousse.
Mais il se trouve encore des Congolais qui s’évertuent à remuer les sentiers battus du Congo Bashing, critiquant les établissements hospitaliers érigés par Joseph Kabila de ne pas répondre aux exigences d’une pandémie survenue un an après son départ de la présidence de la République. « Ils ont perdu tout sens de l’objectivité car l’Hôpital du cinquantenaire est un des meilleurs de toute l’Afrique centrale », s’indigne un médecin proche du dossier. Pour qui, « il faut reconnaître que Kabila a fait sa part. Aux autres de faire plus et mieux pour présenter à leur tour un bilan autrement plus élogieux ».
Choisir entre la
RDC et les autres
Ainsi que le dit un célèbre artiste congolais, le mensonge prend souvent l’ascenseur mais finit par se faire rattraper par la vérité qui vient par les escaliers. Ceux qui voudraient mériter on ne sait quelle reconnaissance des colonisateurs en disant pis que pendre de leurs dirigeants devraient méditer ces propos du défunt président guinéen Ahmed Sékou Touré : « lorsqu’un dirigeant africain est félicité par les colons, c’est qu’il n’est pas du côté du peuple. Le jour où les anciens colons diront du bien de moi, c’est que je vous aurai trahis ».
Face à ce brouillage généralisé des repères dû au Covid-19 et à ses conséquences, force est de constater que quoiqu’ils veuillent faire croire, l’horloge mental des héritiers de Léopold II semble s’être irrémédiablement cassée en 1885 au Palais Radziwil qui avait abrité la conférence de Berlin sur le bassin du Congo pour consacrer le statut de colonie internationale de ‘‘l’Etat indépendant du Congo’’. Au fond d’eux-mêmes, la plupart des plénipotentiaires représentant les puissances parties prenantes à ces assises de 1885 avaient dû avoir en tête ces mots de l’héroïne du Lac de Lamartine ivre de bonheur :
« Ô temps ! Suspends ton vol, et vous, heures propices, suspendez votre cours ! Laissez-nous savourer les rapides délices des plus beaux de nos jours… ».
Un rêve impossible dont l’histoire a démontré la vanité. Nul n’a le pouvoir d’arrêter le temps.
A la faveur de la crise du Covid-19, de plus en plus de Congolais, à mi-chemin entre une souveraineté revendiquée et les projets téméraires de recolonisation de leur pays, refuseront désormais de s’abreuver aux mamelles toxiques de ceux qui, dans l’hémisphère Nord, s’évertuent à leur inoculer l’idée que leur survie est antinomique à leur autonomie et dont il est évident aujourd’hui qu’ils n’ont ni la capacité, ni la volonté de leur restituer tout ce qu’ils leur ont pris depuis 1885.