De la RD Congo, un groupe d’évêques de l’église catholique romaine s’est octroyé une « mission diplomatique » sui generis en se rendant à Lusaka en Zambie. Ils ont porté au chef de l’Etat de ce pays voisin de la RD Congo, Edgar Lungu, par ailleurs président de l’organe de défense et sécurité de la SADC, un « mémorandum sur l’évolution du processus électoral en RDC ». Aux yeux de l’opinion à Kinshasa et à l’intérieur du pays, ces prélats s’abritent derrière une vieille mission de bons offices leur confiée au dernier trimestre 2016 par le président de la République Joseph Kabila d’effectuer une médiation pour renforcer le consensus de la classe politique autour de l’organisation des troisièmes scrutins électoraux de la IIIème République, pour jouer une partition qui leur est propre. La préoccupation du président Kabila, mise en œuvre à travers une série de rencontres d’échanges entre acteurs politiques toutes tendances confondues, dont la dernière s’était tenue quelques mois plus tôt, en octobre 2016 à la Cité de l’Union Africaine à Kinshasa, était d’éviter les contestations violentes qui avaient émaillé les deux précédents scrutins électoraux, en 2006 et en 2011. Désillusionnés par de persistantes divergences entre les acteurs politiques au dialogue du Centre interdiocésain de Kinshasa, les prélats catholiques avaient, on s’en souvient, jeté formellement l’éponge le 28 mars 2017, tard dans la soirée lors d’une audience auprès du chef de l’Etat congolais au Palais de la Nation. Ils avaient alors reconnu n’avoir réussi qu’à faire signer ‘in extremis’ l’Accord politique dit du 31 décembre 2016, dans lequel les parties prenantes s’engageaient prioritairement à respecter la constitution de la République et s’accordaient une sorte de modus vivendi (arrangement politique) durant la période pré-électorale à définir dans un document portant modalités de mise en œuvre de l’accord ainsi conclu. Une partie radicalisée de l’opposition s’abstint signer le document élaboré à cet effet, mais le processus électoral enclenché s’est poursuivi sans encombres particulières et atteint son point culminant avec les scrutins combinés prévus le 23 décembre 2018.
C’est donc à quelque trois mois des élections des députés nationaux et provinciaux et du président de la République sous les auspices de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) que ce groupe d’évêques catholiques s’est réveillé pour se fendre d’une mission, bizarre et hybride à souhait, dans un pays étranger, on se demande bien à quel titre, de quel droit, au nom de qui en RD Congo et de quelle légitimité ils se réclament.
Une mission cléricale hybride
A Kinshasa en particulier et dans toute la RD Congo en général, c’est connu : un antagonisme politique pernicieux et insistant oppose depuis les années Mobutu, les évêques catholiques de la plupart des diocèses de l’Est à ceux de l’Ouest du pays notamment autour l’ère géographique d’appartenance du chef de l’Etat. Un groupe d’évêques qui semble régenter la CENCO s’avère farouchement opposé « aux tenants du pouvoir originaires de l’Est » s’est placé aux premières loges de l’opposition politique en RD Congo. Depuis l’entame du second et dernier mandat constitutionnel de Joseph Kabila en 2011, il a multiplié de véritables appels au djihad coulés en forme de lettres pastorales incendiaires. « Le Pays va très mal. Debout, Congolais ! », le communiqué rendu public au terme de la 54ème session de l’Assemblée plénière des évêques de la CENCO, illustre à la perfection divine l’engagement politique de ce groupe de prélats. « La situation misérable dans laquelle nous vivons aujourd’hui est une conséquence de la persistante crise socio-politique due principalement à la non-organisation des élections conformément à la Constitution de notre pays », écrivaient-ils alors. Avant de ponctuer sur « la sortie pacifique de la crise actuelle (qui) exige la tenue des élections présidentielle, législatives et provinciales avant décembre 2017, tel que le prévoit l’Accord politique du 31 décembre 2016», et d’appeler purement et simplement leurs compatriotes à la révolte pour parvenir à ces fins humaines.
Ce n’était pas qu’un sermon sur la montagne. Quelques mois après, à Kinshasa et dans certaines agglomérations de l’immense RD Congo, Laurent Monsengwo Pasinya, le cardinal archevêque de Kinshasa déjà connu de l’opinion pour son aversion viscérale contre les Kabila (père et fils), mettait sur pied une structure chargée de l’organisation et de l’encadrement d’une série d’insurrections populaires, le Comité Laïc de Coordination (CLC). Dont au moins trois manifestations pour réclamer des élections déjà prévues, parties des églises et paroisses catholiques de la capitale, ont occasionné moult pertes en vies humaines. A Kinshasa, les cloches des églises catholiques ont été mises à contribution par le « cardinal-afande » (commandant) pour sonner les glas du régime au pouvoir honni sur instructions personnelles de l’archevêque du lieu, sans le moindre scrupule.
Les élections réclamées au prix du sang sont à portée de mains
Les élections réclamées à cor et à cri par le groupe des prélats catholiques anti-kabila, devenues inéluctables avec l’enrôlement massif des rd congolais (plus de 40 millions d’inscrits sur les listes), le dépôt massif des candidatures aux législatives provinciales et nationales autant qu’à la présidentielle du 23 décembre prochain, les revendications cléricales n’avaient donc logiquement plus de raison d’être. D’autant plus que fidèle à ses engagements, le chef de l’Etat en place a scrupuleusement respecté la constitution en présidant à la désignation par ses partisans d’un candidat à la prochaine élection présidentielle. La nouvelle croisade du groupe d’évêques catholiques emmené par le duo Mgr Fridolin Ambongo – Abbé Donatien Nshole ne peut donc trouver ses justifications que dans ce cléricalisme (volonté de certains princes de l’Eglise d’imposer leurs vues – et intérêts – sur la vie publique et politique) dénoncé vertement il y a peu par le Pape François lui-même lors d’un symposium avec des nouveaux évêques du tiers-monde.
En effet, l’activisme politique de ce groupe de princes de l’église ne s’inscrit nullement dans le cadre de la politique sociale de l’église catholique universelle, ou de l’évangile de la libération qu’il contredit du reste lourdement. Car l’escapade à Lusaka des prélats congolais s’est effectuée manifestement en synergie, de concert et dans le cadre des dernières initiatives des anciennes métropoles coloniales européennes, Bruxelles en tête, cherchant à torpiller coûte que coûte le processus électoral en cours au pays de Patrice Lumumba avec le concours de certains dirigeants d’organisations régionales et sous régionales africaines. La coordination de cette offensive diplomatique contre le régime souverainetiste de Kinshasa fut quasi parfaite puisque même moment où les deux prélats arrivaient à Lusaka, le ténor des néolibéraux nostalgiques du « Congo de Papa » au pouvoir à Bruxelles, le ministre des Affaires étrangères belge, Didier Reynders, s’affairait dans un ballet diplomatique entre Pretoria (Afrique du Sud), Luanda (Angola) et Brazzaville (République du Congo) sur le même sujet portant sur… le processus électoral en RD Congo.
Une mission diplomatique occidentale
Chez le Zambien Edgard Lungu, la délégation de la CENCO a exprimé des craintes, non plus sur une éventuelle non tenue des élections, voire un tripatouillage de la constitution pour une troisième candidature consécutive et inconstitutionnelles de Joseph Kabila, mais sur le risque « … soit de ne pas avoir les élections le 23 décembre 2018, soit d’avoir des élections biaisées. Dans l’un ou l’autre cas, faute d’élections crédibles, inclusives et apaisées, la République Démocratique du Congo risque de basculer dans la violence voire dans le chaos qui peut embraser toute la sous-région des grands-Lacs ». C’est la thèse de l’insécurité dans la sous-région de l’Afrique Centrale, le nouveau cheval de bataille des Occidentaux pour se ménager de bonnes raisons d’interférer sur les processus politiques de la RD Congo à cause de questions sécuritaires régionales donc « extra-congolaises ».
A Luanda et à Brazzaville, c’est le même refrain que le Belge Didier Reynders a entonné pour entraîner ses interlocuteurs dans la voie des ingérences réprouvées par les autorités en place à Kinshasa, en réitérant « … l’importance d’un processus véritablement inclusif qui puisse aboutir à des élections crédibles, libres et transparentes le 23 décembre 2018, conformément à l’Accord de la Saint-Sylvestre et au calendrier électoral approuvé à cette fin, facteurs indispensables pour arriver à un résultat accepté par toutes les parties et à une stabilisation durable en RDC ». Plus de référence ni à la constitution, ni aux lois de la RDC au nom desquelles lui-même et ses « clients » congolais réclamaient à cor et à cri… l’exclusion de l’élection présidentielle de Joseph Kabila !
Nullement mandatés par qui que ce soit, même pas le Pape
De leur côté, sans mandat ni des autorités légitimes de la RD Congo, ni de la société civile à laquelle appartient pourtant, parmi d’autres, quelques princes de l’Eglise catholique romaine, ni de la population rd congolaise qui n’a jamais posé de préalable pour aller aux urnes le 23 décembre prochain, les évêques de la CENCO se lancent dans une véritable croisade de soutien à une politique extravertie (comme leurs précurseurs sous la colonisation) en se permettant de définir les priorités de la politique de la Nation en fonction d’impératifs prétendument sécuritaires et sous régionaux. En même temps qu’ils se révèlent, en réalité, à la solde de groupes d’intérêts politico-financiers qui n’ont rien à voir avec leur mission sociale telle que définie par Rome.
Rien n’indique que leur agitation politique soit conforme à la doctrine sociale de l’Eglise dirigée par le Souverain Pontife qui, à au moins trois reprises, a mis en garde le clergé contre cette tendance à vouloir à tout prix « imposer la prédominance des idées religieuses et du clergé dans la vie publique et politique ».
S’adressant samedi 8 septembre 2018, il y a seulement une semaine, à quelques dizaines de nouveaux évêques de « terres de mission », le pape François les a exhortés à rejeter le cléricalisme, cette tentation du clergé de dominer la vie publique et politique en des termes on ne peut plus clair : « Chers frères, fuyez le cléricalisme. Dire non aux abus, qu’ils soient de pouvoir, de conscience ou de tout autre type, signifie dire non avec force à toute forme de cléricalisme », a dit le Pape à 74 nouveaux évêques venus d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et d’Amérique latine. « Soyez des hommes pauvres en biens et riches en relations, jamais durs ou dans la confrontation mais affables, patients, simples et ouverts », a ajouté le numéro 1 de l’Eglise catholique romaine, comme s’il pensait, entre autres choses aux « exploits pastoraux » de ses volubiles représentants en République Démocratique du Congo.
Le Pape, qui abhorre particulièrement cette tare qui n’a que très peu porté bonheur à l’église à travers l’histoire de l’humanité, n’en est pas à ses premières observations sur le sujet. Dans une lettre adressée au président de la Commission pontificale consacrée à l’Amérique latine publiée le 26 avril 2016, le successeur de Saint Pierre soulignait déjà que le cléricalisme « éteint peu à peu le feu prophétique dont l’Eglise entière est appelée à témoigner » et est une « des plus grandes déformations dans l’Eglise de l’Amérique latine ». « Nous avons créé une élite laïque en croyant que les laïcs engagés sont ceux qui travaillent dans des domaines dédiés aux prêtres, et nous avons oublié, en le négligeant, le croyant qui brûle souvent son espérance dans la lutte quotidienne pour vivre sa foi », regrettait-il déjà. Pour lui « ce n’est pas au pasteur de dire au laïc ce qu’il doit faire et dire » dans la vie publique. Trois ans plus tôt, dans une adresse aux participants à une rencontre organisée au sanctuaire marial de Notre-Dame de Guadalupe au Mexique (novembre 2013), le Pape avait expliqué que le cléricalisme était un réel danger parce qu’il « implique une autoréférentialité qui éloigne les gens ». Le message papal diffusé le 16 novembre 2013 concluait sans ambages : « la tentation du cléricalisme, qui fait tant de mal à l’Église (…) est un obstacle pour le développement de la maturité et de la responsabilité chrétienne d’une bonne partie du laïcat ».
En RD Congo, les évêques de l’Eglise catholique née des cendres des « missions civilisatrices » qui ont accompagné aussi bien la traite esclavagiste que la colonisation de triste mémoire (pour les autochtones) œuvrent résolument contre le développement de la maturité et de la responsabilité chrétienne du laïcat. Cela n’a rien à voir, ni avec l’intérêt des Congolais, ni avec ceux de Rome dont le Pape prône résolument et avec insistance, le contraire : l’émancipation, l’autodétermination des chrétiens laïcs, et partant des peuples, qu’ils soient de la RD Congo, du continent ou du monde.
J.N.