« La marche populaire de ce vendredi contre la « machine à voter » est une première et une première réussite. D’autres marches vont suivre et nous allons tout faire pour que cela aille crescendo ». Tels étaient les propos tenus par Jean-Pierre Bemba Gombo à l’issue de la manifestation organisée par un groupe de leaders de l’opposition politique. L’intraitable président du Mouvement de Libération du Congo (MLC) ne disait pas vrai, cela crève les yeux. Parce que vendredi 26 octobre 2018 à Kinshasa, la seule réussite de la marche qui n’a rassemblé que quelques centaines de militants, selon la plupart d’observateurs indépendants, fut en réalité un assaut en règle contre l’UDPS/T : avec un bel ensemble, les marcheurs ont déversé injures et quolibets contre le parti de Félix Tshilombo Tshisekedi aussitôt atteint son siège, à la hauteur de la 10ème rue Limete. Ils lui reprochaient d’avoir osé prendre la liberté de ne pas partager leur hostilité vis-à-vis de la machine à voter introduite dans le processus électoral, et de s’être abstenu de battre le pavé en leur compagnie. Mais il reste que l’assaut contre l’ingénierie Sud-Coréenne d’inspiration rd congolaise fut un cuisant échec, même en créditant l’organisation de 4000 participants, selon les chiffres de la Police Nationale Congolaise. Comparée à quelque 4 millions d’électeurs qui eux n’ont pas manifesté, la cavalcade opposante fut une véritable goutte d’eau dans l’océan.
Fuite en avant dissimulateur
Restent vrais, cependant, les propos de Jean-Pierre Bemba, lorsqu’il soutient que la marche fut « … une première… », et que « d’autres marches vont suivre … ». Le président du MLC engage résolument un parti politique sevré de sa présence durant une bonne dizaine d’années sur la voie des marches pour contester (voire, perturber) le processus électoral et la présidentielle prévue le 23 décembre 2018. Avec deux autres candidats exclus du rendez-vous des urnes de décembre prochain, Moïse Katumbi Chapwe et Adolphe Muzito, JPB a opté en faveur d’une remise des pendules à zéro parce qu’il n’est pas éligible. «Vers mi-novembre, je rentrerai pour soutenir le mouvement, le candidat unique et mes candidats aux législatives et aux provinciales. Vous me verrez en tête des cortèges », assure en effet le chairman du MLC, interviewé par La Libre Afrique.
Seul bémol à ces perspectives voulues enchanteurs, cette épineuse question (pour les opposants, cela va de soi) de la candidature unique de l’opposition à la présidentielle de décembre 2018. L’idée qu’en donne Jean-Pierre Bemba n’est pas exempte d’interrogations et paraît plutôt problématique. Le candidat de l’opposition « … devra avoir l’expérience, un bon cursus, mais je ne veux pas aller trop loin sur cette question » le président du MLC. Qui, tout en prétendant ne pas vouloir trop en dire en dit suffisamment pour éclairer la lanterne de ceux qui en douteraient encore. L’expérience requise et le cursus universitaire, ce sont les casseroles principales que l’on reproche à Félix Tshilombo Tshisekedi, le candidat de l’UDPS/T à la même présidentielle, de traîner comme des boulets. Interrogé sur les ambitions du parti par la radio Top Congo FM, mercredi 31 octobre, Augustin Kabuya estimait que la candidature unique de l’opposition devrait revenir à l’UDPS compte tenu de sa longue lutte en faveur de la démocratie en RD Congo. Une manière ou une autre de balayer du revers de la main les critères d’expérience et de formation universitaire, qui mettent à mal les ambitions tshisekedistes.
Criterium pour candidat unique : polémiste
Le criterium de Bemba est de nature à nourrir polémiques au sein de son propre parti politique, voire, dans le vaste espace Bangala-mobutiste dont a hérité l’aîné des Bemba à la disparition du défunt Maréchal Mobutu. Parce que d’acteurs politiques expérimentés et excellemment formés, il n’en manque ni au sein du MLC ni dans l’immense ex province de l’Equateur. Loin s’en faut. En 2011, la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) fut codirigée par le parti Bembiste représenté par le professeur de droit à l’Université de Kinshasa, Jacques Ndjoli. L’ancien adjoint du Pasteur Ngoy Mulunda Nyanga en qualité de vice-président de l’institution d’appui à la démocratie compte toujours parmi les cadres du MLC. Mais ceci explique-t-il cela ? Candidat aux législatives 2018, l’éminent constitutionnaliste a prudemment préféré une circonscription électorale discrète dans la toute nouvelle et petite province de la Tshuapa au tumulte urbain de Mbandaka ou de Kinshasa.
Ce ne sont pas des cadres expérimentés qui font défaut au plus grand parti politique de l’opposition à l’issue des élections de 2006. Originaire de l’ex province du Bandundu, Fidèle Babala Wandu, le fidèle des fidèles du chairman est un licencié en droit qui a déjà occupé d’importantes fonctions dans des entreprises pétrolières en RD Congo et peut se prévaloir, lui aussi, de condamnations pénales nationales et internationales. La secrétaire générale du parti Eve Bazaiba, ou encore le sénateur ex Mobutiste, Ramazani Baya, tous deux originaires de l’ex provinciale Orientale et beaucoup d’autres cadres encore, n’auraient pas nécessairement faits piètre figure parmi les 21 candidats retenus pour la prochaine présidentielle en RD Congo.
N’ose pas qui veut au MLC
Seulement, au MLC, n’ose pas qui veut. « Non seulement nul n’a songé à persuader Jean-Pierre Bemba de l’inopportunité de sa candidature après avoir passé 10 ans derrière les barreaux à Scheveningen, mais personne n’a osé lui suggérer un dauphin pour l’intérêt du parti et des régions qui le portent », se plaint cet ancien cadre du parti passé au G7 de Moïse Katumbi. Le criterium pour une candidature unique de l’opposition à faire valoir contre le candidat du Front Commun pour le Congo (FCC) ramène ainsi à la surface l’équation de la dimension de l’égo de Jean-Pierre Bemba. Ces disproportions sont à la base des départs de nombreux cadres qui prêchent chacun pour sa propre chapelle, désormais.
A l’exemple de Jean-Lucien Bussa Tongbo, jusque-là excellent à la tête du stratégique ministère du Commerce Extérieur du gouvernement d’union. Il a été aperçu, il y a quelques jours à Gemena dans la province du Nord-Ubangi, où la population lui a réservé un véritable triomphe. Ou encore de son collègue dans le même gouvernement, le vice-premier ministre et ministre des Transports et Voies de Communication, José Makila Sumanda. A la tête de son propre parti politique, l’ATD, l’ancien gouverneur de l’Equateur pour le compte du MLC Bembiste a aligné une bonne brochette d’élus nationaux et provinciaux à l’issue des scrutins électoraux de 2011, avant de diriger la toute nouvelle province du Nord-Ubangi. Ça compte, aux yeux de ces électeurs dont les suffrages seront bientôt sollicités.
La liste des victimes de l’égo surdimensionné et des choix politiques de Jean-Pierre Bemba est loin d’être limitative. D’autant plus que sa nouvelle offensive contre l’organisation de la présidentielle sans sa candidature (mal dissimulée sous les oripeaux de la contestation de la machine à voter) est aussi destinée à occulter le défaut de désignation d’un dauphin par le MLC.
J.N.