Portes fermées, grèves sèches, année ‘’blanche’’, c’est ce à quoi on s’attend à assister dans un certain nombre d’établissements d’enseignement primaire, particulièrement ceux dont les salaires des enseignants étaient partiellement ou totalement pris en charge par des contributions volontaires des parents avant la mise en œuvre au pas de charge du principe constitutionnel de la gratuité de l’enseignement fondamental décidé par le président de la République Félix Tshisekedi et confirmé par le gouvernement. Les événements survenus dans une des grandes écoles de la capitale, le lycée Motema Mpiko dans la commune de Kasa-Vubu à Kinshasa, sont en effet un prélude à ce qui risque de survenir prochainement à travers un grand nombre d’établissements scolaires de même nature. Acculée par des instituteurs qui n’entendaient pas perdre les avantages sous forme de primes leur accordées grâce aux contributions des parents, la révérende sœur préfète de l’école s’était résolue à ignorer l’instruction du gouvernement relative à la mise en œuvre « complète et immédiate » de la gratuité de l’enseignement fondamental. Elle a fait payer aux parents d’élèves une contribution alignée sous la rubrique « frais de fonctionnement ». Son geste, justifié également par le fait que lesdits frais concernaient aussi bien les activités de l’école primaire que celles du cycle secondaire, a été perçu comme un défi à une décision gouvernementale et lui a valu d’être interpellée et placée en détention par les services de l’Agence nationale des renseignements (ANR) invoquant une subversion délibérée. Les autorités municipales de la ville-province de Kinshasa démontrent ainsi leur volonté de ne pas transiger au sujet de la matière sensible de la gratuité de l’enseignement fondamental. Réponse du berger à la bergère : par solidarité à l’égard de la religieuse, ses collègues se sont empressés de sceller la bibliothèque, puis de suspendre ‘sine die’ les cours d’informatique ainsi que d’autres activités d’encadrement des élèves. Face à la fermeté des autorités, les responsables de l’école ont carrément fermé l’établisseLES RATES DU PROGRAMME DE GRATUITE DE L’ENSEIGNEMENT FONDAMENTAL Des instituteurs mal à l’aise ment et demandé aux enfants de rentrer à la maison avec leurs bagages. L’Abbé Germain Nzinga du réseau de l’enseignement conventionné catholique qui se plaint des pressions reçues aussi bien des partenaires municipaux de l’établissement conventionné que du gouvernement central a annoncé que pour la première fois depuis sa création en 1968, le lycée Motema Mpiko a été obligé de sceller ses portes pour une année scolaire entière… Ce prêtre voit dans cette réaction une regrettable manifestation du phénomène de politisation de la question de gratuité de l’enseignement en République démocratique du Congo car « conformément aux déclarations officielles du président de la République et celles du ministre d’Etat en charge de l’enseignement primaire, secondaire et technique (EPST), la gratuité de l’éducation ne devrait concerner que l’enseignement primaire. Le fait que la sœur préfète a été sommée ‘manu militari’ de rembourser la totalité des frais scolaires payés par les parents au nom de la gratuité de l’enseignement, y compris pour les classes de 3e, 4e, 5e et 6e des humanités donne vraiment matière à réflexion sur les méthodes de gouvernance de l’actuel régime ». La fermeture du lycée Motema Mpiko risque de faire tâche d’huile non seulement dans la capitale mais aussi à travers tout le pays s’il faut en croire la mise en garde adressée à ce propos aux autorités par le cardinal Fridolin Ambongo lorsqu’il a souhaité que le projet de gratuité de l’enseignement fondamental «ne produise pas d’effets pervers». S’exprimant à ce sujet devant le président Félix-Antoine Tshisekedi dimanche 17 novembre lors de la messe d’action de grâce à l’occasion de son élévation à la dignité cardinalice, le nouveau primat de l’Eglise catholique congolaise avait appelé le gouvernement à négocier avec tous les acteurs du secteur pour éviter de tels désagréments. Aux dernières nouvelles, quelques organisations syndicales des enseignants des réseaux catholiques et protestants auraient convenu de mettre fin à leur débrayage et de reprendre la craie. Pour autant, on ne devrait pas négliger les risques d’une relance des protestations si les autorités ne parvenaient pas à stabiliser leur réponse au mécontentement et aux revendications des instituteurs, particulièrement les nouvelles unités (NU) et ceux non payés (NP) sans lesquels il sera quasi impossible de scolariser le trop plein d’élèves drainés vers les écoles publiques du fait de la mesure de gratuité. « La sommation des besoins indispensables pour réaliser le projet de gratuité de l’enseignement fondamental pour l‘année fiscale en cours faite il y a quelques mois évaluait ceux-ci à plus de 2 milliards USD », a déclaré au Maximum un ancien ministre de l’Enseignement primaire, secondaire et professionnel sous le sceau de l’anonymat. Malgré le volontarisme affiché par les autorités congolaises à ce sujet, elles n’ont pu affecter plus que cette somme pour l’ensemble du secteur de l’éducation (qui comprend outre l’enseignement fondamental, les filières professionnelles et l’enseignement supérieur et universitaire). On est donc encore loin du compte. De sa dernière visite à Washington, le président de la République Félix Tshisekedi a bien ramené une promesse de 500 millions USD des institutions de Breton Wood dont on ne connaît pas encore grand-chose sur les conditionnalités y attachées. «Dans le meilleur des cas, la mise à disposition de ces fonds ne permettrait de résoudre qu’une partie du problème et quelques centaines de millions USD resteraient encore à trouver pour résoudre le problème de la prise en charge des dépenses relatives à la gratuité de l’enseignement fondamental pour cette année scolaire», selon un expert proche du dossier. Une véritable quadrature du cercle. Aux grands maux, les grands remèdes : lors du débat général sur la loi de finances 2020, quelques députés ont fait au gouvernement des propositions marquées au coin du sceau du bon sens et de la sagesse. Ils ont notamment suggéré d’instituer une contribution spéciale dont les recettes serviraient à en couvrir les frais. Cette contribution pourrait être prélevée sur les prix des titres de transport routier ou aérien ainsi que sur les appels téléphoniques. « Le gouvernement serait plus avisé de compter sur des ressources internes que de miser sur les promesses mirobolantes de dons de certains partenaires internationaux qui, dans leur empressement à remettre le grappin sur la RDC nous noyent dans des tonnes de promesses. L’expérience du passé nous a démontré à quel point de grandes réformes soumises à de tels engagements sont restées sans lendemain », a déclaré à ce sujet un parlementaire ancien membre du gouvernement. Une affaire à suivre avec la plus grande attention.
JN