Bien malin qui, en RDC, sait ce qu’il en est réellement de l’instauration de l’Etat de droit tant revendiqué dans la classe politique toutes tendances confondues. Depuis l’accession au pouvoir d’un leader de l’ancienne opposition radicale en la personne de Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, près de 4 mois après son investiture, on y voit de moins en moins clair en cette matière.
Les derniers événements politiques en RD Congo révèlent une sorte d’imbroglio dans lequel l’arbitraire le dispute à l’anarchie, à l’instar de la saga Ne Muanda Nsemi, le gourou de la secte Bundu dia Kongo (BdK), réapparu aux côtés du président du Conseil National de Suivi de l’Accord du 31 décembre 2016 (CNSA). Zacharie Badiengila (de son vrai nom) était en détention provisoire à la prison de Makala à Kinshasa lorsqu’il s’en est extrait à la faveur d’une rocambolesque et sanglante évasion le 17 mai 2017 aux petites heures du matin. Le gourou BdK qui se prévaut d’une origine céleste, se pose volontiers en messie Kongo et professe une sorte de sectarisme fondé sur la résurrection de l’ancien royaume Kongo, profitait comme d’autres détenus de l’assaut meurtrier d’un commando sur le principal établissement pénitentiaire du pays. En cette journée commémorative de l’accession au pouvoir de Mzee Laurent-Désiré Kabila, cette évasion massive de milliers de détenus a provoqué plusieurs pertes en vies humaines parmi les surveillants et policiers de faction à la prison, cependant qu’un air de terreur se répandait dans la capitale.
Exploits criminels d’un gourou
Zacharie Badiengila alias Ne Mwanda Nsemi n’en était pas pour autant à ses premières démêlées avec l’Etat. Il était en prison depuis le 3 mars 2017, après avoir été arrêté à sa résidence du quartier Ma Campagne à Kinshasa, où il s’était retranché sous la protection de dizaines d’éléments d’une milice privée, les Makesa, avec femmes et enfants. Car, le gourou BdK revendique un empire s’étendant sur au moins 2 des pays frontaliers de la RD Congo (Angola et Congo-B). Il entretenait cette milice armée à des fins pas très divines. A l’instar de cette chasse aux sorcières dans son Kongo-Central natal où des présumés ‘‘sorciers’’ étaient brûlés vifs et des villageois exposés à des extorsions de fonds et des châtiments corporels, selon la presse. Ou encore, plus récemment, lorsque ses milices pillent avant d’incendier la résidence et la boulangerie du député Papy Mantezolo, son ancien bras droit nommé au gouvernement « à sa place » en décembre 2016. Dans cet Etat dans l’Etat BdK, ce n’est pas le droit qui prévalait mais un équivalent de la loi du talion et du ‘‘premier occupant’’. Donné pour mort, Ne Mwanda Nsemi était en réalité en cavale depuis près de deux ans lorsqu’il est apparu aux côtés de Joseph Olenghankoy, le président du CNSA, au cours d’un point de presse lundi 6 mai 2019 à Kinshasa. « Je suis venu rassembler les gens pour consolider la paix», a déclaré pince sans rire le gourou BdK, expliquant qu’«un pays où les citoyens sont constamment inquiétés ne se développera pas». Et comme pour rassurer le nouveau pouvoir en place en RDC, la coalition FCC/CACH donc, il a profité du point de presse du président du CNSA pour annoncer son intention de «travailler aussi bien avec la gauche que la droite, pour asseoir la paix et reconstruire le pays». Oubliées, les exactions des BdK
Sur les exactions perpétrées par la milice privée BdK, notamment, contre les forces de l’ordre, pas un mot. Ni de Badiengila ni de Joseph Olenghankoy qui semble convaincu que la décrispation politique prime sur l’Etat de droit, qui devrait venir plus tard sans autre précision, au grand dam des victimes. Une décrispation par le sommet donc car à la base où des victimes se comptaient il y a quelques mois encore par dizaines, on n’a pas cessé depuis, de renâcler. Lorsque les milices BdK avaient mis Kinshasa et une partie du Kongo-Central sens dessus dessous début août 2017, prenant notamment d’assaut le quartier Binza à Kinshasa, 19 personnes dont un officier de police avaient trouvé la mort selon un rapport officiel de la PNC rendu public le 9 août 2017 par le Colonel Pierrot Mwanamputu avant d’être remis à la justice militaire.
Au Kongo-Central, les violences imputées aux BdK ont coûté la vie à plusieurs non originaires et à des membres du clergé catholique essentiellement. Le gouvernement Tshibala qui n’avait pas tout à fait oublié les exploits macabres de Ne Mwanda Nsemi et ses adeptes ne partageait pas la conception de la décrispation politique exonératrice de toute responsabilité pénale pour des crimes aussi graves mise en avant par le CNSA. Comme pour sauver les apparences, on convint mardi 7 mai 2019, de faire rentrer l’évadé du 17 mai 2017 dans les geôles de Makala. « C’est un évadé, et la logique la plus simple c’est de le remettre en prison. Les services sont instruits pour ça. Il revient au chef de l’État de voir s’il peut le gracier, ordonner sa libération conditionnelle ou pas », pouvait-on entendre dans une communication gouvernementale, rappelant au passage que « les faits reprochés à Ne Mwanda Nsemi sont extrêmement graves».
L’Etat tribal d’abord
Des propos qui ont ému certains qui semblent convaincus que l’Etat de droit vient après l’Etat tribal au nom duquel Badiengila et ses Makesa ont commis leurs forfaits. Quelques députés nationaux Ne Kongo en quête d’un positionnement opportuniste ont même déclaré tout haut leur opposition à la réincarcération du gourou BdK lors d’une audience avec Jeanine Mabunda Lioko, la speaker FCC de la chambre basse du parlement, le 9 mai 2019 à Kinshasa. Des adeptes de Ne Mwanda Nsemi se sont quant à eux fendus d’une demande d’asile politique en faveur de leur ‘‘demi-dieu’’, adressée à la représentation diplomatique d’Haïti en RDC, « parce que Ne Muanda Nsemi a toujours considéré ce pays comme un second territoire Kongo », selon la correspondance signée par un certain Joseph Sita Nsonizeno, directeur du bureau politique du BdM (Bundu dia Mayala, le parti politique de Zacharie Badiengila).
Contre les principes de l’Etat de droit, ce sont donc des considérations politiciennes liées aux impératifs de la décrispation mises en œuvre par le CNSA qui l’ont emporté. Ne Muanda Nsemi « est chez lui, il est dans le pays de ses ancêtres et personne ne va l’inquiéter. Sa contribution est aussi nécessaire pour le développement de notre pays », a martelé Joseph Olenghankoy dans la presse qui s’inquiétait d’une éventuelle nouvelle cavale du leader BdK. « Les autorités politiques de ce pays étaient informées de son arrivée. C’est par rapport à l’appel du chef de l’Etat qui a demandé aux exilés de revenir », a-t-il ajouté.
Réincarcéré pour la forme
Pour la forme, Zacharie Badiengila a brièvement été reconduit dans sa cellule de Makala le 9 mai 2019, 3 jours après sa réapparition à Kinshasa. Le prévenu, comme nombre d’autres acteurs politiques qui se sont trouvés dans cette situation, a, 24 heures plus tard, été déclaré malade et placé en assignation à résidence surveillée sous surveillance médicale. Il pouvait ainsi recouvrer sa liberté grâce à une remise en liberté provisoire. La procédure était sauve et Olenghankoy pouvait déclarer : « Ne Muanda Nsemi a retrouvé la liberté avec tous les documents. Personne ne peut plus le déranger. Il est à sa résidence. Son état de santé est précaire mais je remercie le chef de l’Etat pour son implication ». Le même vendredi 10 mai, le cabinet Ndudi Ndudi avait adressé au procureur général près la Cour de cassation une demande de libération provisoire du détenu au motif qu’il s’était rendu volontairement. «Qu’en outre il y a lieu de constater que son état de santé est critique et se dégrade au jour le jour du fait de manque de soins de santé appropriés » lit-on sur cette correspondance signée par Maîtres Kibangu Philippe-Fernand, Muanda Baboka Valère et Honoré Ngidie Kabobo.
Maladie opportune
La maladie du gourou BdK à qui ses adeptes attribuent moult miracles n’en était à l’évidence pas une. « Je ne suis pas malade, mais fatigué. J’étais traqué de partout par l’ANR, et j’ai tout déjoué », s’est vanté un Zacharie Badiengila qui donnait l’impression de se porter comme un charme au cours d’un point de presse animé devant ses adeptes samedi dernier à Kinshasa. Avant d’annoncer une visite au président Félix Tshisekedi au courant de la semaine. Le gourou assure avoir « des choses à lui dire ». Reste à espérer qu’il évoquera la démobilisation de ses Makesa. L’Etat de droit version BdK, c’est selon que le gourou est libre … y compris de se rendre coupable de crimes pour des raisons politiques.
J.N.