C’en est fini des années de souveraineté réaffirmée et revendiquée par les plus hautes autorités de la RD Congo. Le pays des immortels Patrice-Emery Lumumba et Mzee Laurent-Désiré Kabila semble en voie de retourner, ipso facto, dans le giron-échafaud des impérialistes occidentaux, sans autre forme de procès. Ni de résistance. A en juger par les réactions enregistrées dans une partie de l’intelligentsia bien-pensante kinoise, qui commente abondamment et en sens divers, le séjour du président Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo aux Etats-Unis du 3 au 5 avril 2019. «L’Occident qui a décidé de sauver le Congo, du coup, d’en découdre avec cette ex majorité (…) veut éviter un suicide politique à Kinshasa », prophétisait ainsi mercredi 3 avril un journal qui a pignon sur rue dans la capitale rd congolaise, propriété d’un candidat malheureux à la dernière présidentielle passé avec armes et bagages d’un kabilisme flagorneur à un tshisekedisme tout aussi béant. De l’avis de T. Matotu qui signe ces affirmations enfouies dans un immense flot littéraire à la gloire des anciens-nouveaux « sauveurs » du monde et de la ribambelle de candidats malheureux aux derniers scrutins électoraux, anciens colons et autres puissances de l’hémisphère Nord de la planète auraient résolu de « voler au secours du nouveau Président qui doit imposer son rythme à la vie politique. Avec, à ses côtés, des millions de Congolais acquis à sa cause prêts à défier les enclaves isolées PPRD/FCC que sont les assemblées constituées par le couple Nangaa-Basengezi » et tutti quanti…
Boucs-émissaires parfaits
Nangaa-Basengezi. Il s’agit du président et du vice-président de la structure faîtière dirigeante de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) depuis octobre 2015, Corneille Nangaa Yobeluo et Basengezi Katintima. On se souvient que la centrale électorale congolaise qui avait brillamment conduit l’organisation des scrutins combinés présidentiel, législatives nationales et provinciales du 30 décembre dernier s’apprête sans coup férir à poursuivre le processus qui prévoit l’élection des gouverneurs de province dans 5 jours, après les sénatoriales du 15 mars 2019. Un candidat de l’opposition radicale a pu, à la suite de ce processus, s’imposer à la tête du pays au terme d’opérations électorales entièrement – et contre la volonté des puissances occidentales – prises en charge financièrement par l’Etat rd congolais « par souci de souveraineté ».
Une grande majorité des contribuables-électeurs congolais semble avoir trouvé son compte dans le dénouement de ces scrutins électoraux mais on ne peut pas affirmer que ce soit le cas pour tout le monde, particulièrement pour une certaine classe politique tant dans l’ancienne opposition qu’au sein de l’ex majorité présidentielle et pour cette fameuse « communauté internationale » qui avait pesé de tout son poids pour influencer à sa guise – et pour ses propres intérêts – les résultats électoraux. Ce n’est qu’un secret de polichinelle.
Le cycle électoral en cours a sonné le glas des maximalismes extrémismes de tous bords, estiment nombre d’observateurs avertis de la scène politique congolaise. Des caciques du camp du président sortant, Joseph Kabila Kabange, qui ressassaient des rêves à peine dissimulés de se perpétuer indéfiniment aux affaires, aux chantres du changement radical depuis l’époque du Maréchal Mobutu, beaucoup ont été renvoyés à leurs études à la faveur de résultats qui consacrent une cohabitation (ou une coalition c’est selon) au sommet de l’Etat entre un chef d’Etat issu de l’ancienne opposition et une majorité parlementaire restée acquise à l’ancien président. Un certain nombre d’agitateurs sont à la manœuvre au pays comme à l’étranger pour faire échec ce que d’aucuns considèrent, on ne sait trop pourquo,i comme une alliance « contre nature » (sic !) qui marque pourtant la volonté du « souverain primaire » qui a ainsi souverainement départagé les différents protagonistes de l’arène politique nationale.
Epilogue électoral : cohabitation ou coalition
Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, le nouveau président de la République, se retrouve ainsi comme écartelé, entre ceux qui rêvent de le voir exercer un pouvoir sans partage, un peu comme Mobutu Sese Seko que son géniteur biologique et politique avait combattu presque toute sa vie durant, et, pire, en violation de la constitution du pays ; et ceux qui prônent la méthode douce, c’est-à-dire une cohabitation sans heurts voire une coalition avec la majorité kabiliste regroupée au sein du Front Commun pour le Congo (FCC) qui présente l’avantage de s’être forgée autour d’idéaux socio-démocrates comme son UDPS. Les choix du chef de l’Etat paraissent d’autant plus cornéliens que des puissances étrangères hostiles à la politique jugée trop souverainiste mise en œuvre par son jeune prédécesseur semblent décidées, ainsi que le rapporte la dernière édition du journal Le Soft, à jouer des pieds et des mains pour parvenir à leurs fins. Avec le concours de relais locaux parmi lesquelles se recrutent de nombreuses organisations plus ou moins directement financées pour contrebalancer la volonté clairement exprimée des Congolais. Comme c’est de coutume depuis l’accession du pays à l’indépendance en 1960.
A commencer par la toute puissante, et très néocolonialiste, Eglise catholique romaine rd congolaise, en passant par diverses organisations dites non gouvernementales qui sont en réalité anti gouvernementales, pour terminer par les acteurs politiques d’une certaine opposition libérale pro-impérialiste. Celle qui est sortie défaite de la dernière élection présidentielle et que des parrains occidentaux empressés s’évertuent à porter à bout de bras et à imposer coûte que coûte dans le cénacle de la gouvernance.
« Le trésor US a pris en chasse Nangaa Yobeluo. Lâché banni », le titre-phare du journal du candidat malheureux à la dernière présidentielle, Triphon Kin Kiey Mulumba, un ancien thuriféraire de l’ex majorité présidentielle qui n’a pas son pareil dans le landerneau politique kinois pour flairer les « bons coups politiques » (et changer opportunément de camp selon ses intérêts petites-bourgeoises) selon notre consœur Heshima, est perçu par certains dans l’opinion comme un cas-type de relais et de défense d’intérêts occidentaux en RD Congo. Même si, ainsi que l’assure un de ses anciens collègues députés de la majorité kabiliste, «l’homme n’a jamais eu d’amis; seulement des relations d’argent », c’est par la fenêtre des sanctions du Département du Trésor US contre un groupe de dirigeants de la CENI que le journal dont il est propriétaire (ses détracteurs assurent qu’il en est l’unique rédacteur, en fait), révèle ses amours du jour.
La brèche des sanctions américaines
En quelques années, l’initiateur de «Kabila Désir», une association créée début 2014 avant de muter en parti politique deux ans plus tard, pour vanter et soutenir « sans complexe » le nationalisme souverainiste tatillon de l’héritier de Mzee Laurent a, à la surprise générale, littéralement retourné sa veste. Sans le moindre scrupule. Il y a quatre ans à peine, il expliquait avec emphase et force rhétorique dans le même tabloïd que « jamais, de l’avis unanime, depuis l’indépendance de notre pays, le Congo n’a eu un dirigeant aussi visionnaire que Joseph Kabila Kabange réalisant autant de résultats pour son Peuple depuis son avènement à la tête du pays dans un contexte que tous nous savons des plus difficiles. […] Alors s’impose au Congo un devoir de vérité : le Congo qui retrouve la respectabilité a envie de Kabila dans sa majorité ». Toute honte bue, l’homme en appelle désormais à « voler au secours du nouveau Président (Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, ndlr) qui doit imposer son rythme à la vie politique ». En 2015, KKM, ainsi que ses partisans le surnomment, décrivait la RD Congo comme «un pays qui a été à la dérive pendant des décennies, avec une monnaie au taux du jour, une inflation à quatre chiffres, et voici un homme, Kabila, qui arrive dans les conditions que vous connaissez, et qui redresse tout. Et quand on regarde tout ce qui se raconte autour de cet homme, (Joseph Kabila i.e), nous sommes dans une sorte de négationnisme. Je trouve qu’un devoir de vérité s’imposait et j’ai voulu exprimer un cri de cœur». Renversant.
Kabila Désir, aux oubliettes
C’est désormais oubliés, effacés d’un trait de stylo, les souvenirs d’un pays « à la dérive », d’ «une monnaie au taux du jour », d’«une inflation à quatre chiffres » … Le nouveau KKM a jeté son dévolu sur le nouveau président de la République issu de l’opposition radicale (dont il n’a jamais été !) et chante désormais la bienfaisance occidentale et américaine pour le même pays. «Si Kinshasa abrite toujours quelques missions occidentales, elles ne s’occupent que de l’humanitaire et d’offres de services consulaires au grand désarroi des diplomates dans un pays qui aurait dû être le moteur du Continent. Alors que d’autres capitales africaines sont courues par des milliardaires et des dirigeants de la Planète, en une décennie, un Congo peu attractif n’en a reçu aucun », professe désormais le journal Le Soft. Egalement oubliés et placés sous le boisseau, les innombrables années passées par son pays sous la coupe des mêmes capitales occidentales prédatrices auxquelles un des régimes les plus dictatoriaux du monde – qu’il avait servi avec le même zèle – a succédé et régné en RD Congo depuis l’accession du pays à une indépendance strictement nominale. Dont l’ancien pouvoir, partiellement sorti puisqu’il détient la majorité dans les assemblées parlementaires, aura lutté pour se libérer une bonne fois pour toutes.
Mais au pays de Lumumba, l’histoire semble appelée à se répéter par la grâce de certains de ses (in)dignes fils. Que le gouvernement d’un Etat étranger ait l’outrecuidance de prendre des sanctions unilatérales et politiquement motivées, donc illégitimes, contre l’un ou l’autre des membres d’une haute institution de leur pays, il se trouve des Congolais pour s’en féliciter. Et railler des victimes qui devraient plutôt être traités en martyrs de la cause nationale, donc héros pour les mêmes faits. De Corneille Nangaa et Norbert Basengezi, ils sont « en pleurs, suffoquant, rattrapés, dans les filets de la justice américaine, mis sous surveillance accrue par Interpol … », jubile Le Soft qui vend de la sorte l’honneur de son pays au milles diables, quasiment: «Partout dans le monde, même sur une île Machin, ces Américains qui ont déployé en permanence leurs grandes oreilles, laissent ouverts leurs grands yeux…». C’est trop et ça ne passe pas. Pas pour tout le monde.
Notamment ce jeune étudiant de l’Université Catholique du Congo (UCC) qui se rappelle que «les mêmes Américains avaient déjà condamné à l’avance et fait tuer des personnalités politiques comme Saddam Hussein ou encore Mouammar Kadhafi, mais le monde découvrit après ces forfaits que les faits qui leur étaient reprochés étaient entièrement faux ». Avant de mettre en garde contre « ce que ça coûte lorsqu’on croit pouvoir se dispenser d’entendre l’accusé, de lui permettre de présenter ses moyens de défense ». Comme la flopée de personnalités politiques rd congolaises condamnées auparavant par les USA à la suite de l’Union Européenne, la bienpensante Amérique, que KKM et son journal portent aux nues, n’a en effet pas daigné écouter les nouveaux accusés-condamnés. «Qu’un professeur d’université cautionne et prenne la défense de telles infamies internationales, dépasse tout entendement », renchérit un autre étudiant de la même université, qui s’abstient de faire le distinguo entre le propriétaire du journal Le Soft et son journal. « Science sans conscience n’est effectivement que ruine de l’âme», en conclut-il. A défaut de le prouver, chercher où loge l’âme de l’ancien élu de Masimanimba sur les listes de la majorité kabiliste n’est pas dépourvu d’intérêt.
Le roi est mort, vive le roi ?
Le Soft et son boss, c’est sur la fin de l’ère Kabila et le retour en force de l’impérialisme américain au pays de Lumumba qu’ils subodorent, fantasment, louvoient et bavent à loisir. Il y a lieu de craindre pour Kinshasa, espère le journal qui soutient que «après avoir poussé le puissant président angolais Edouardo Dos Santos à quitter le pouvoir et à laisser mains libres au nouveau président João Lourenço, Washington se sert de ce modèle pour libérer Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo de l’emprise de l’ancien régime ». Et peut-être aussi pour ramener KKM et Cie sur les devant de l’arène politique et des jouissances matérielles subséquentes dans son pays ? C’est manifestement le prix à payer pour que le pays de Lumumba réintègre la table des puissants de la planète, selon ce « confrère », qui n’a dorénavant que des superlatifs sur le séjour US de Félix Tshisekedi.
Tout conspirerait ainsi en faveur des projets politiques du patron du journal Le Soft qui crucifie littéralement le président de la CENI et son adjoint, qu’il rend responsables de ses propres déboires électoraux au Kwilu. Même si, c’est connu de tout le monde, Tryphon Kin Kiey Mulumba n’a jamais réussi à aligner plus d’un élu aux législatives en 2006 et en 2011, alors qu’il plastronnait dans les rangs de la majorité kabiliste. «Même dans son terroir de la Masimanimba dans le Kwilu, conflictuel et belliqueux à loisir, Kin Kiey n’a jamais fait l’unanimité », confie ce nouvel élu de la circonscription qui semble avoir ravi l’électorat du président de «Kabila Désir». Dévoré par une ambition politique démesurée et un ego surdimensionné, le professeur avait d’abord visé très haut, trop haut, en postulant à la présidentielle de décembre 2018. Contre toute attente. Parce que jusqu’à quelques heures de l’ouverture des dépôts des candidatures, KKM était le 1er vice-président de l’Alliance des Bâtisseurs pour un Congo Emergent (ABCE), une plateforme FCC mise sur pieds avec Christophe Mboso, Athanase Matenda, Jean-Marie Bulambo, Raymond Tshibanda, entre autres, des kabilistes devant l’Eternel. Mais « il savait l’entreprise désespérée et avait pris la précaution de postuler également à la députation nationale », explique encore cet élu de Masimanimba.
Salves d’un candidat malheureux
Seulement, l’électorat de la petite bourgade située sur la Nationale n° 1 entre Kinshasa et Kikwit semble s’être définitivement détourné d’un candidat-caméléon, qui retourne sans cesse sa veste, et n’a guère voté pour lui. Aux législatives nationales aussi, le professeur de journalisme et patron du Soft a mordu la poussière. « C’est ce qui explique sa hargne contre la CENI et ses dirigeants, qu’il a littéralement arrosé de vitriol mercredi dernier », croit savoir un confrère qui s’est confié au Maximum en marge d’une rencontre de presse. Pas moins de 10 pages ont été consacrées aux dirigeants sanctionnés par le Département du Trésor US, Corneille Nangaa et Norbert Basengezi. Du rarement vu dans lequel transparait une longue complainte sur le déroulement des scrutins à Masimanimba, la circonscription électorale du triple candidat malheureux. « Si la nouvelle sur l’élection de Fatshi est logique, crédible, légitime, apaise le pays, l’Afrique et le monde – le Congo a exprimé un vote sanction contre la gouvernance sortante -, la majorité écrasante (354 élus sur 500 en attendant le vote repoussé de Yumbi au Bandundu et du Grand Nord au Nord-Kivu) que revendique imprudemment l’ex-majorité présidentielle aux Législatives qui ont eu lieu le même jour, et, du coup, la direction du Gouvernement, tout comme la conduite du Gouvernement et d’importants portefeuilles ministériels, émeut l’Europe et les États-Unis qui voient le retour par une porte dérobée d’un pouvoir décrié », larmoie KKM, sans se nommer parmi ceux que ces résultats avaient particulièrement ému. Mais il ne faut pas chercher bien loin pour découvrir le fond de la casserole qui peste toute la rancœur que ce politicien aussi véreux que sanguin a de la peine à ravaler.
Masimanimba lui a tourné le dos
A Masimanimba, les agents électoraux avaient pour mission de donner le grand maximum de sièges au parti au pouvoir, accuse Kin Kiey, mauvais perdant sur le coup. Mais l’homme n’avance à l’appui de ses affirmations qu’une rocambolesque histoire de responsable électoral évincé au profit d’un autre, qui serait de l’obédience du président de l’Assemblée nationale sortante, Aubin Minaku. Ainsi que le fait qu’à la proclamation des résultats les noms des élus de sa circonscription furent oubliés ! Pas assez pour convaincre un public sérieux, à l’évidence. Car, KKM est redescendu dans l’arène pour les élections sénatoriales avec un corps électoral très restreint. Et a lamentablement échoué. On se demande si là aussi c’est le duo Nangaa-Basengezi et leur CENI qui ont ‘‘manipulé’’ les résultats du deus ex machina…
Autre grief retenu contre le président de la CENI et son adjoint, c’est d’avoir éconduit la délégation des candidats à la présidentielle conviés à des échanges sur la machine à voter. Mercredi 10 octobre 2018, à deux mois de la présidentielle, le groupe emmené par le pasteur Théodore Ngoy tente de remettre sur la table le débat sur l’opportunité ou non d’utiliser l’ingénierie sudcoréenne d’impression des choix des électeurs. Autrement dit, de la possibilité de repousser les échéances électorales. Corneille Nangaa fait valoir le point de vue de la CENI, qui consiste à examiner les difficultés inhérentes à l’utilisation de la machine à voter, et non pas à discuter de son utilisation, qui est déjà acquise. S’installe alors un langage de sourds avec certains candidats, que le patron de la CENI convie à prendre la porte s’ils n’ont rien de constructif à proposer. « Celui qui n’est pas d’accord prend la porte», aurait déclaré Corneille Naanga. Et KKM n’a pas apprécié. Ni oublié, d’ailleurs. Derrière la jubilation autour de sanctions iniques contre les dirigeants de la CENI et des acteurs politiques d’un pays indépendant membre de l’ONU gigote l’âme perdue d’un candidat malheureux à toutes les élections et qui ne supporte pas d’être guetté par la mort politique.
J.N.