La fermeture provisoire, par décision du gouvernement central du campus de l’Université de Kinshasa (UNIKIN), la plus grande institution d’enseignement universitaire du pays avec ses près de 40.000 pensionnaires, défraye la chronique depuis la semaine dernière. Au-delà des préoccupations exprimées ci et là au sujet des revendications à la base de cette vague de mécontentement et des responsables d’actes criminels commis en la circonstance (assassinat d’un agent de l’ordre, destruction méchante de laboratoires, pillage d’un établissement bancaire etc.), quelques questions méritent d’être soulevées. « Si il y a eu réellement des actes de délinquance commis par les étudiants et si des armes de guerre ont été découvertes dans les résidences estudiantines, c’est que nos autorités en charge du secteur ne sont pas à la hauteur. Comment peuvent-elles laisser s’installer un tel vent de défiance aux lois de la République dans une institution publique comme l’Université de Kinshasa et pourquoi attendre seulement au moment de la revendication de frais académiques ? Quelle garantie pouvons-nous avoir que ces délinquants qui ont mis à sac la salle des promotions ou le siège du syndicat des professeurs et tenter de bouter le feu au réacteur atomique expérimental de la faculté des sciences ne vont pas récidiver ?», s‘exclame un professeur approché par notre reporter. Pour sa part Patrick Nkanga Bekonda, un haut cadre du parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD) dont il a dirigé naguère la puissante Ligue des Jeunes, appelle à une profonde réforme du système éducatif congolais à la suite des événements de l’UNIKIN. « A la lumière des événements enregistrés lors de ces manifestations violentes sur le site de l’université, une réforme de tout le système éducatif de la République Démocratique du Congo est incontournable », selon cet ancien conseiller du président de la République honoraire Joseph Kabila Kabange qui ajoute que cette réforme « doit être en phase avec les ambitions stratégiques de notre pays car l’explosion qui a été observée à l’Université de Kinshasa n’est que la partie visible de l’iceberg ». Surfant sur l’événement pour camper dans sa posture d’opposant radical à la majorité FCC-CACH au pouvoir, Martin Fayulu Madidi, leader de l’ECIDE-LAMUKA, s’est lancé dans une campagne visant manifestement à banaliser les violences commises sur le campus et à prendre fait et cause pour les pensionnaires de la colline inspirée « où vont aller les étudiants qui n’ont pas de familles à Kinshasa ? », s’est-il interrogé dans un message sur son compte twitter posté dès le 8 janvier sans se soucier outre-mesure du policier lynché, des casses et blessures survenues lors du soulèvement des étudiants de lundi 6 et mardi 7 janvier. Fayulu s’est limité à demander « aux décideurs de trouver une solution aux revendications de ces étudiants étant donné que procéder à leur évacuation du campus est loin d’être responsable car tous ces étudiants qui n’ont pas de familles dans la capitale congolaise ». Pour l’inconsolable candidat malheureux à la présidentielle du 30 décembre 2018, « le sens de responsabilité commande que l’on trouve en urgence la solution aux revendications des étudiants de l’université de Kinshasa, plutôt que de procéder à leur évacuation du campus ». Seth Kikuni, un autre candidat malheureux à la dernière élection présidentielle a, pour sa part, indiqué qu’il n’est pas normal qu’un seul établissement d’enseignement universitaire ait autant d’étudiants. Sa solution à de telles saillies qui sont à la base de plusieurs années blanches au cours des dernières décennies est des plus radicales : « Dans un pays pauvre, l’Université doit coûter cher, surtout les études des sciences sociales », a-t-il fait savoir via son compte twitter. Et d’ajouter que « ce qu’il faut rendre moins coûteux, ce sont les écoles techniques et les Instituts supérieurs. Sinon le pays ne va pas s’enrichir. L’Université va s’appauvrir et produire des délinquants. J’assume mes propos ». Après les graves incidents survenus lors du soulèvement des étudiants de l’UNIKIN le lundi et mardi de la semaine dernière, le ministre de l’Enseignement Supérieur et Universitaire Thomas Luhaka Losendjola a décidé de vider les homes d’étudiants de tous leurs occupants auxquels le dernier déguerpissement avait été fixé à jeudi. Après le parti politique Nogec (FCC) qui a jugé fondées les revendications des étudiants tout en condamnant la méthode violente utilisée par eux pour les exprimer, le Cercle de réflexion juridique de la lutte contre l’impunité (CRJI) en sigle, a déposé une plainte auprès du procureur général près la cour de cassation contre le ministre Thomas Luhaka pour violation des dispositions de la constitution congolaise notamment l’article 29 en vertu desquelles « le domicile est inviolable », une démarche sans lendemain selon notre chroniqueur judiciaire. « parce que d’une part, c’est la Cour constitutionnelle, et non la Cour de cassation, qui est compétente pour connaître d’éventuelles violations de la constitution et d’autre part, il s’agit d’une mesure d’ordre public prise dans le but de préserver la sécurité de même que l’intégrité d’une scène de crime car un agent de l’ordre a bien été tué au cours des échauffourées », estime-t-il. Cette position du gouvernement est loin de faire l’unanimité. « A l’évidence c’est une décision mal orientée », selon ce chef d’une promotion à la faculté des sciences économiques. « Il fallait d’abord trouver une solution acceptable par les étudiants au sujet des frais académiques avant de se lancer dans ce type d’opérations et mettre en place un nouveau comité de gestion efficace et envisager l’informatisation de l’accès aux auditoires, laboratoires, bibliothèques et chambres d’étudiants par une carte magnétique qui donne l’information au quotidien aux gestionnaires des différents sites », estime-t-il. A son avis, tant que le vaste domaine de l’Université de Kinshasa ne sera pas clôturé, rien ne permet d’espérer que les délinquants non étudiants n’y auront pas accès même si on parvenait à les en chasser. « Nos autorités feraient mieux d’aborder ce type de défis très froidement et cesser de d’y réagir de manière trop épidermique », conclut-il. Outre cette principale solution, notre source recommande le recrutement et le déploiement d’un vigile de la garde universitaire à chaque voie d’accès vers l’alma mater avec des moyens de connexion vers la police, le contrôle mensuel des occupants des résidences universitaires qui ne peuvent être strictement occupées que par des étudiants dûment enregistrés, le déguerpissement des étudiants finalistes préavisés par les gestionnaires des homes, l’instauration d’une carte magnétique utilisable exclusivement par les étudiants et, en cas de nécessité par les vigiles de la garde universitaire et l’interdiction de toute activité politique au sein de l’université. En tout état de cause, l’agitation récurrente dans les milieux universitaires appelle des réformes courageuses impliquant non seulement la sécurisation des campus mais aussi leur désengorgement par une réglementation plus rigoureuse des conditions d’accès permettant une adéquation entre leurs capacités d’accueil respectives et le nombre des pensionnaires qui y sont admis.
J.N