Après la province du Sankuru, c’est au tour de celle du Sud Oubangi de faire les frais des dérives arbitraires du Conseil d’Etat. On se souvient qu’au mois de mars dernier, alors que partout en RDC les grands électeurs, députés provinciaux, se préparaient à aller aux élections des gouverneurs et vice-gouverneurs des provinces conformément aux listes définitives des candidats auxdites élections affichées par les différentes Cours d’appel réparties à travers le pays, le Conseil d’Etat a surpris tout ce que Kinshasa compte de juristes avertis en s’arrogeant le pouvoir d’annuler ces élections pour les provinces du Sankuru et du Sud-Oubangi au motif que des candidats invalidés pour diverses raisons par les Cours d’appel de ces deux provinces s’étaient pourvus en appel devant lui. Une décision prise en réalité sans titre ni qualité parce que les dispositions de la loi électorale ne reconnaissent aucune compétence à cette juridiction en matière de contentieux de listes, ainsi que l’attestent la lettre, l’esprit et la jurisprudence constante et abondante en la matière.
Constatant cette irrégularité flagrante et partant du principe constitutionnel selon lequel nul n’est tenu d’exécuter un ordre manifestement illégal (article 28 de la Constitution), la Commission électorale nationale indépendante (CENI), pouvoir organisateur desdits scrutins, avait alors instruit ses représentants dans ces deux provinces de procéder sans coup férir aux opérations électorales. Celles-ci eurent donc bel et bien lieu dans le Sud Oubangi et aboutirent à l’élection de Jean-Claude Mabenze et Zéphirin Zabusu en qualité respectivement de Gouverneur et Vice-Gouverneur de cette province issu de l’ex Grand Equateur.
Electorat convoqué au Sankuru
Au Sankuru, province natale de Patrice Lumumba par contre, le secrétaire exécutif provincial (SEP) de la CENI et une partie des députés provinciaux se virent physiquement empêchés d’accéder au siège de l’Assemblée provinciale par M. Benoît Olamba, président de cet organe qui, manifestement circonvenu par un candidat invalidé, s’était érigé en pouvoir organisateur parallèle de l’élection en lieu et place de la CENI, arguant de ce que la Cour d’appel du Sankuru n’ayant retenu comme liste éligible que celle des candidats FCC Lambert Mende Omalanga et Patrick Bekanga a Sala, l’élection serait ‘‘non démocratique’’ (sic !).
Le quorum n’ayant pas été atteint, la CENI avait convoqué, conformément à la réglementation en vigueur, une séance électorale subséquente 48 heures plus tard en délocalisant les opérations dans ses propres installations de Lusambo. Mais à la date prévue pour ce deuxième tour, une injonction en provenance de Kinshasa sous la forme d’un appel téléphonique du ministre a.i. de l’Intérieur Basile Olongo, invoquant « un ordre de la plus haute autorité de l’Etat » a ordonné au SEP/CENI du Sankuru de surseoir à l’élection « pour cause d’insécurité ». Le préposé local de la CENI ayant rétorqué qu’à sa connaissance, aucune insécurité ne régnait dans le chef-lieu de la province du Sankuru et que sa hiérarchie l’avait instruit de finaliser le processus électoral sera alors placé en résidence surveillée chez lui par le commandant de la police pendant que des députés provinciaux, observateurs et journalistes présents devant le siège de la CENI étaient dispersés sans ménagements par une escouade de policiers.
La suite, on la connaît : tous les députés provinciaux du Sankuru ont été depuis lors transportés par leurs ‘’parrains’’ respectifs vers Kinshasa où des « négociations », entrecoupées de déclarations aigres-douces entre partisans des candidats invalidés et ceux des candidats déclarés éligibles par la Cour d’appel ont lieu cahin-cahan. Reçus par le président de la République Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, certains lui demanderont tout simplement de prendre une décision d’autorité pour « trancher » dans cette controverse entre la Cour d’appel et le Conseil d’Etat, tandis que d’autres considéraient que la première institution de la République ne pouvait, en sa qualité de garant du respect de la Constitution et des Lois de la République que s’assurer du strict respect de celles-ci. C’est le sens du mot de la fin du chef de l’Etat qui promit à ses interlocuteurs de poursuivre ses consultations et de faire ‘in fine’ respecter la Constitution et les Lois en vigueur.
Députés provinciaux en goguette
Depuis lors les députés provinciaux du Sankuru sont à Kinshasa dans l’attente de leur retour au chef-lieu de la province et meublent leur temps comme ils peuvent. Bis repetita, le Conseil d’Etat vient d’annuler l’élection de MM. Mabenze et Zabusu dans le Sud Oubangi.
La Loi électorale en vigueur (Loi N° 17/013 du 24 décembre 2017 modifiant et complétant la Loi N° 06/006 du 09 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales telle que modifiée à ce jour) stipule pourtant en son article 27 ce qui suit: « Les juridictions compétentes pour connaître du contentieux concernant une déclaration ou une liste de candidature sont : 1. la Cour constitutionnelle pour les élections présidentielle et législatives ; 2. la Cour administrative d’appel pour les élections provinciales ; 3. le Tribunal administratif pour les élections urbaines, municipales et locales. Les juridictions énumérées à l’alinéa précédent disposent de dix jours ouvrables pour rendre leurs décisions à compter de la date de leur saisine. Passé ce délai, le recours est réputé fondé sauf si la décision de la Commission électorale nationale indépendante est justifiée par les causes d’inéligibilité prévues par la loi. Le dispositif de l’arrêt ou du jugement est notifié à la Commission électorale nationale indépendante et aux parties concernées et n’est susceptible d’aucun recours. Le cas échéant, la Commission électorale nationale indépendante modifie les listes. Mention en est faite au procès-verbal. La Commission électorale nationale indépendante arrête et publie sans délai la liste définitive ».
Nulle part il n’est prévu de recours devant une autre juridiction non citée à l’alinéa 2 de cet article 27, fut-elle le Conseil d’Etat. En s’évertuant à statuer sur des recours introduits auprès de lui contre les arrêts des Cours d’appel du Sankuru et du Sud-Oubangi, le Conseil d’Etat a donc purement et simplement violé cette disposition de la loi électorale. Pire, il a fait fi d’un principe général de droit consacré non seulement en RDC mais aussi dans tout Etat de droit démocratique en vertu duquel les compétences sont d’attribution par le législateur et qu’aucune juridiction n’a le pouvoir de s’en auto-attribuer sauf à vouloir instaurer le règne de l’arbitraire et de l’anarchie.
Le CSM pas d’accord
Le Bureau du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) réuni pour un avis sur cette confusion à la demande du président de la République n’a pas dit autre chose. A l’unanimité de tous ses membres (exception faite du seul 1er président du Conseil d’Etat le Professeur Félix Vunduawe te Pemako), cette structure faitière de la magistrature congolaise a en effet dans un avis juridique déclaré les arrêts querellés du Conseil d’Etat « inexistants » car « contraires à la Constitution et aux lois de la République ». Sept sur les huit plus hauts magistrats du pays qui composent cet organe ont aussi répondu sur le fond à l’argument de leur homologue Vunduawe qui s’était retranché derrière l’article 21 de la Constitution garantissant à tout Congolais « le droit de former un recours contre un jugement » en dénonçant le sophisme de la lecture saucissonnée de cette disposition par leur collègue et en rappelant, afin que nul n’en ignore, que selon ce même article 21 de la Constitution, ledit droit garanti à tous de former un recours contre un jugement est « exercé dans les conditions fixées par la loi ». Commentaire d’un doctrinaire en droit positif congolais de l’Université protestante au Congo : « On peut noter à cet égard que les contentieux portant sur les résultats qui concernent l’élection présidentielle et les élections législatives nationales qui relèvent exclusivement de la Cour constitutionnelle ne sont pas, eux non plus, susceptibles de recours sans que nul ne puisse invoquer une quelconque violation de l’article 21 sus-invoqué de la constitution ».
Textes légaux piétinés
L’avocat Jérémie Kalala Mukena du barreau de Kinshasa-Gombe accuse par ailleurs le Conseil d’Etat d’avoir littéralement « piétiné » aussi bien la Constitution, la Loi électorale que la Loi organique portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions de l’ordre administratif: « S’agissant de la tierce opposition, le Conseil d’Etat dans ces affaires viole délibérément les articles 19 alinéa 3, 21 alinéa 2 de la Constitution et 258 de la Loi organique portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions de l’ordre administratif. A ce titre, il existe une jurisprudence abondante et constante de la Cour suprême de justice faisant office de Cour constitutionnelle en matière de contentieux électoral. Ces décisions sont en outre caractérisées par le dol prévu par l’article 388 de la Loi organique portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions de l’ordre administratif dans la mesure où le Conseil d’Etat a violé volontairement le droit en débouchant sur des conclusions erronées conférant un avantage indu à des parties en litige par la mauvaise foi et des astuces qui leur confèrent une valeur juridique apparente », a-t-il déclaré au cours d’un entretien radiodiffusé avec nos confrères de Top Congo FM autour des arrêts rendus sous les REA 106 et 113/006 annulant l’élection de Jean-Claude Mabenze et Zéphirin Mabusu en qualité de Gouverneur et Vice-Gouverneur du Sud Oubangi. « Il est particulièrement inconcevable pour tout juriste que le Conseil d’Etat se soit arrogé dans ces arrêts la compétence d’examiner et rejeter l’exception d’inconstitutionnalité soulevé devant lui alors que celle-ci relève en droit congolais de la seule compétence de la Cour constitutionnelle ou qu’il ait déclaré ‘’recevable et fondé’’ l’appel de M. Taila Nage Joachim qui n’a jamais été candidat à cette élection ! », a-t-il surenchéri.
Professeur émérite de droit public
Un constitutionnaliste de l’Université de Kinshasa se confiant à nos rédactions se dit choqué par la tendance observée chez le N°1 du Conseil d’Etat, le professeur émérite de droit public Félix Vunduawe, à se donner ainsi à lui-même des compétences que la loi ne reconnaît pas à la haute juridiction qu’il préside : « Même un étudiant moyen peut pourtant bien saisir qu’au nom du sacro-saint principe de la séparation des pouvoirs, une juridiction de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif ne peut en aucune manière se permettre de créer des règles dérogatoires aux lois en vigueur dans le pays en lieu et place du législateur. On a l’impression que le Professeur Vunduawe tient mordicus à contourner ce principe qu’il ne peut pas ne pas connaître en créant ex-abrupto une sorte de jurisprudence contraire à celle pourtant abondante, constante et disponible dans les archives judiciaires nationales », s’insurge cet universitaire qui s’étonne de cette propension à l’arbitraire d’un juriste pourtant généralement bien respecté par ses pairs. « C’est avec de tels raisonnements facétieux faisant croire que les lois peuvent être assaisonnées à la tête des coteries politiciennes et que des juges au plus haut niveau sont au service non pas de la loi mais des plus offrants (corruption ndlr) ou des plus forts du moment que le régime du défunt Maréchal-Président Mobutu a été inexorablement conduit à sa perte », ajoute-t-il malicieusement.
En effet, le professeur Félix Vunduawe te Pemako, 79 ans, docteur en droit public de l’Université de Louvain depuis 1973, a exercé une carrière élogieuse d’enseignant, de chercheur et de directeur d’institutions publiques à partir de 1967, deux ans après le coup d’Etat de Mobutu (1965) avant d’entrer en politique. Tour à tour membre du Comité central du Parti-Etat MPR comme vice-premier commissaire d’Etat (vice-premier ministre) respectivement à l’Administration du Territoire (Intérieur), à la Justice et aux Travaux Publics et Aménagement du Territoire, il sera nommé 2ème secrétaire général adjoint du MPR de 1988 à 1990 avant de devenir directeur de cabinet de Mobutu de 1992 jusqu’à la chute de ce dernier le 17 mai 1997, jour où il est parti en exil en Chine. Il a été récupéré et nommé à la tête du Conseil d’État par le président Joseph Kabila sur proposition du Conseil Supérieur de la Magistrature après avoir brièvement exercé les fonctions de juge à la Cour constitutionnelle et un court passage au parlement (législature 2006).
Ce cursus atypique expliquerait selon certaines sources les libertés qu’il prend l’habitude d’afficher avec la législation. « Dans notre métier, il est recommandé de ne désigner aux plus hautes charges que des magistrats ayant gravi les échelons depuis les plus modestes, au risque d’exposer l’institution judiciaire à l’arbitraire qui est souvent le propre chez certains acteurs politiques, à quelque tendance qu’ils appartiennent, nonobstant par ailleurs leur parcours académique », conclut, sous le sceau de l’anonymat un haut magistrat membre lui-même du Conseil d’Etat.
ALA