Dans l’opinion publique en RD Congo, tout le monde le savait. Le camp du Président de la République sortant, Joseph Kabila, avait opté pour la divulgation le plus tard possible du nom de son candidat à la présidentielle du 23 décembre 2018. Ce n’était plus qu’un secret de polichinelle, la stratégie avait été vantée, notamment pour prévenir contestations et défections qui auraient fragilisé la famille politique kabiliste. Autant que pour décontenancer le plus possible des adversaires politiques également prétendants au top job.
Depuis le 7 août 2018, cependant, Joseph Kabila avait quasiment sonné l’hallali en convoquant ses partisans réunis au sein du Front Commun pour le Congo (FCC) à Kingakati discuter de l’alternance de décembre prochain. L’autorité morale de la nouvelle plateforme qui a vu la Majorité Présidentielle s’élargir à des nouvelles forces politiques et à des personnalités indépendantes, a lancé le train de son remplacement à la tête du pays en demandant que lui soient proposés 4 candidats par regroupement politique, selon les informations de la presse à Kinshasa.
Les discussions sur le choix du candidat du FCC se sont étendues sur plusieurs jours sans livrer leurs secrets. Jusqu’à quelques heures de la fermeture des bureaux d’enregistrements des candidatures, mercredi 8 août, l’oiseau rare, ainsi que l’avait désigné le porte-parole du gouvernement, Lambert Mende Omalanga, tardait à être connu. Et lorsque l’identité du PPRD Emmanuel Ramazani Shadary a été communiquée à l’opinion un peu autour de 14 heures le même jour, certains acteurs politiques, impatients, s’étaient jetés à l’eau. En jargon politique rd congolais, ce sont des victimes du “bal des chauves”, selon une expression héritée du jargon tshisekediste dans les années de lutte contre la dictature mobutiste. Elle signifie qu’à la longue, les faux chauves finissent toujours par se révéler tels qu’ils sont en réalité.
Chez les kabilistes, au chapitre des chauves ambitieux et pressés de prendre la place de l’autorité morale, c’est l’AFDC Modeste Bahati qui était attendu. Entre autres raisons, parce que le ministre d’Etat au Plan avait trahi quelque empressement à se présenter comme l’homme de la situation. Alors que les plus sages dans la famille politique prenaient le soin de renvoyer la balle à l’autorité morale du FCC, la désignant comme leur premier choix, selon des révélations de la presse. Mais jusque mercredi dernier, rien n’est venu de l’élu de Bukavu dont on susurre que le parti décimé par de notables départs parmi ses cadres, est plus que désossé à l’heure actuelle. «La majorité et le Front Commun pour le Congo sont soudés pour attendre les résultats qui viendra de la bouche du Président de la République. Nous sommes assez disciplinés. Celui qui sera choisi par le chef, c’est celui-là qui aura le soutient de tout le monde. Je suis le plus discipliné malgré tout ce qu’on peut vous dire», a prudemment déclaré Modeste Bahati à la presse, le 8 août 2018 dans la journée.
Mais ce ne fut pas le cas de tout le monde, ici. Pas celui l’ABCD (Alliance des Bâtisseurs pour un Congo Emergent) Tryphon Kin Kiey Mulumba. Le professeur de journalisme, patron de presse, ancien ministre de l’information sous Mobutu passé par la rébellion du RCD/Goma avant d’intégrer le gouvernement central en qualité de ministre de PT-NTIC, brûlait d’ambitions à la présidentielle plus que beaucoup de ses collègues de la Majorité Présidentielle. 1er vice-président d’une plateforme électorale qu’il dirigeait conjointement avec les anciens ministres Bulambo Kilosho et Athanase Matenda Kyelu, KKM, ainsi qu’on désigne le créateur de « Kabila Désir », un mouvement de soutien à Joseph Kabila non soutenu par le principal intéressé, a dribblé tout son beau monde. Mardi 7 août, cet unique élu national de son parti politique (circonscription de Masimanimba) s’est subrepticement glissé à la CENI où il a déposé son dossier de candidature à la présidentielle de 2018. La traîtrise a beaucoup gêné, principalement dans les rangs de l’ABCE où Bulambo Kilosho s’est empressé de désavouer le désormais ancien 1er vice-président de la plateforme électorale. Tandis qu’au sein de son propre parti politique, le PA (Parti de l’Action), Michael Sakombi, un des cadres, a carrément pris la porte. « C’est avec stupeur et désolation que j’ai appris par voie de presse, ce mardi 7 août 2018, le dépôt candidature à l’élection présidentiel du Professeur Tryphon Kin-Kiey Mulumba (…) à quelques heures du moment où le Front Commun pour le Congo sous le leadership du Président Josephh Kabila Kabange doit procéder démocratiquement à des choix cruciaux afin de donner à ce pays (…) un Président de la République … », se plaint Sakombi. Le jeune cadre du PA fait savoir que « dans ma jeune carrière politique, j’ai beaucoup appris auprès du Professeur Tryphon Kin-Kiey Mulumba notamment que la loyauté est la cuirasse qui ne faillit jamais. Je demeure donc loyal à ma famille politique, la Majorité Présidentielle et réitère mon engagement au Front Commun pour le Congo ». Le patron du PA et de KD (Kabila Désir) ne semble pas avoir pris la peine de discuter de son initiative avec ses proches, apparemment.
Kin-Kiey Mulumba n’est pas le seul allié de Joseph Kabila à se consumer d’ambitions inassouvis. Au Parti Lumumbiste Unifié (PALU) du patriarche Antoine Gizenga, où on s’est jusque-là gardé de rompre l’alliance conclue avec Joseph Kabila depuis 2006, Adolphe Muzito a pris le lourd parti de déposer sa candidature à la prochaine présidentielle. Sans l’accord du parti qui l’avait récemment suspendu pour vagabondage politique, entre autres motifs. Ceux qui prétendent que Antoine Gizenga est opposé à ma candidature doivent en apporter la preuve, a déclaré l’ancien premier ministre du gouvernement pour le compte du Palu à la presse. Peu avant que mercredi 8 août dans la journée, Lugi Gizenga, le fils d’Antoine Gizenga et secrétaire permanent du Palu, ne dépose la candidature du patriarche en personne. «Le patriarche est en forme pour diriger le pays », avait assuré à la presse ce cadre Palu, également porte-parole du « Vieux », par ailleurs « empêché ».
J.N.