L’ex-ministre de la Santé et donc ancien patron du comité sectoriel de lutte contre la maladie à virus Ebola (MVE), « démissionné » dans des conditions controversées en juillet dernier avant d’être entendu par la justice et de se voir interdit de quitter le territoire national, le Dr. Oly Ilunga, a finalement été mis aux arrêts samedi 14 septembre 2019. Dans des conditions toutes aussi controversées.
Selon un communiqué rendu public par la police, l’ancien ministre est «placé en détention pour s’être soustrait des poursuites judiciaires en cherchant à gagner le Congo-Brazzaville par le Kongo-Central ». Dans ses explications à la presse, le Colonel Pierrot Mwanamputu, porte-parole de la police nationale congolaise, explique de manière quelque peu confuse, que Oly Ilunga a été interpellé dans un appartement à la Gombe … parce qu’il avait l’intention de se rendre à Brazzaville via le Kongo Central.
L’officier supérieur qui s’occupe de la communication de la police depuis l’époque du Maréchal Mobutu ne révèle pas, néanmoins, comment les intentions de se rendre à Brazzaville via le Kongo Central ont été établies dans le chef du néo-détenu. Et ça a fait bizarre aussitôt.
Dimanche 15 septembre en milieu de la journée, un autre son de cloche s’est fait entendre, qui jette le doute sur les allégations de la police. Les avocats de l’ancien ministre de la santé assurent qu’Oly Ilunga a été littéralement cueilli dans son appartement de la Gombe, et non pas dans un appartement où il se serait retranché pour échapper à la justice. Mais aussi, qu’il n’a jamais décliné une convocation des services judiciaires qui, samedi dernier, avaient pu l’interroger sur la gestion d’une somme d’environ 4 millions USD destinée à la lutte contre la MVE. La défense de l’ancien ministre de la santé assure qu’Oly Ilunga n’a jamais géré qu’environ 2 millions USD de cette somme, l’autre partie ayant été dépensée après sa démission le 22 juillet 2019.
Tout se passe donc, pour ce jeune médecin qui était déjà parvenu à mettre un terme à une précédente épidémie d’Ebola en RDC, comme si la sentence précède les accusations.
Dégommé au nom de la communauté internationale ?
Oly Ilunga semble avoir été dessaisi de la lutte contre la MVE dans les provinces du Nord Kivu et de l’Ituri en juillet dernier pour ouvrir la voie à l’activisme et à l’interventionnisme humanitaire, entre autres. Le jeune médecin, persuadé qu’Ebola était une crise sanitaire et non pas humanitaire, s’y est opposé jusqu’au bout.
Dans la lettre de démission adressée au président de la République, le 22 juillet dernier, il assure que « depuis sa déclaration le 1er 2018, il a fallu affirmer le leadership du gouvernement dans la gestion de cette épidémie … la crise d’Ebola en cours n’est pas une crise humanitaire, c’est une crise de santé publique qui intervient dans un environnement caractérisé par des problèmes de sécurité, de développement et de carences du système de santé ».
L’ancien patron de la « riposte nationale » à la MVE n’avait pas fini de ranger ses thermomètres que l’OMS décrétait Ebola urgence sanitaire de portée internationale, le 17 juillet 2019, ouvrant ainsi les vannes de l’interventionnisme humanitaire illimité.
Au cours d’un récent séjour au Nord-Kivu et à Kinshasa, le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, en a donné un aperçu : « il faut une réponse qui soit capable non seulement d’éradiquer Ebola mais aussi d’appuyer le Congo à créer des services de santé, des services sociaux de base efficaces dans le combat contre toutes les autres maladies et dans la création des conditions pour que le pays puisse sortir d’une situation d’aide humanitaire pure à une situation de prestation des services de base dans une structure coordonnée ou contrôlée par l’Etat congolais », a-t-il décrété. C’est tout le contraire de l’affirmation du leadership du gouvernement Congolais dans la riposte, tant souhaitée par l’ancien ministre de la santé qui fait manifestement les frais d’un changement de politique en matière de santé et des relations avec la communauté des Nations.
465 décès dus à la MVE depuis juillet
Mais cela vaut-il une immolation à l’autel du retour en force des puissants du monde en RDC ? Sur le terrain des opérations contre la MVE, rien n’indique encore, pourtant, qu’Oly Ilunga se soit totalement mépris.
A son départ du secrétariat technique de la riposte contre la MVE le 22 juillet 2019, le nombre de décès dus à l’épidémie s’élevait à 1.665, contre 698 guérisons dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri (statistiques du 14 juillet 2019).
Samedi 14 septembre, lorsque l’ancien ministre de la santé se faisait cueillir par les sbires de la PNC à son appartement de la Gombe comme un bandit des grands chemins, le nombre de décès dus à la MVE s’élevait à 2.090, contre 945 guérisons, selon le rapport quotidien du comité multisectoriel de la riposte à la maladie à virus Ebola.
Urgence sanitaire de portée internationale ou pas, la MVE a tué 485 personnes de plus en quelques deux mois, contre 247 guérisons.
Affaire à suivre.
J.N