L’affaire est sur toutes les lèvres depuis quelques jours, depuis notamment que certains médias locaux et étrangers ont se sont lancés dans la dénonciation des pratiques de corruption qui séviraient dans l’élection, le 15 mars 2019, des sénateurs et des gouverneurs de province. L’opération, qui s’inscrit dans le cadre de la poursuite du processus électoral en cours en cours en RD Congo, consiste en scrutins indirects pour l’élection d’une centaine de sénateurs et de 24 gouverneurs de province, conformément à la constitution. Et à la suite des scrutins directs de l’élection du Président de la République, des députés nationaux et provinciaux. Ce sont les députés provinciaux élus au suffrage universel direct qui éliront aussi bien les sénateurs, soit 4 sénateurs par province pour un total de 108 parlementaires.
780 élus provinciaux corrompus ?
Au terme de la législative nationale du 30 décembre 2018, 715 députés ont été élus, auxquels s’ajouteront 65 députés cooptés parmi les chefs coutumiers pour atteindre un total de 780 députés provinciaux, ces électeurs que la « clameur publique » accuse indistinctement de corruption. Des chiffres sont avancés. Des confrères parmi les plus sérieux font état de sommes faramineuses, qui oscillent entre 20.000 et 100.000 USD. En supposant que chaque élu provincial soit corruptible ou ait été effectivement corrompu, les corrupteurs dépenseront entre 15.600.000 USD et 78.000.000 USD. C’est évidemment énorme. Et des voix, dont certaines se veulent expertes en matière de pratiques démocratiques, s’élèvent pour fustiger le fait … pourtant non avéré.
Outre les médias, des personnalités politiques de premier rang, candidates déçues par ces pratiques, sont montées au créneau pour fustiger les élus provinciaux corruptibles. A Kinshasa la capitale de la RD Congo et siège des institutions, un ancien candidat à la présidence de la République (2011), Adam Bombole Intole, a fait sensation en annonçant avec fracas le retrait de sa candidature aux élections sénatoriales dans la circonscription de Kinshasa (8 sièges) forte de 45 députés provinciaux élus et 5 cooptés. Bombole n’y va pas avec le dos de la cuillère dans ses dénonciations. « Il y en a un qui est allé jusqu’à me demander carrément 50.000 USD », révèle-t-il à la presse.
Bombole, Vidiye, pas aussi saints que ça
Vidiye Tshimanga, le président d’un parti politique dénommé Congo Dynamique Unie (DCU) lié à l’UDPS et qui fait office de porte-parole du président Tshisekedi a, lui aussi, annoncé bruyamment le retrait de sa candidature aux mêmes sénatoriales au terme d’un échange avec des élus provinciaux kinois qui lui avaient auparavant assuré leur soutien.
Seulement, les dénonciateurs, tous deux proches de l’UDPS/T de Félix Tshisekedi – Adam Bombole avait déjà renoncé à la présentation de sa candidature au gouvernorat de la capitale pour ne pas heurter celle du parti tshisekediste – omettent d’indiquer que le parti de leurs sympathies (l’UDPS/T donc) aligne nombre d’autres candidats sénateurs et gouverneurs à Kinshasa, qui ont priorité dans les choix de leurs élus provinciaux. Parce que l’ECCHA d’Adam Bombole et la DCU de Vidiye n’ont obtenu aucun siège à la députation provinciale dans la capitale. « Il y a comme une escroquerie morale dans la dénonciation faite par nos amis. C’est parce qu’ils n’ont pas d’élus sur qui compter sur la base de l’appartenance au même parti politique qu’ils en sont réduits à quémander des soutiens », confie, déçu, un élu AAB au Maximum.
Et l’appartenance des élus aux partis politiques ?
En réalité, Adam Bombole, Vidiye Tshimanga … qui s’épanchent dans les médias au sujet de la corruption « à ciel ouvert » (selon l’expression d’un confrère en ligne) en vue des sénatoriales dissimulent volontairement une donnée démocratique fondamentale : l’appartenance des élus provinciaux à des partis et regroupements politiques bien identifiables et aux noms desquels ils ont été élus. A ce titre, les élus provinciaux électeurs sont appelés à contribuer à l’atteinte des idéaux de leurs partis politiques respectifs, mis en exergue durant la campagne électorale et qui leur ont permis de gagner des sièges électoraux. « Il est exagéré de nous présenter comme des personnes exclusivement motivés par l’argent des riches candidats sénateurs. Nous avons des obligations morales intrinsèques et incontournables qui transcendent ce type de bassesse parce que la réputation et l’avenir politique de chacun d’entre nous en dépendent », insiste cet élu provincial interrogé par Le Maximum.
Présomption de tentative de corruption
A en juger de ce dernier point de vue, les candidats aux élections sénatoriales qui réduisent l’enjeu de ces scrutins prévus le 15 mars 2019 à une vulgaire « question d’argent » sont loin d’être plus saints que les députés provinciaux qu’ils clouent au pilori. Parce que c’est dans le secret espoir de détourner un certain nombre de ces élus des idéaux et projets que s’assignent leurs partis et regroupements politiques, et donc aussi des espoirs placés en eux par leurs électeurs qu’ils les ont « approchés », selon une expression de connotation typiquement rd congolaise. « Ils étaient déjà engagés dans une démarche démocraticide lorsqu’ils se sont rendus compte après coup que l’opération était compromise ou trop couteuse », explique un expert ès élections, qui rappelle que c’est pour décourager ce type d’initiatives que le défunt Abbé Apollinaire Malumalu avait proposé l’augmentation du nombre des voix requises pour un siège de sénateur.
La plupart des candidats sénateurs qui dénoncent la corruption des députés provinciaux, ne sont dès lors guère différents des voleurs qui crient aux voleurs.
J.N.