Ses proches collaborateurs kinois avaient annoncé l’atterrissage de son aéronef à 10 heures locales. Mais Jean-Pierre Bemba Gombo, le leader MLC de Lamuka a foulé le tarmac de l’aéroport international de Ndjili à 6 h 30’, avec au moins trois heures d’avance sur le timing annoncé. Conséquence : dimanche dernier, l’ancien pensionnaire de la prison de la CPI à Scheveningen s’est imposé 5 heures d’attente dans les installations aéroportuaires, avant de se rendre dans la commune voisine de Ndjili où l’attendaient ses sympathisants pour un meeting populaire, Place Ste Thérèse. C’était assez et même plus pour que celui qui compte depuis novembre dernier parmi les leaders les plus importants de la coalition Lamuka reçoivent les civilités de ses affidés et s’imprègne de la température des lieux. Elle était plutôt élevée. Le meeting du chairman du MLC, préalablement prévu sur le Boulevard Triomphal dans la commune de Kasavubu, avait été délocalisé en dernière minute, de mauvaise grâce, parce qu’en face des lieux, au stade des Martyrs de la Pentecôte se tenait une séance de prière sous le haut patronage du président de la République, Félix Tshisekedi. Dans les rangs du MLC et de Lamuka, le désagrément a beaucoup déplu et comme reversé de l’huile sur le feu des rapports déjà exécrables entre des opposants pressés d’en découdre avec le pouvoir en place, mais la sagesse a prévalu chez les leaders.
Dimanche 23 juin dans la partie Est de la capitale kinoise, les militants MLC-Lamuka surchauffés n’attendaient qu’un signal pour mettre le feu à la baraque, comme on dit. «Tout Kinshasa savait les manifestants décidés et déterminés à saccager les installations de l’OVD le long de leur parcours », confie une fidèle d’un groupe de prière de Limete à Kinshasa. Ce n’était pas pour gêner Jean-Pierre Bemba qui en a profité pour s’offrir un bain de foule.
Comme Fayulu
Cornaqué par Martin Fayulu et Adolphe Muzito pour le compte de Lamuka, ainsi que des cadres de son parti, le président du MLC s’est opposé aux recommandations de la police qui le priait de prendre place à bord d’un véhicule pour se rendre au lieu du meeting, une dizaine de kilomètres plus loin. Comme Martin Fayulu il y a quelques mois, Bemba a choisi la marche à pied pour drainer du monde derrière lui jusqu’à Ndjili Ste Thérèse. Les incidents déplorés au retour de l’ancien candidat unique de l’opposition à la présidentielle 2018 ont ainsi été réédités au nez et à la barbe des forces de police chargées du maintien de l’ordre.
Sur le boulevard Lumumba, à l’aéroport de Ndjili, des militants particulièrement excités par la longue attente du leader du MLC avaient fini par bloquer toute circulation. Le long du parcours, quelques échauffourées ont été observées à Masina quartier III, à l’entrée de Siforco, lorsque les policiers ont usé de grenades lacrymogènes pour disperser des casseurs qui affrontaient à coups de jets de pierre d’autres groupes de jeunes non autrement identifiés ; ainsi qu’à la hauteur du Marché de la Liberté dans la même commune.
A la fin du meeting, Place Ste Thérèse, la tension n’avait nullement baissé parmi les militants MLC-Lamuka chauffés à blanc contre Katumbi et le pouvoir FCC-CACH. Selon le rapport publié par l’inspection de la police de Kinshasa, un poste de police a été saccagé à Ndjili, des biens privés et publics emportés ou endommagés, dont des véhicules caillassés, des installations d’une kermesse pillées. 5 policiers chargés du maintien de l’ordre ont été blessés. Des sources indépendantes ont fait état de 3 autres personnes blessées admises dans un centre de santé de la commune de Ndjili.
Le premier meeting depuis la CPI
Le second accueil de Jean-Pierre Bemba à Kinshasa ainsi que son tout premier meeting populaire depuis sa libération en mai 2018 ont donc été frappés du sceau de la contestation du pouvoir en place. Même si l’ancien pensionnaire de la CPI s’est abstenu de verser dans les invectives et les appels directs à la violence et au tribalisme à peine voilés de ses amis de Lamuka Est.
S’adressant aux militants, Jean-Pierre Bemba a abordé les principales questions politiques de l’heure sans toutefois tirer systématiquement et ouvertement sur la coalition FCC-CACH au pouvoir depuis janvier dernier. Un aide-mémoire à la main, il a déploré les problèmes sécuritaires en Ituri et dans la région de Beni, invitant les populations à ne pas céder à la tentation des affrontements interethniques tout en déplorant le manque de volonté politique pour y mettre un terme définitif. Il a également évoqué la question des contentieux électoraux, dénonçant la corruption qui sévit au pays depuis son accession à l’indépendance, et appelant à la création d’institutions fortes et respectables.
Dans un échange avec la foule, le leader du MLC s’est gardé de verser dans le discours haineux de ses collègues kinois de la plateforme née à Genève en novembre dernier. Tout avait pourtant été fait pour que nul n’ignore que le coordonnateur actuel de la plateforme, Moïse Katumbi dont on n’apercevait aucune effigie parmi ceux des leaders du groupe visible à la tribune érigée pour la circonstance, n’était plus en odeur de sainteté ici. Bemba a tôt fait de déclarer, au milieu d’une franche hostilité populaire, que le chairman Katangais faisait toujours partie du combat. Pas d’extrémisme non plus sur la question qui pourtant lamine Lamuka, relative à ‘‘la vérité des urnes’’ : pour Jean-Pierre Bemba, il n’est pas de vérité plus ultime que le bien du peuple de son pays. «Mon combat n’a pas commencé aujourd’hui. Mon souci pour le peuple est intact. Mon souhait, c’est la paix, la justice. Que les gouvernants servent d’abord la population », a notamment déclaré Bemba.
La vérité des parrains occidentaux
La vérité de Bemba n’est donc pas une vérité de vieilles urnes, dépassée depuis bientôt 6 mois. Avant de retourner au pays, l’ex-chef rebelle condamné par la CPI en première instance en 2016 à 18 ans de prison pour meurtres, viols et pillages commis par sa milice en Centrafrique, avant d’être miraculeusement acquitté en mai 2018, s’est entretenu avec le patron de la diplomatie belge le 22 juin courant à Bruxelles. Dans un posting sur internet, Didier Reynders, son interlocuteur belge connu pour ses intrusions répétées dans les affaires intérieures de la RDC, a indiqué que « à l’instar des échanges avec les nouvelles autorités, ces contacts per- mettent de réaffirmer ce qui unit nos deux pays », laissant ainsi clairement entendre que les relations entre Bruxelles et le nouveau pouvoir en place à Kinshasa étaient désormais incontournables. « Il est donc hors de question pour le leader le plus en vue de Lamuka de se lancer dans la contestation d’un pouvoir légalement établi et reconnu par des partenaires auxquels cette plateforme doit jusqu’à son existence », explique au Maximum un analyste politique kinois. D’autres observateurs sont d’avis qu’en réalité Bemba doit son retour miraculeux et précipité sur la scène politique de son pays à l’entregent des puissances occidentales qui ont pesé sur sa libération des geôles de la CPI le 8 mai 2018. On rappelle à ce sujet que l’acquittement prononcé par 3 des 5 juges de la chambre d’appel dirigée par la Belge Christine Van den Wyngaert (également composée du Nigérian Chile Eboe-Osuji, et du Britannique Howard Morrison parmi ceux qui ont voté pour la libération) en est une preuve. « Bemba est une carte politique occidentale et ne peut déroger aux recommandations de ses parrains », explique-t-on encore, comme pour dire que sa ‘‘vérité’’ est une vérité des occidentaux. Qui pour l’instant, n’ont pas besoin de la vérité des urnes à la sauce Fayulu.
J.N.