La Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) a fait franchir au processus électoral rd congolais un cap supplémentaire, vendredi 25 mai 2018, avec la présentation et la publication du rapport d’audit du fichier électoral par les experts de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). Un travail appréciable et apprécié, qui s’il a dégagé les points forts du fichier audité (au nombre 10), n’en a pas moins souligné quelques points faibles (au nombre de 8). Le bon sens élémentaire plaide donc en faveur du travail abattu par la CENI dont le fichier comporte plus de points forts que de points faibles. Et les experts de l’OIF ne s’y sont pas trompés en le déclarant « inclusif, exhaustif et actualisé mais perfectible », ôtant ainsi tout prétexte de récusation aux acteurs politiques et autres parties prenantes habitués à monter les enchères pour des raisons qui échappent parfois à tout entendement.
La mission d’audit du fichier électoral rd congolais, conduite par le général malien Siaka Sangaré, a pris l’importante précaution de s’assurer du caractère inclusif et participatif des travaux entamés à Kinshasa le 6 mai 2018 en intégrant toutes les forces politiques intéressées au processus électoral en cours. « Le comité d’audit comprenait, en plus des membres de la mission d’audit de l’OIF, 7 membres désignés par la CENI, 22 observateurs répartis comme suit : 5 représentants des principaux mouvements politiques d’opposition, 5 de la majorité présidentielle, 7 représentants d’organisations de la société civile, deux représentantes d’organisations promouvant les droits des femmes et l’égalité femmes-hommes, un représentant de l’Union africaine, de la SADC, de la MONUSCO et un représentant de l’Union européenne », lit-on dans ce document (lire le texte intégral ci-après). Mais aussi, un expert électoral et juridique, un démographe et deux informaticiens spécialisés dans la constitution des fichiers électoraux. A 7 reprises, ce comité d’audit s’est réuni pour aborder, en profondeur, les éléments constitutifs du fichier et les dispositions entourant l’organisation des activités d’identification et d’enrôlement conduites de juillet 2016 à janvier 2018 par la centrale électorale rd congolaise.
Audit inclusif et participatif
« Chaque comité d’audit était organisé sous la forme d’une procédure contradictoire, permettant à toutes les parties d’interroger et d’informer les autres membres sur la constitution du fichier électoral national », assure encore le rapport lu vendredi dernier à Kinshasa en rappelant l’objectif visé par l’audit du fichier électoral : « apprécier l’intégrité et l’inclusivité des données collectées, à la lumière des instruments internationaux auxquels la RDC a adhéré au travers, notamment, de l’Organisation des Nations Unies, de l’Union africaine, de la Communauté de développement d’Afrique australe et de la Francophonie. L’audit a permis également de vérifier la conformité de l’application des textes de loi et réglementations nationaux ». Un objectif qui, selon toutes les apparences, diffère de celui poursuivi par les « experts » des partis politiques de l’opposition associés aux travaux d’audit.
Comme à la veille de la proclamation des résultats de la présidentielle 2006 remportée par le candidat Joseph Kabila Kabange, lorsque les délégués de l’opposition politique aux séances de certification des résultats progressivement proclamés avaient boycotté la séance annonciatrice de la somme des résultats collectés, les délégués de l’opposition ont boycotté la conférence de presse de présentation des conclusions du rapport d’audit, vendredi dernier. Pour des prétextes aussi farfelues que les uns que les autres, mais qui tous concourent au retardement du processus électoral. « C’est le contraire qui aurait étonné de la part d’une opposition éternellement en panne de propositions alternatives et constructives. C’est pour chercher la petite bête qu’ils ont pris part à cet audit », confie cet activiste des droits de l’homme qui a, lui aussi, pris part aux travaux pour le compte de la société civile.
Enrôlés sans empreintes, pas enrôlés sans photographies
Sur la radio onusienne Okapi, captée samedi 26 mai 2018, Eve Bazaïba, la secrétaire générale du Mouvement de Libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba, s’est improvisée experte en matières électorales en décrétant que seulement 77 % de congolais avait été bien enrôlés en bonne due forme conformément à la loi. « Les 23 % autres parmi lesquels 16,6 % qui constituent environ 6.600.000 électeurs ont été enrôlés sans empreintes digitales. 4,9 % de Congolais ont été enrôlés sans la carte d’identité. D’autres Congolais ont été enrôlés avec un ou deux doigts d’empreintes et d’autres l’ont été sans fiches », a déclaré en substance Bazaïba, avant de soutenir que l’opposition avait exigé l’invalidation pure et simple de ce qu’elle qualifie d’« enrôlements irréguliers ». Même son de cloche de la part du député Mayo Mambeke, N°2 de de l’UNC de Vital Kamerhe, pourtant juriste de formation, qui a affirmé lui aussi sur les antennes des radios périphériques que le travail abattu par la CENI avait été « bâclé » en raison de « la présence de ces enrôlés sans empreintes digitales ».
Sur cette question comme sur d’autres sur lesquelles l’opposition politique rd congolaise s’est illustrée par son extraordinaire ignorance (ici des faits électoraux), les enrôlés sans empreintes digitales sont présentés comme des électeurs anonymes et fictifs, alors qu’il n’en est rien. « Les empreintes digitales ne représentent qu’un des critères d’identification d’un électeur parmi beaucoup d’autres, principalement la photographie, la pièce d’identité présentée à l’enrôlement, ou encore la fiche d’enrôlement », a expliqué à nos rédactions Jérôme Bonso, président de la Ligue nationale pour des élections libres et transparentes (LINELIT) pourtant réputé proche de l’opposition. Qui a ajouté que la loi permettait l’enrôlement d’électeurs sans empreintes digitales, il n’y a donc rien d’irrégulier ni d’illégal, contrairement aux rodomontades des Bazaiba, Mayo ou encore Fayulu qui sont extrêmement sujettes à caution, naturellement. Plus nuancé, le rapport d’audit des experts de l’OIF est plus crédible lorsqu’il assure que « si 77% des électeurs ont les empreintes de leurs dix doigts enregistrées dans la base de données, 6% ont enregistré des données partielles entre 1 et 9 doigts, et 16,6% ont été enregistrés sans empreintes. Cette situation est favorisée par la possibilité offerte au président du centre d’inscription de valider l’inscription sans cet élément, sans pour autant avoir suffisamment encadré ce dispositif dérogatoire. Cet état de fait ne remet pas pour autant en cause la validité de la procédure et la qualité des électeurs inscrits ».
Irresponsabilité occultée des opposants
Les acteurs politiques de l’opposition rd congolaise semblent décidément avoir choisi de verser dans une fuite en avant qui, aux yeux de certains observateurs, voile leurs propres irresponsabilités et turpitudes : le fichier audité a souffert du manque de dynamisme dans le contentieux de listes électorales en amont, faute de la présence d’observateurs de l’opposition et de la société civile au processus d’enrôlement des électeurs, selon l’OIF. Les experts de l’organisation internationale se fondent sur le fait que le cadre juridique relatif à l’enrôlement a permis de renforcer le droit à un recours effectif. « La mission d’audit regrette la très faible implication des partis politiques et de la société civile, en proportion du territoire national et ce, tout au long des opérations d’enrôlement. Leur rôle crucial, notamment pour dynamiser le contentieux des listes aurait pu être bénéfique au processus. Ainsi, seuls 980 observateurs et 572 témoins des partis politiques ont été accrédités, selon les données de la CENI. Leur proportion au niveau national ne représente que 0,1% des centres d’inscription », écrivent en substance le Général Siaka Sangaré et ses collègues.
Encore qu’en se focalisant sur le seul problème d’enrôlés sans empreintes digitales, l’opposition tente d’occulter de nombreuses autres qualités du fichier électoral rd congolais. Les conclusions rendue publiques vendredi dernier renseignent, par exemple, que «la population enrôlée a augmenté de 30,1% par rapport à celle de l’exercice 2010-2011, soit une croissance moyenne annuelle de 4,5%, correspondant à une évolution traditionnelle des populations électorales en Afrique subsaharienne. Le taux d’enrôlement de la population estimée est de 90,2% avec des disparités entre provinces allant de 69,3% au Kasaï oriental à 118,5% dans l’Equateur. Les dix provinces dépassant 100% d’inscriptions estimées ont connu, pour la plupart d’entre elles, des mouvements migratoires récents, non pris en compte dans les estimations des populations électorales. Le fichier électoral est globalement représentatif de la population en âge de voter de la RDC. Sa répartition par province est proportionnelle au poids démographique des entités territoriales établies à partir des projections ». C’est déjà mieux, beaucoup mieux qu’en 2006 et en 2011, selon ces experts.
Saluant le travail des experts de l’OIF, vendredi dernier à Kinshasa, Corneille Nangaa Yobeluo, a confirmé la tenue des scrutins électoraux le 23 décembre 2018, comme prévu. Le président de la CENI a également assuré que les enrôlés sans empreintes « ne seront pas radiés du fichier électoral car la loi leur donne la possibilité de voter. L’empreinte digitale n’impacte pas sur le vote lui-même. C’est plutôt la photographie qui impacterait le plus le vote. L’empreinte digitale est une donnée qui a été mise dans la base des données juste pour vérification ». Point à la ligne et cap vers l’étape suivante du processus électoral qui prévoit la convocation de l’électorat le 23 juin 2018.
Selon le calendrier électoral rendu public le 5 novembre dernier, la CENI procède depuis le 9 mai 2018 à la mise à jour du logiciel d’enregistrement des candidats aux scrutins de décembre prochain. Le conditionnement du matériel et des équipements de travaux des bureaux de réception et de traitement des candidatures (BRTC) est, lui aussi, en cours depuis le 19 mai 2018, tandis que la centrale électorale a, dans un communiqué rendu public il y a quelques semaines, battu le rappel des troupes de ses anciens agents dans le cadre des formations et du déploiement des matériels qui seront lancées du 6 au 22 juin prochains. L’impression, le déploiement et l’affichage des listes électorales est prévu pour s’étendre du 27 mai au 7 décembre 2018.
J.N.
AUDIT DU FICHIER ELECTORAL TXT