Du 31 août au 2 septembre 2019, Antonio Guterres, le patron des Nations-Unies, a effectué en RD Congo une visite lourde de symboles et de significations dans les relations entre la communauté internationale et ce pays. Et même dans les rapports entre Etats au sein de la communauté des Nations, dont il apparaît que certains ont plus à dire que d’autres. A en juger par les récentes escarmouches entre le G7, la France de Macron particulièrement, et le Brésil de Jair Bolsonaro au sujet des incendies dans la forêt amazonienne.
En RDC, la visite du patron de l’ONU était attendue depuis plusieurs années, en raison de la présence sur le territoire de ce géant de l’Afrique centrale, de la plus grande force de maintien de la paix qui ait jamais été déployée (jusqu’à 20.000 hommes !). Force d’interposition muée par la suite en force de maintien de la paix et d’intervention, les casques bleus de la Mission des NationsUnies au Congo (MONUSCO) roulent les mécaniques au Congo depuis 20 ans. Malgré ce nombre impressionnant – 19.461 soldats et 1.090 policiers ainsi qu’une multitude d’observateurs – cela n’a guère fondamentalement changé la situation du pays en proie aux affrontements armés de tous genres depuis les années ’94, à la fin du génocide rwandais. Même s’ils coûtent 1,5 milliards UDS à une soixantaine d’Etats du monde.
Préoccupation de souveraineté
C’en était trop, pour la RDC dont la souveraineté déjà fort malmenée par des guerres d’agression fomentées par des Etats voisins au cours de la deuxième moitié de la décennie ’90 semble entretenue par cette force onusienne plus occupante que salvatrice. Mais aussi pour certains des plus grands contributeurs au budget de la MONUSCO, les Etats-Unis de Donald Trump notamment. Tous plaident de plus en plus pour le retrait des troupes onusiennes du territoire rd congolais, ou à tout le moins pour la réduction de sa taille.
Ces deux dernières années, Joseph Kinshasa avait affiché sa détermination de voir s’en aller les troupes onusiennes, arguant notamment du principe de la souveraineté nationale. L’ancien président de la République avait demandé le départ de la MONUSCO au plus tard en 2020. Sans rien obtenir de plus que la mise sur pied d’une commission de révision stratégique chargée d’étudier les conditions du redéploiement des troupes onusiennes, une réduction du nombre des casques bleus présents sur le territoire rd congolais passé de 19.461 à 16.000 hommes en mars 2019. Auxquels il faut encore ajouter 1.300 policiers et 2.800 personnels dits civils.
se rendant en RD Congo, Antonio Guterres ne pouvait se permettre d’éluder la question du retrait onusien qui a particulièrement refroidi les rapports entre les Nations-Unies et Kinshasa, autant que l’attitude des populations rd congolaises face aux troupes onusiennes de plus en plus perçues comme inutiles à défaut d’être complices des bourreaux des populations civiles qu’elles ont mandat de sécuriser.
Visite de solidarité
Mais la « visite de solidarité » du patron des Nations-Unies n’a pas commencé par Kinshasa, la capitale et siège des institutions en RD Congo, ni par son tout nouveau président de la République, Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo et les autorités nationales du pays. C’est à Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu que Guterres s’est rendu en premier, certes, pour dire son soutien aux autorités du pays et aux populations de la région qui sont victimes d’exactions des groupes armés étrangers et nationaux et, depuis un an, du virus Ebola. « C’est une visite de solidarité au peuple congolais et au peuple du NordKivu (…). Notre solidarité avec les forces armées de la République Démocratique du Congo dans la lutte contre le terrorisme qui est une menace non seulement pour le Congo mais pour toute l’Afrique et le monde entier. Nous sommes entièrement à côté des autorités congolaises dans la lutte contre l’ADF, naturellement notre appui aux autorités congolaises pour que les groupes armés soient pro- gressivement éliminés et que l’autorité de l’Etat puisse répondre partout à la sécurité peuple congolais et du Nord-Kivu », a déclaré le patron portugais de l’ONU devant la presse le 31 août.
La riposte à Ebola
A Goma, Antonio Guterres est allé surtout évaluer la réponse internationale contre la maladie à virus Ebola (MVE) décrétée « urgence sanitaire de portée internationale » le 17 juillet 2019. Un centre de traitement d’Ebola, des survivants à l’épidémie et des travailleurs du secteur de la santé engagés dans la riposte au virus ont été visités et congratulés au chef-lieu du Nord-Kivu. 24 heures plus tard à Beni, le SG de l’ONU s’est rendu à Mangina, épicentre de la MVE, où il a observé le même protocole accompagné du Dr Tedros Adhamon Ghebreyesus, le chef de l’OMS et des représentants de la composante humanitaire de l’ONU (Unicef, Oxfam, Médair, Mercy Corps …). Il faut plus d’engagement, notamment de la communauté internationale qui doit honorer ses promesses de financement de la riposte à Ebola, a tranché Guterres. Mais pas seulement.
A Kinshasa, lundi 2 septembre 2019, le chef de l’exécutif des Nations-Unies a rencontré le président de la République et s’est expliqué devant la presse au Palais de la Nation. Antonio Guterres s’entretiendra par la suite avec le premier ministre, Sylvestre Ilunga Ilunkamba; la présidente et le président des chambres parlementaires, ainsi qu’une délégation de l’opposition Lamuka. Aux uns et aux autres il a dit les contours de la « solidarité » internationale : soutien à la lutte contre l’ADF et autres groupes armés ; amélioration (en forme d’ajustements à consentir par le Conseil de sécurité) de l’efficacité de la Monusco dans la riposte contre l’ADF et de ses rapports avec les FARDC ; soutien à la riposte contre Ebola, mais aussi contre toutes les épidémies et pandémies, en cours et à venir en RDC. Nous y sommes, nous y restons, donc.
Nous y sommes, nous y restons
«Nous sommes convenus (avec le président Tshisekedi, ndlr) que la MONUSCO doit renforcer sa capacité d’actions vis-à-vis de l’ADF et renforcer aussi sa coopération avec les FARDC pour mieux répondre aux préoccupations sécuritaires des populations face à cette menace qui est non seulement congolaise mais déjà une menace internationale». a déclaré le secrétaire général de l’ONU au cours d’une adresse à la presse lundi 2 septembre à Kinshasa. Quant à la lutte contre Ebola, « il faut une réponse qui soit capable non seulement d’éradiquer Ebola mais aussi d’appuyer le Congo à créer des services de santé, des services sociaux de base efficaces dans le combat contre toutes les autres maladies et dans la création des conditions pour que le pays puisse sortir d’une situation d’aide humanitaire pure à une situation de prestation des services de base dans une structure coordonnée ou contrôlée par l’Etat congolais », a estimé Antonio Guterres, dont la conclusion fut sans appel : « pour le moment, nous restons engagés avec la RDC et je dois dire, d’une façon très claire, les Nations Unies n’abandonneront pas le peuple congolais ».
Le chaud et le froid
En RD Congo, les Nations-Unies soufflent donc le chaud et le froid pour persévérer dans la mise en œuvre d’un agenda qui intègre assez peu les préoccupations de fond relatives au retour à la paix et à la souveraineté. La MONUSCO subira quelques réajustements, si le Conseil de sécurité y consent mais elle demeurera pour combattre les rebelles de l’ADF, reconnus pour une première fois comme un mouvement terroriste international, seule concession de l’offre de solidarité internationale en faveur de la RD Congo, déclinée sur tous les tons par Antonio Guterres.
Sur les antennes de RFI, mardi 3 septembre 2019, le secrétaire général des Nations-Unies est revenu sur ces nouvelles convictions onusiennes : « c’est évident qu’il y a des liaisons réelles parce qu’il y a des recrutements qui se font dans d’autres pays qui vont en RDC. J’ai été au Mozambique très récemment où j’ai parlé au président du gouvernement mozambicain sur la menace similaire qu’ils ont dans le Nord. Et j’ai reçu l’information qu’il y a des recrutements, même des gens qui viennent du Mozambique pour s’engager ici. Alors je n’ai aucun doute que c’est un groupe international, que c’est un groupe qui fait partie d’un réseau. Et c’est vrai que l’État islamique est exactement ça. Quelquefois, on peut le comparer à mon avis à une franchise. Il y a des groupes qui naissent n’importe où, localement, mais qui après pour bénéficier de l’entraînement, pour bénéficier de l’appui financier, pour bénéficier des contacts, annoncent la filiation ou bien à al-Qaida ou bien à l’État islamique. On voit de plus en plus que ça fonctionne en réseau. Et il faut adopter les stratégies adéquates », a-t-il déclaré à Florence Marshall dans «L’invité Afrique ». Le revirement onusien sur cette évidence pourtant clamée par Kinshasa depuis de longues années ressemble à un véritable marché de dupes.
Marché de dupes ?
Jusqu’à il y a quelques mois, la MONUSCO refusait obstinément d’établir le lien entre les tueurs des civils de Beni et l’organisation terroriste islamiste. Au cours d’un point de presse, en juillet dernier, le Général Bernard Commins, commandant adjoint de la Force MONUSCO, soutenait encore qu’il y avait «certes une sensibilité islamique mais il n’y a pas encore, de mon point de vue, et d’ailleurs les Nations Unies n’ont toujours pas reconnu ce caractère, une claire identification que c’est un groupe affilié à l’Etat islamique et à Daech».
Les casques bleus ne subiront donc qu’un réajustement, et les humanitaires occidentaux, grands bénéficiaires de l’exercice, ont pratiquement reçu la bénédiction d’investir le territoire rd congolais à satiété et ad infinitum. Ils sont chargés de la « création des conditions pour que le pays sorte d’une situation d’aide humanitaire pure à une situation de prestation des services de base », une exigence d’autant plus paradoxale quand on sait qu’il leur est souvent reproché précisément de favoriser les conditions propices à la pérénisation de leur présence dans les pays assistés.
Dans un communiqué de presse, le 3 septembre 2019, le directeur général de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé), Tedros Adhamon Ghebreyesus, diagnostiquait ainsi avoir constaté « qu’Ebola n’est que le symptôme d’un problème plus profond : quand les gens n’ont pas accès aux services de santé, ou quand ces services sont de mauvaise qualité ou ne répondent pas à leurs besoins, les maladies peuvent se propager et faire des victimes ». La riposte contre une épidémie est carrément transformée en problème général d’accès à la santé à régler grâce à l’intervention des humanitaires, et non pas par l’intervention de l’Etat soutenu par l’aide internationale. Cela n’est possible qu’en RD Congo.
Le Brésil se défend mieux
Au Brésil par exemple, après s’être opposé à une aide internationale proposée par les puissances du G7 chiffrée à quelques 20 millions USD pour combattre les incendies dans la forêt amazonienne, le président Jair Bolsonaro a fini par accepter cette assistance le 29 août 2019. « Le point essentiel est que cet argent, une fois entré au Brésil, n’aille pas à l’encontre de la souveraineté brésilienne et que la gestion des fonds soit sous notre responsabilité », a clairement indiqué un porte-parole de la présidence brésilienne. La solidarité internationale annoncée par Antonio Guterres en RD Congo fait peu de cas des préoccupations souverainistes similaires exprimées depuis de longues années par les autorités cet Etat membre de l’ONU.
J.N.