Les instances judiciaires rd congolaises n’auront, finalement, pas été d’un réel concours dans les contentieux de candidatures électorales au Sankuru et au Sud-Ubangi. Pour ne considérer que ces contentieux-là, parce que sur les autres, déjà clôturées ou en instance auprès des cours d’appels et même de la cour constitutionnelle aussi, « il y a à boire et à manger », comme on dit en termes résignés.
Dans ces deux circonscriptions électorales, la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) a annulé les candidatures de deux prétendants à l’élection des gouverneurs de provinces. Les cours d’appels du Sankuru et du Sud-Ubangi avaient pris des arrêts annulant les candidatures de sieurs Joseph Mukumadi et Joachim Taila Nage, et la centrale électorale s’est fondée sur ces décisions judiciaires dans la confection des listes définitives des candidats à l’élection des gouverneurs au Sankuru et au Sud-Ubangi. Au plan légal, rien à reprocher à Corneille Nangaa et à ses collègues de la CENI, couverts par deux décisions judiciaires en bonne et due forme.
Seulement, les victimes de ces décisions se sont pourvues en appel auprès du Conseil d’Etat que dirige le professeur Félix Vundwawe Te Pemako (VTP), l’ancien recteur de l’Université de Kinshasa sous le Maréchal Mobutu, ancien ministre de l’Intérieur et ancien dircab du dictateur défunt, un spécialiste en droit administratif. Et y ont trouvé gain de cause. Le 27 mars 2019, le Conseil d’Etat rendait l’arrêt sous REA 002 annulant l’arrêt de la cour d’appel du Sankuru, entre autres. C’est ici que les Romains s’empoignèrent, chaque camp évoquant qui, Tite Live, qui, Cicéron.
La loi électorale empiétée
La CENI d’abord, qui estime illégal l’arrêt du Conseil d’Etat parce qu’il empiète sur la loi électorale en son article 27 qui stipule que les arrêts en matière de contentieux de candidature ne sont pas susceptibles de recours. Jusqu’à la veille des élections de gouverneurs de provinces, mercredi 10 avril 2019, la centrale électorale n’a donc pas modifié la liste des électeurs des provinces du Sankuru et du Sud-Ubangi, forte de cette disposition légale et de son indépendance qu’elle estimait ainsi manifestement foulée au pied par le Conseil d’Etat.
En ce qui concerne la province du Sankuru particulièrement, à quelques heures de l’élection du gouverneur de province le Conseil d’Etat siégeait de nouveau en référé-liberté et publiait un communiqué lu par le greffier en chef Jules-Mathieu Ekatou Limbele à la télévision officielle dans la soirée, ordonnant la suspension de l’élection des gouverneur et vice-gouverneur dans la province du Sankuru « jusqu’à l’exécution de l’arrêt sous REA 002 … », c’est-à-dire, celui qui rétablit Joseph-Stéphane Mukumadi dans ses droits querellés à la candidature à l’élection de gouverneur du Sankuru.
Certes, les élections des gouverneur et vice-gouverneur de province ont été reportées au samedi 20 avril 2019 dans les provinces du Sankuru et du Nord-Ubangi. Mais ce ne fut pas du fait de la décision du Conseil d’Etat, selon la CENI qui l’explique par des raisons techniques et logistiques liées à leur organisation. Traduction: la centrale électorale a bel et bien refusé d’exécuter les arrêts en matière de contentieux de candidatures aux élections pris par le Conseil d’Etat. A tort, selon les uns, à raison selon les autres.
La polémique a continué même après qu’une réunion extraordinaire du bureau du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) convoquée à l’initiative du président de la République se fut prononcée sur le dossier en faveur de la position défendue par la CENI. Du reste, sur cette réunion aussi, il est des juristes qui se demandent si le président était fondé de convoquer le CSM !
Le tribunal des pairs
Il n’empêche que le bureau du CSM composé de MM. Benoît Lwamba Bindu (président de la cour constitutionnelle et président du CSM), Minga Nyamakwey (Procureur Général près la cour constitutionnelle, 1er vice-président du CSM), Kitoko Kimpele (président de la cour de cassation, 2ème vice-président du CSM), Kabange Numbi (Procureur Général près la cour de cassation, 3ème vice-président du CSM), Vundwawe Te Pemako (président du Conseil d’Etat, 4ème vice-président du CSM), Mushagalusha Ntayondezayo (procureur général près le Conseil d’Etat, 1er rapporteur du CSM), Général-Major Mutombo Katalay Tiende (premier président de la Haute Cour Militaire, 2ème rapporteur du CSM), Général de Brigade Likulia Bakumi (représentant de l’Auditeur Général près la Haute Cour Militaire, 3ème rapporteur du CSM) s’est réuni le 11 avril dernier, « … en vue d’émettre un avis sur les arrêts REA 002 et REA 006 rendus par le Conseil d’Etat sur le contentieux de candidatures des gouverneur de provinces du Sankuru et du Nord-Ubangi ».
Il s’agit en fait d’un tribunal des pairs devant lequel VTP, le président du Conseil d’Etat s’est défendu en arguant du droit constitutionnel garanti à tous d’interjeter appel contre un jugement (article 21 al. 2 de la constitution) et en se fondant sur les articles 86 de la Loi organique n° 16/027 du 15 octobre 2016 portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre administratif qui prévoit l’appel des arrêts ainsi que des décisions rendus au premier ressort par des administratives d’appel, ainsi que l’article 155 alinéa 2 de la constitution qui dispose que le Conseil d’Etat connaît en appel des recours contre les décisions des cours administratives d’appel. L’article 27 alinéa 4 de la loi électorale sur lequel se fonde la CENI pour s’opposer aux décisions du Conseil d’Etat est une loi ordinaire inférieure à la loi organique qui institue le Conseil d’Etat, a encore fait va- loir VTP. Un bel argumentaire, néanmoins battu en brèche par tous ses autres éminents collègues blanchis sous le harnais qui participaient à la réunion de jeudi dernier au 7ème niveau de l’immeuble Kwango à la Gombe.
Vunduawe, minorisé même au Conseil d’Etat
A commencer par le procureur général près le Conseil d’Etat, Mushagalusha Ntayondeza’ndi, qui est d’avis qu’en matière du contentieux de candidature aucun recours n’est prévu par la loi. « Le parquet général près le Conseil d’Etat avait émis son avis dans le sens de l’application de l’article 27 alinéa 4 de la loi électorale et demandé au conseil d’Etat de déclarer l’appel (de Joseph Mukumadi, ndlr) irrecevable », a rappelé fermement le procureur général Mushagalusha à la réunion extraordinaire du CSM le 11 avril dernier. Avant qu’une note du secrétariat technique du CSM sur le dossier n’enfonce littéralement le clou. En expliquant que si le droit d’exercer un recours est garanti à tous, il est néanmoins « exercé dans les conditions fixées par la loi ». Et la loi qui fixe ces conditions dans le cas sous examen est la loi électorale dont « L’article 27 énumère les juridictions compétentes pour connaître en dernier ressort les contentieux de candidature, à savoir: la cour constitutionnelle, la cour administrative d’appel et le tribunal administratif ».
Selon cette note technique fort détaillée, l’absence d’indication de délais de publication de la liste électorale (après les arrêts des cours d’appel) est un élément qui indique que tout recours est exclu. Et, s’agissant de la notion de hiérarchie des textes légaux évoquée par le président du Conseil d’Etat, elle est sans pertinence dans le cas d’espèce parce que « la constitution elle-même précise que l’exercice des voies de recours s’effectue dans les conditions prévues par la loi ».
Arrêts inexistants
Les conséquences tirées par le Conseil Supérieur de la Magistrature à cet effet sont donc claires : « en recevant l’appel de Monsieur Mukumadi Joseph-Stéphane au mépris des dispositions précitées de la constitution et de la loi électorale, le conseil d’Etat a mal dit le droit, car incompétent ». Ou encore que « Ainsi rendu par une juridiction incompétente, l’arrêt REA 002 du conseil d’Etat section « contentieux » est réputé inexistant et par conséquent ne peut être appliqué». Les ordonnances rendues dans le cadre de ces procès en contentieux de candidatures sont déclarées sans objet, selon le bureau du CSM (à l’exception de VTP) qui considère que « les arrêts REA 002 et REA 006 du Conseil d’Etat sont inexistants et partant, ne peuvent recevoir exécution ».
Contre l’avis de ses pairs, VTP s’est opposé en publiant un communiqué selon lequel le bureau du CSM est « un organe de gestion administrative, budgétaire et disciplinaire du Pouvoir judiciaire et qu’il n’a reçu ni de la constitution ni de la loi le pouvoir de se substituer au cours et tribunaux de la République ». Et aussi, que « ni son assemblée générale ni son bureau ne disposent de pouvoir juridictionnel pour interpréter, critiquer ou plus grave, déclarer inexistants les arrêts rendus, dans leurs compétences, par les cours et tribunaux de la République ». Pour un VTP qui semble blessé dans son orgueil, les arrêts critiqués restent d’application.
Cette guéguerre de juristes battait son plein lorsque le président de la République a invité la CENI à surseoir provisoirement à l’organisation de l’élection du gouverneur et du vice-gouverneur de province au Sankuru sans rien dire sur le dossier identique du Sud-Ubangi. Des spécialistes interrogés par Le Maximum pensent que le magistrat suprême devrait bientôt demander à la cour constitutionnelle de trancher la question pour permettre à la CENI de parachever le cycle de ses élections indirectes.
J.N.