En RD Congo, les élections ont été reportées d’une semaine par la CENI (Commission Electorale Nationale Indépendante), jeudi 20 décembre 2018, 24 heures avant la fin officielle de la campagne électorale prévue le 21 décembre à minuit. Quelques heures auparavant, mercredi 19 décembre, l’Hôtel de Ville de Kinshasa diffusait une décision datée du d’un jour plus tôt, le 18 décembre, interdisant toute activité de campagne électorale à l’exception du recours aux médias pour l’ensemble des candidats à la présidentielle. Pour conjurer le sceptre de la perturbation, voire, de l’interruption du processus électoral, qui plane toujours sur les votes rd congolais. « Les renseignements en notre possession attestent que dans tous les camps politiques des principaux candidats à la présidence de la République, des extrémistes se sont préparés et se préparent à une confrontation de rue dans la ville de Kinshasa lors des activités de campagne électorale », explique le communiqué signé par le gouverneur André Kimbuta Yango.
Sprint final à trois
En fait de principaux candidats à la présidentielle, il s’agit du FCC (Front Commun pour le Congo) Emmanuel Ramazani Shadary, du CACH (Cap pour le Changement) Félix Tshilombo Tshisekedi et du Lamuka, Martin Fayulu Madidi. A Kinshasa, des provocations ainsi que des voies de fait sur des adversaires politiques avaient déjà été enregistrées lorsque des partisans Lamuka ont perturbé le tout premier meeting du tandem Fatshi-Vital Kamerhe au camp Luka le 2 décembre 2018. Et, Samedi 8 décembre à Kingasani dans la commune de Kimbanseke, une caravane organisée par le Parti Lumumbiste Unifié (PALU) a été attaquée par des partisans de Lamuka. Les participants à ce défilé organisé pour présenter les candidats du parti aux combattants, dont des femmes âgées, ont essuyé des jets de pierres et plusieurs blessés graves ont été enregistrés. Selon Lugi Gizenga, le secrétaire permanent du Palu, les assaillants bien connus sont des militants de Lamuka. Certains parmi eux ont été mis aux arrêts sur la base d’une plainte déposée par le parti gizengiste. On ne peut donc raisonnablement reprocher à l’autorité urbaine de prévenir des incidents qui pourraient mettre en péril un processus qui arrive à son terme, estiment certains observateurs.
Campagne électorale agressive
L’agressivité en cette période de campagne émane manifestement des partisans des candidats à la présidentielle de l’opposition radicalisée, ceux du « candidat unique » de l’opposition désigné par les conclavistes de Genève le 11 novembre 2018, ainsi que ceux du CACH qui, dans certaines provinces comme au Kasai (Tshikapa) et au Kasai-Oriental (Mbujimayi) se sont illustrés par des affrontements avec leurs adversaires du camp présidentiel. C’est le signe de craintes d’échec et de désarroi : divisée, l’opposition politique rd congolaise part plus que perdante à la présidentielle 2018, quoique prétendent ses principaux candidats et leurs états-majors respectifs. Mais ça, c’est dans la logique des choses : nul ne peut ainsi s’avouer vaincu avant d’avoir combattu.
C’est un opposant, Jacques Djoli, professeur de droit et vice-président de la CENI lors des élections de 2011 remportées par Joseph Kabila qui l’assure in tempore non supecto. Si on remporte les élections dans les provinces du Bandundu, du Katanga et dans la Province Orientale, on remporte l’élection présidentielle, déclarait-il sur la radio onusienne Okapi en février 2016. L’ancien vice-président de la CENI justifiait ainsi la victoire contestée, par l’UDPS Tshisekedi notamment, de Joseph Kabila. En 2006, Jean-Pierre Bemba l’avait emporté sur Joseph Kabila dans les provinces de l’Equateur, du Bandundu, à Kinshasa, dans le Bas-Congo et dans les deux Kasai. Mais cela ne lui avait pas permis de l’emporter au finish, puisque Joseph Kabila était vainqueur dans du Katanga, du Nord et du Sud Kivu, dans la province Orientale et au Maniema, qui comptent le plus grand nombre d’électeurs, explique le professeur Djoli pour illustrer la défaite de l’opposition en 2011. « Les victoires glanées par Jean Pierre Bemba représentaient 35 à 40 % des scrutins. Alors que celles remportées par le Président Kabila au Katanga (98 %), au Kivu (98 %) étaient plus significatives », concluait-il.
Les scénarios de 2006 et 2011
En 2018, 7 ans après, le scénario semble devoir se reproduire au détriment de l’opposition. Objectivement. C’est le principe du gâteau divisé par 3 plutôt que par 2 : même en créditant l’opposition de 60 à 70 % des scrutins exprimés, divisés et partagés entre leurs deux candidats président, cela donne 35 % des scrutins à chacun d’eux. Et laisse la plus grande part du gâteau au candidat FCC et menu fretin indépendant qui n’aura même pas osé battre campagne en RD Congo. Mais il s’agit là d’estimations les plus optimistes possibles pour l’opposition. Parce que dans la réalité, les adversaires du Chef de l’Etat sortant, minés par des querelles internes et une impréparation notoire attribuable à leur prédilection pour le « raccourci dialogual », sont plutôt mal partis. Malgré les apparences.
A la date officielle de la clôture de la campagne électorale, les candidats président de la République de l’opposition accusaient un retard manifeste dans la couverture du territoire national par rapport à leur adversaire du camp présidentiel.
Au crédit du candidat Lamuka, Martin Fayulu Madidi, on note qu’il aura sillonné 13 des 26 provinces du pays, dont il a les principales agglomérations : le Nord-Kivu, 3.863.721 électeurs (Beni, Butembo, Goma) ; l’Ituri, 2.236.616 électeurs (Bunia) ; le Haut-Uélé, 928.875 électeurs, (Isiro) ; Tshopo, 1.221.150 électeurs (Kisangani) ; le Sud-Kivu, 2.554.513 électeurs (Bukavu) ; le Haut-Katanga, 2.461.838 électeurs (Lubumbashi) ; le Tanganyika, 1.174.710 électeurs (Kalemie) ; l’Equateur, 969.381 électeurs (Mbandaka) ; le Nord-Ubangi, 680.375 électeurs (Gbadolite) ; le Sud-Ubangi, 1.306.451 électeurs (Gemena) ; le Mai-Ndombe, 966.820 électeurs (Inongo) ; le Kwilu, 2.313.568 électeurs (Bandundu-Ville, Kikwit, Masimanimba), et Kongo-Central, 1.926.040 électeurs. Ajoutés aux 4 millions d’électeurs de Kinshasa la capitale, ce sont seulement quelque 27.061.677 électeurs sur plus de 40 millions d’enrôlés que le candidat de Genève a théoriquement visé.
Fayulu et Lamuka : 27 millions d’électeurs visés
On ne peut même pas assurer que Martin Fayulu ait atteint tous les 27.061.677 visés par sa campagne électorale. Parce que les villes atteintes ne représentent pas l’ensemble de l’électoral provincial : le Sud-Kivu, les électeurs de Kalehe, Uvira, Shabunda … n’ont pas aperçu le candidat Lamuka. Autant que dans le Haut-Katanga, Likasi et d’autres agglomérations importantes n’ont entendu parler de Martin Fayulu que de loin. Il en va ainsi de toutes les 10 provinces parcourues par le protégé de Jean-Pierre Bemba et Moïse Katumbi.
Le candidat président Félix Tshilombo Tshisekedi et son directeur de campagne, Vital Kamerhe du CACH n’ont pas fait mieux, eux aussi. Loin s’en faut. Au 21 décembre 2018, le tandem avait parcouru 12 des 26 provinces de la RD Congo : le Nord-Kivu (Beni, Goma) ; le Sud-Kivu (Bukavu, Kalehe, Idjwi …), la Tshopo (Kisangani) ; le Haut-Uélé (Isiro) ; le Haut-Katanga (Lubumbashi), le Kasai Oriental (Mbujimayi) ; le Kasai Central (Kananga) ; le Kasai (Tshikapa) ; l’Equateur (Mbandaka) ; le Nord-Ubangi (Gbadolite) ; le Kongo-Central (Matadi, Boma, Kinzau-Mvuete). Dans l’ensemble, le CACH et son candidat président ont visé …) que 23.218.014 sur les 40 millions d’électeurs inscrits sur les listes électorales.
Félix Tshilombo et Vital Kamerhe : 23 millions d’électeurs visés
Il va sans dire que le candidat du camp présidentiel, Emmanuel Ramazani Shadary accuse une avance de couverture territoriale évidente rapport à ses principaux adversaires. Au 21 décembre 2018, ERS avait sillonné 21 des 26 provinces du pays, soit : Kasai Oriental (Mbujimayi), Haut-Katanga (Lubumbashi, Kambove), Lualaba (Kolwezi), Tanganyika (Kalemie), Haut-Lomami (Likasi, Kamina), Nord Ubangi (Gbadolite), Sud Ubangi (Gemena), Mongala (Lisala, Bumba), Tshuapa (Boende), Equateur (Mbandaka), Bas-Uélé (Buta), Haut-Uélé (Isiro), Kwango (Kenge), Ituri (Bunia, Aru, Djugu, Mahagi), Tshopo (Kisangani), Maniema (Kindu), Sud-Kivu (Bukavu), Nord-Kivu (Goma), Mai-Ndombe (Inongo), Kasai Central (Kananga), Lomami (Kabinda), Kasai (Tshikapa), Sankuru (Lodja), Kongo-Central. Chiffré, le parcours de campagne à la présidentielle du candidat du camp présidentiel représente 38.017.670 d’électeurs visés. Et fort probablement atteints, compte tenu de la stratégie de la campagne électorale permanente mise en œuvre par le FCC dont leaders politiques et cadres des partis membres se chargent dans les coins et recoins du territoire national, d’assurer une persuasion de proximité. Ainsi que l’assurait, mercredi 19 décembre sur les antennes de la RFI, le coordonnateur de la méga plateforme kabiliste : « Nous ne nous arrêtons pas à des scènes de spectacle dans des chefs-lieux, nous descendons dans les fins-fonds de ce pays, où se trouver la majorité de l’électorat », déclarait Néhémie Mwilanya au micro de Christophe Boisbouvier dans le cadre de l’Invité Afrique de la chaine publique française. «L’opposition ne peut pas gagner les élections dans ce pays pour des raisons objectives. Elle n’a pas fait enrôler ses militants, elle n’a pas mobilisé l’électorat au moment où il le fallait et elle n’a pas de discours. Son seul discours c’était Kabila doit partir. Joseph Kabila a respecté la constitution, l’alternance est en vue mais elle ne sera pas au profit de cette opposition parce qu’elle ne s’y est pas préparée», assurait encore le FCC Mwilanya, également directeur de cabinet du Chef de l’Etat, alors qu’il se trouvait en campagne, pour lui-même et pour le candidat président de sa plateforme au fin fond de la province du Sud Kivu.
En RD Congo, un miracle électoral en faveur de l’opposition paraît impossible. Simplement.
J.N.