C’est à la surprise générale que l’on a appris le décès vendredi dernier du général major Delphin Kahimbi, chef d’état-major adjoint des renseignements militaires des FARDC (sécurité militaire). Kahimbi qui s’était enrôlé lors de la longue marche de l’AFDL de Mzee Laurent Désiré Kabila contre le régime de la 2ème République a été notamment commandant de la 8ème région militaire à Bukavu, chef adjoint du commandement opérationnel de Kiwandja et Rutshuru dans le Nord-Kivu avant de devenir chef d’état-major adjoint en charge des renseignements militaires. Aussitôt, Mike Hammer, ambassadeur des États-Unis d’Amérique à Kinshasa avait posté sur son compte twitter que « comme nous l’avons déclaré constamment, ceux qui sont corrompus, commettent des violations des droits de l’homme ou qui perturbent le processus démocratique doivent être tenus pour responsables ». De son côté, Peter Pham, envoyé spécial des USA dans la région des grands lacs qui venait de séjourner en RDC, avait surenchéri en des termes peu amènes : « la population devrait applaudir le chef de l’État Félix Tshisekedi pour les efforts consentis dans la lutte contre la corruption et les sanctions réservées à tous les auteurs des violations des droits de l’homme ainsi que ceux perturbent le processus démocratique ». Vingt-quatre heures plus tard, le général Kahimbi était trouvé mort dans la matinée de vendredi 28 février dans sa résidence de Ngaliema. On se perd en conjectures sur les causes de la mort inopinée de cet officier général encore jeune (il avait à peine 50 ans), robuste et en bonne santé qui, il y a encore quelques jours avait fait l’admiration des auditeurs de la session spéciale du Collège des hautes études de stratégie et de défense (CHESD) en animant avec brio une conférence sur les enjeux sécuritaire de l’heure en RDC. Depuis 2017, Kahimbi et un certain nombre d’autres gradés des FARDC faisaient partie avec quelques officiels et officiers de sécurité rd congolais de sanctions ciblées de l’Union européenne et de l’Office of Assets Control (OFAC) du Département du Trésor américain qui leur reprochaient d’avoir violé les droits de l’homme et contrarié le processus démocratique du pays (retard de deux ans des élections générales qui, prévues pour fin 2016, avaient eu lieu en 2018). Depuis son avènement à la tête de l’Etat à la faveur de ces élections, le président Félix Tshisekedi a fait l’objet de fortes pressions pour passer outre les engagements pris dans le cadre de l’accord dit de la St Sylvestre en faveur d’une décrispation du climat politique consistant notamment au retrait de ces sanctions unilatérales. Il avait, de ce fait, demandé aux gouvernements américain et européens un assouplissement de ces mesures. En vain. Les autorités américaines ont continué à faire la sourde oreille tandis que le Conseil européen n’a consenti qu’à alléger leur liste de sanctions en en retirant deux personnes, l’ancien ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement Lambert Mende et un ancien assistant de l’ancien Administrateur général de l’ANR (Renseignements généraux) Roger Kibelisa. Après la suspension du général Kahimbi pour des raisons qui n’ont pas été rendues publiques, l’ambassadeur américain Hammer, l’envoyé spécial Pham et Ida Sawyer, de l’ONG Human Rights Watch ont ainsi bruyamment fait état de leur satisfaction en invoquant pour les deux premiers « la corruption » dont il se serait rendu coupable et pour la dernière et « l’opportunité ainsi créée de le poursuivre pour plusieurs chefs d’accusations à sa charge ». Sans plus. Un lynchage médiatique dont nul n’est en mesure de déceler les fondements objectifs. « Il n’est pas exclu que cette humiliante interdiction de voyager par la Direction générale de Migration alors que selon toute vraisemblance, le général Kahimbi disposait de toutes les autorisations requises à cette fin et ne faisait l’objet d’aucune interdiction judiciaire dans ce sens suivi de sa suspension de toutes fonctions sur fond d’une campagne de dénigrement par des sources aussi importantes que l’ambassadeur des Etats-Unis et l’envoyé spécial américain puisse pousser cet officier qui a passé les 23 dernières années sous le drapeau au service de son pays au désespoir. Notre président ne doit pas laisser nos vaillants officiers être malmenés aussi abusivement par nos propres services comme la DGM ou par ceux qui se prétendent nos amis comme l’ambassadeur Hammer ou l’envoyé spécial Peter Pham », déclare un de ses proches de Kalehe (Sud-Kivu) qui privilégie la thèse du suicide. Et demande que l’enquête souhaitée par le chef de l’Etat ne laisse de côté aucun des protagonistes qui ont participé à l’humiliation de Delphin Kahimbi. Pierre Ngube-Ngube, candidat malheureux à la dernière élection présidentielle qui dirige l’opposition républicaine légitime, estime quant à lui que « ni la DGM, ni un ambassadeur, un envoyé spécial ou des ONG et gouvernements étrangers n’ont qualité pour qualifier quelqu’un de criminel en RDC, ce privilège étant réservé aux seuls juges en vertu de notre constitution ».
Une autre source sûre dans la communauté des renseignements a signalé que le défunt patron de la sécurité militaire était soupçonné de vouloir se rendre en Afrique du Sud pour y acquérir des armes et du matériel d’écoute en vue de déstabiliser le pays. On croit rêver…
« Ce n’est un secret pour personne que Delphin n’était pas très bien vu du président de la République qui est en même temps commandant suprême des forces surtout du fait de sa présence sur la liste des officiers blacklistés par Washington et Bruxelles mais nous pensions qu’à l’instar de la plupart des autres membres du haut commandement militaire, le commandant suprême pouvait relativiser ces sanctions qui ne proviennent pas du Conseil de sécurité des Nations-Unies du fait de leur caractère arbitraire et illégitime. Nous étions persuadés que c’est la raison pour laquelle elles ne furent pas prises en compte dans la mise en place de la chaîne de commandement actuelle », a déclaré à nos rédactions un collègue du général Kahimbi sous couvert de l’anonymat avant d’ajouter que « c’est pourtant avec cette architecture hiérarchique et en n’écoutant pas les détracteurs étrangers qui s’évertuaient à affaiblir les FARDC en les divisant notamment par leur acharnement sur certains officiers les plus méritants avec l’aide de quelques agitateurs congolais manipulés que, parti de rien, le président de la République sortant a pu constituer une puissance militaire qui figure aujourd’hui dans le Top 10 (8ème place en 2020) africain ». En dépit des performances alignées par ces forces loyales congolaises baptisées par les kinois «Eloko ya makasi» après qu’elles aient infligé une défaite totale au M23 et ses alliés rwandais, certains porte-voix de partenaires traditionnels de la RDC comme Peter Pham ou Mike Hammer se signalent par des messages démoralisants tendant à minimiser leur efficacité et à leur promettre un soutien chimérique à la condition qu’elles se délestent d’une partie substantielle de leur matière grise pour cause d’indexation par les fameuses sanctions ciblées. «Tout se passe comme si on demandait à un tigre de se couper volontairement et sans raison apparente les griffes et de se faire arracher les dents pour lui donner accès à une forêt giboyeuse. En réalité, il ne pourra ni attraper le moindre gibier, ni pouvoir le manger et mourra d’inanition», estime ce professeur de stratégie au CHESD après avoir rappelé les raisons pour lesquelles les Etats-Unis eux-mêmes ont toujours refusé d’adhérer au Traité de Rome instituant la CPI (chose que la RDC a faite) au motif que cela placerait les éléments de leurs forces armées sous la coupe d’une autorité autre que … américaine.
Accusé par diverses ONG d’avoir interpellé des personnes suspectées de tentatives d’atteintes armées à la sécurité du pays comme Moïse Moni Della, Martin Fayulu, Norbert Luyeye, Cubain Tshimbalanga, cité dans l’assassinat d’Albert Prigogine Ngezayo, l’homme d’affaires congolais assassiné à Goma le 13 Mars 2008 par Isabelle Ngezayo, la fille de ce dernier, le général n’a jamais été inculpé par la justice pour tous ces faits. Commentant l’information diffusée par Top Congo FM selon laquelle vendredi matin, le général Delphin Kahimbi devait être entendu au conseil national de Sécurité (CNS) sous procès-verbal, notre source s’étonne : «Ne fallait-il pas, en cas de suspicion le faire auditionner plutôt par l’Auditorat général près la haute cour militaire ? A ma connaissance, le CNS n’est pas un démembrement de la Justice Militaire ! Il y a une tradition coulé en forme de loi en vertu de laquelle seuls les magistrats militaires et leurs services auxiliaires ont compétence pour connaître des faits imputés aux membres des forces armées. Pourquoi devait-il en être autrement pour Kahimbi ? ». Suicide ou AVC des suites de la forte émotion provoquée par les humiliations qui lui auraient été infligées, la disparition de cet ancien commandant des opérations Amani Leo, nécessite des éclaircissements pour que justice soit faite.
J.N.