Le projet d’une candidature unique de l’opposition politique rd congolaise face à la machine électorale du Front Commun pour le Congo (FCC) bat manifestement de l’aile. Outre que sa mise en œuvre traîne, en raison notamment des incertitudes relatives à la publication de la liste définitive des candidats à la présidentielle qui ne sera disponible qu’à l’issue du prononcé, mi-septembre 2018, de l’arrêt de la Cour constitutionnelle y relatif, les luttes internes entre candidats radicaux minent sérieusement l’ouvrage. Les vœux pieux claironnés tant en RDC même que dans les milieux nostalgiques du « Congo de Papa » en Belgique notamment dissimulent mal des manœuvres de déstabilisation inconscientes de l’opposition elle-même, et délibérées de cet immense pays au cœur du continent africain. La candidature unique de l’opposition à la prochaine présidentielle devrait selon toute vraisemblance accoucher d’une souris, à en juger par les ambitions peu révisables des prétendants au trône sur lequel les uns et les autres ne cessent de saliver depuis que le jeune quatrième président rd congolais, Joseph Kabila, déjouant toutes les anticipations, a ouvert le jeu en annonçant l’option quelques heures avant la clôture du dépôt des candidatures qu’il n’était pas preneur, conformément à la Constitution. Depuis lors en effet, les « roitelets » aux égos surdimensionnés de l’opposition radicalisée se sont pris à rêver chacun de la possibilité d’un destin présidentiel, encouragés très activement, il est vrai, par les habituels tireurs de ficelles blancs qui espèrent par leurs jokers interposés resserrer d’avantage leur étau sur cette juteuse RDC, toujours perçu dans l’hémisphère Nord de la planète comme « le pays de tout le monde et de personne ».
« Le pays de tout le monde et de personne »
A la fin de la semaine dernière, des rumeurs d’une convocation des têtes d’affiches de l’opposition radicale à une rencontre d’harmonisation pour une candidature unique convoquée à Bruxelles – capitale de l’ancienne (et candidate nouvelle) métropole coloniale du Congo – avaient couru avec insistance. Elles avaient fait renaître d’autant plus l’espoir parmi les partisans les plus obséquieux du retour de ce « joyau de la couronne » belge dans le giron des ‘kings makers’ du petit royaume européen qu’on en attribuait l’initiative à l’inénarrable Didier Reynders, le ministre belge des affaires étrangères qui n’a jamais fait mystère de sa farouche détermination à remettre des hommes à la solde de ses intérêts particuliers au pouvoir à Kinshasa. Félix Tshilombo de l’UDPS/Tshisekedi, Vital Kamerhe de l’UNC, Jean-Pierre Bemba du MLC, Moïse Katumbi de la fantomatique coalition « Ensemble pour les élections » et autres Martin Fayulu de l’Ecidé auraient été approchés plus ou moins discrètement pour aller « se mettre d’accord » à la faveur d’une rencontre qui aurait permis de constituer à la va-vite un front commun contre… le front commun pour le Congo monté avec une minutie d’horloger par un Joseph Kabila plus fin manœuvrier que ne le pensaient ses ennemis jurés. Un front de plus, sous l’égide de Moïse Katumbi, le dernier gouverneur de l’ex Katanga et de ses clients et amis dans la capitale belge.
Et Francis Kalombo dégaina sans crier gare
Mais ces perspectives enchanteresses se sont brusquement évanouies avec la sortie médiatique fracassante de l’ex PPRD Francis Kalombo, sujet français d’origine congolaise et ci-devant porte-voix en second de Katumbi dans son éphémère saga de candidat à une bien hypothétique candidature à la présidentielle de décembre prochain. Sur les antennes d’une radio très suivie à Kinshasa, cet ancien élu de la circonscription électorale de la Funa à Kinshasa a, à la surprise générale, sorti l’artillerie lourde contre un autre candidat radicalisé pro-belge à la présidentielle : Vital Kamerhe. « Vital Kamerhe n’est qu’un pion de la majorité au pouvoir dans l’opposition » a tonné Kalombo sans mettre des gants. Avant de rappeler avec moult détails que le patron de l’UNC avait signé l’Arrangement particulier à l’Accord politique du 31 décembre 2016, qui « viole cet accord », selon son interprétation. Plus grave, selon lui, le délégué du parti de Kamerhe, l’UNC, à l’assemblée plénière de la CENI (Commission électorale nationale indépendante) aurait voté en faveur de l’invalidation de la candidature du MLC Jean-Pierre Bemba le mois dernier.
Les tirs à boulets rouges du katumbiste sur Vital Kamerhe, le 29 août 2018, mettaient ainsi brutalement entre parenthèses le semblant d’harmonie parmi les principaux ténors de l’opposition radicale ayant annoncé leurs prétentions à la présidentielle du 23 décembre 2018 que recherchaient fébrilement leurs « coachs » européens et américains. En dépit d’une tentative désespérée de sauver les meubles de Kamerhe qui, à la clôture du congrès de son UNC, le 4 août, brodait encore sur l’unité de l’opposition et la perspective d’une candidature unique contre la machine du front commun pour le Congo de Kabila en assurant que « Jean-Pierre Bemba, Moïse Katumbi et moi-même, nous avons une responsabilité historique. Si le peuple congolais rate une alternance cette fois-ci, ça sera par notre égocentrisme et par notre souci de nous servir nous-mêmes. Nous avons réaffirmé à haute voix que nous serons tous flexibles. Ce n’est pas moi et pas les autres, non. Si c’est bemba, c’est nous tous ; si c’est Félix, c’est nous tous ; si c’est Moïse, c’est nous tous ; et si c’est Vital, c’est nous tous ».
Dans les rangs des « combattants » anti-Kabila, beaucoup estiment que les proches de Katumbi ont eu tort d’ouvrir prématurément les hostilités parmi les opposants à cette étape cruciale du processus électoral. Parce qu’en face, les lieutenants de Vital Kamerhe ont tôt fait de répliquer aux propos pour le moins incendiaires de Kalombo, que du reste nul n’a vraiment déploré chez les katumbistes, comme s’il s’agissait d’un entendement commun, une sorte de répartition des tâches. En réalité, Moïse Katumbi et ses hommes n’ont jamais dissimulé leur aversion pour l’ancien speaker de la chambre basse du parlement, candidat malheureux à la présidentielle de 2011 qui, depuis toujours, représente une menace pour les ambitions (jugées arrivistes à l’UNC) de leur mentor.
Katumbi, véritable fossoyeur de l’opposition
Aussitôt qu’il avait traversé la rue pour intégrer avec armes et bagages les rangs de l’opposition radicale fin 2015, la première opération politique de Moïse Katumbi avait été de renforcer le MSR de Pierre Lumbi et des petits groupes satellites comme l’ACO de Danny Banza, le PDC de José Endundo, l’UNAFEC de Kyungu wa Kumwanza, l’UNADEF de Charles Mwando, en recrutant l’un ou l’autre leader politique de l’opposition. Ce ne sont pas les billets verts qui faisaient défaut dans les caisses du dernier gouverneur de la riche province cuprifère. Les Christophe Lutundula, Franck Diongo et autres Jean-Claude Mvuemba et Denis Sessanga, seront pour leur part proprement « achetés rubis sur l’ongle » par le milliardaire, selon la presse paraissant à Kinshasa qui fit même état des montants décaissés à tour de bras à cet effet. Tandis que les lorgnons restaient braqués sur l’UNC de Vital Kamerhe.
Le conclave convoqué à Genval en Belgique sous la houlette des néo-libéraux de Didier Reynders en juin 2016, auquel Vital Kamerhe ne fut guère associé, se solda par une véritable OPA hostile contre l’UNC avec le débauchage en règle de deux de ses meilleurs cadres à l’époque : les anciens gouverneurs de l’Equateur et du Kasai Occidental, le tonitruant Jean-Bertrand Ewanga et le discret André-Claudel Lubaya. Le 30 août 2016, Ewanga, jusque-là secrétaire général du parti de Kamerhe, rendait publique sa démission, de ses fonctions seulement prétendait-il alors, assurant demeurer membre du parti (pour conserver son siège de député national). Quelques 72 heures plus tard, André-Claudel Lubaya, son adjoint, annonçait lui aussi, sur les réseaux sociaux, avoir adressé une lettre de démission au président de l’UNC. Sans grande surprise, les deux lascars rejoignaient les rangs du G7 du « généreux » Moïse quelques semaines plus tard. C’est tout dire de l’affection que se vouent Moïse Katumbi et Vital Kamerhe. Entre les deux prétendants au ‘top job’ en RD Congo, ça n’a jamais été la lune de miel.
Le dernier gouverneur du Katanga n’a rien du Messie
Malheureusement pour ceux qui ont cédé à ses chants de sirène, Moïse Katumbi Chapwe est loin, très loin, d’être le messie tant attendu. Pour se faire une place au soleil, le dernier gouverneur de l’ex Katanga se montre prêt à tout sacrifier sur l’autel de son ambition personnelle, en affaiblissant systématiquement même ceux qui peuvent devenir ses alliés de circonstance dans la lutte contre son cauchemar, Joseph Kabila Kabange. Le MLC de Jean-Pierre Bemba, dont le leader a été récemment relaxé des geôles de la CPI à Scheveningen au Pays-Bas, a eu droit aux tirs des snippers et des canonniers katumbistes. Dans la presse et sur les réseaux sociaux dont sont si friands les lettrés RD Congolais, les katumbistes ont tôt fait de répandre des fausses informations autour des facilités qui auraient été accordées par Kinshasa à l’ancien vice-président de la République en lui délivrant notamment un passeport diplomatique express alors que ce document de voyage était un service auquel Bemba sénateur de la République ayant été « lavé » des accusations qui pesaient sur lui par une décision d’acquittement sur laquelle on est en droit de s’interroger mais qui n’en est pas moins effective, était en droit de recevoir du consulat de son pays. « C’est à peine si Jean-Pierre Bemba n’a pas été soupçonné d’être le dauphin que pouvait présenter Joseph Kabila », déplorent des sources au MLC. Au cours d’une intervention radiodiffusée sur Top Congo FM, une des stations parmi les plus suivies à Kinshasa, Eve Bazaïba, la volubile secrétaire générale du parti bembiste, en eut pour plus d’une heure de débat pour essayer de réparer les dégâts ainsi causés à l’image d’opposant de son champion…
Félix Tshilombo, dans le viseur des snipers katumbistes
On ne peut pas non plus affirmer, aujourd’hui, que l’entente d’antan entre l’UDPS Félix Tshilombo Tshisekedi et Moïse Katumbi soit demeurée au beau fixe. Le Rassemblement des Forces Politiques et Sociales Acquises au changement (RASSOP) qui scellait l’alliance entre les deux leaders de l’opposition dans le cadre d’un partage des responsabilités politiques qui faisait de Moïse Katumbi l’unique candidat à la prochaine présidentielle a littéralement explosé en plein vol. Depuis notamment que Moïse Katumbi a mis sur pied une nouvelle plateforme dite électorale, « Ensemble pour le changement » sans l’UDPS/Tshilombo. Si ce n’est pas encore la guerre ouverte entre les deux hommes, cela ne saurait visiblement pas tarder.
Echaudé par les échecs de la politique de la chaise vide pratiquée par le parti sous la férule de son défunt père, Etienne Tshisekedi wa Mulumba, Félix Tshilombo Tshisekedi semble avoir résolument pris le parti de prendre part aux prochains scrutins à tous les niveaux. Pour les législatives de décembre prochain, l’UDPS/T a ainsi aligné 54 candidats parmi les meilleurs de ses cadres pour la seule ville de Kinshasa. Ce parti est aujourd’hui parmi les quelques rares à entreprendre une formation en règle des observateurs électoraux pour les prochaines élections, les mêmes que Katumbi entend plutôt voir purement et simplement boycottées par ses « vrais amis » à cause de sa non-participation du fait de ses ennuis avec la justice et de sa nationalité congolaise plus que douteuse.
Or, c’est de notoriété publique, peu au sein de la base électorale sensiblement tribale de l’héritier du défunt ‘lider maximo’ de l’UDPS/10ème rue sont disposés à voir Félix Tshilombo Tshisekedi revoir les ambitions familiales au ‘top job’ au profit de quiconque sur la terre des hommes. Les objectifs politiques des deux ex alliés divergent et s’opposent donc carrément, désormais. Et ce n’est pas uniquement en raison des problèmes qu’éprouve Katumbi à se présenter à la prochaine présidentielle.
Le week-end dernier, des sources crédibles dans les médias ont fait état d’échanges au vitriol entre Moïse Katumbi et Félix Tshilombo, le premier appelant le second à être « prudent » et à tempérer son engagement au processus électoral en cours. Katumbi et ses lieutenants éprouvent une peur bleue à l’idée que la participation de l’UDPS/Tshilombo aux prochains scrutins n’apporte de la crédibilité à ces élections auxquelles Katumbi n’est pas en mesure de prendre part. Face à la détermination de Tshilombo et son pré-carré à ne plus reculer, Katumbi distille à son habitude de l’intox contre son allié. On doit aux lieutenants bardés de diplômes universitaires du dernier gouverneur du Katanga le débat embêtant qui fait rage dans les réseaux sociaux et certains médias sur le cursus académique limité et les « faux diplômes » de Félix Tshilombo Tshisekedi. Mais aussi, c’est à venir incessamment assure-t-on, sur de prétendus engagements pris par le président de l’UDPS/Limete avec le pouvoir en place en vue de fonctions politiques juteuses après les élections.
Plus qu’une question de concessions réciproques entre candidats de l’opposition à la présidentielle de décembre 2018, le problème de la candidature unique de l’opposition semble totalement miné de l’intérieur par l’étendue des concessions à faire en échange des prébendes mirobolantes de Moïse Katumbi aux uns et aux autres. Pendant ce temps, méthodique et sans faire dans l’agitation, le rouleau-compresseur du front commun pour le Congo déroule sa stratégie consistant à ratisser large à l’interne dans une opinion congolaise de plus en plus excédée par les postures néocoloniales des mentors occidentaux de l’opposition. Pour conserver le pouvoir. Un exploit qui ne paraît pas hors de sa portée.
J.N.