Des signaux qui ne trompent que ceux qui refusent d’ouvrir les yeux. Au terme d’un séjour en RD Congo la semaine dernière, la procureure de la Cour Pénale Internationale (CPI), Fatou Bensouda, a rencontré différentes autorités de la RD Congo ainsi que des délégués de l’opposition politique. La juriste gambienne a ainsi eu des entretiens avec la ministre rd congolaise en charge des Droits de l’homme, Marie-Ange Mushobekwa, mais aussi le président de la République, Joseph Kabila. Des acteurs politiques de l’opposition, qui ont fait croire à l’opinion que la procureure se rendait à Kinshasa pour condamner le gouvernement en place, ont eux aussi eu droit à une audience. Mais en sont sortis plutôt déçus. Toutes les déclarations de Fatou Bensouda au sujet du respect des droits de l’homme et des crimes perpétrés en RD Congo indiquent que la CPI se veut impartiale et poursuivra les responsables des crimes qui relèvent de sa compétence, quels qu’ils soient. « La lutte contre l’impunité et la nécessaire prévention des crimes relevant du Statut de Rome de la CPI sont primordiales pour la stabilité sociale », a notamment déclaré Fatou Bensouda. Mais aussi que « Je viens de conclure ma visite en République Démocratique du Congo. J’ai eu des entretiens fructueux avec le Chef de l’Etat, SE Monsieur Joseph Kabila, et les autorités politiques et judiciaires congolaises sur des sujets aussi importants que les violences commises dans le pays, l’état d’avancement des procédures judiciaires nationales, la coopération et les activités de mon Bureau. Je me suis également entretenue avec des représentants de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (la CENCO), de partis politiques, de la société civile, de médias et d’autres partenaires, et avons abordé des questions liées à la situation en RDC et aux activités de mon bureau ». Les préoccupations de la CPI ont, elles aussi, clairement été expliquées. Elles tournent autour des « … épisodes de violence rapportés en particulier à Kinshasa, à Beni, dans les provinces des Kasai et dans d’autres parties du territoire … qui pourraient constituer des crimes relevant de la compétence de la Cour Pénale Internationale ». Aucun des responsables des crimes commis n’est donc à l’abri des poursuites de la CPI, les commanditaires des troubles et des tueries, comme les autorités politico-administratives.
Particulièrement menacés
Néanmoins, auteurs et commanditaires présumés des crimes en RD Congo autres que les autorités et responsables politiques en place sont particulièrement menacés, quoique prétendent les acteurs politiques de l’opposition et de la société civile qui leur est proche. Parce que conformément au Statut Rome qui crée la CPI, ce sont les autorités rd congolaises qui ont la responsabilité de diligenter des enquêtes préliminaires sur lesquelles la CPI fondera ses poursuites. La procureure de la cour a été claire, à ce sujet aussi : « J’ai alors demandé aux autorités congolaises de prendre toutes les mesures nécessaires pour que des enquêtes véritables soient menées afin de faire la lumière sur les violences alléguées et de traduire en justice tous les acteurs impliqués dans leur perpétration. C’est en effet la responsabilité première des autorités nationales de mener des enquêtes véritables pour faire la lumière sur ces allégations, comme cela est prévu dans le Statut de Rome ratifié par la RDC ». Expliquant qu’il est « essentiel que des procédures nationales effectives soient menées contre les responsables de tels crimes qui ont troublé cette stabilité. Les appels des nombreuses victimes pour que justice leur soit rendue doivent être entendus ».
Soutien aux efforts gouvernementaux
A Kinshasa, la CPI est donc venue soutenir les efforts du gouvernement visant à mettre un terme à l’impunité dont jouissent des acteurs politiques commanditaires de crimes qui tournent autour de troubles sociaux à divers degrés. Au cours d’un point de presse, le 26 janvier 2018, le président de la République avait déjà dénoncé cette impunité caractéristique de la vie politique rd congolaise depuis l’aube des indépendances, en dénonçant la minimisation des crimes commis, notamment dans les provinces kasaîennes. « Pendant la conférence organisée à Kananga, j’avais posé la (…) question aux chefs coutumiers. Même réponse : « Monsieur le président, on avait déjà connu cette situation, pas seulement en 1959 mais aussi en 1960-1961, et c’était grave, dramatique. La solution qu’on avait trouvé, c’était une cérémonie traditionnelle ». Bref, que ce soit en 1959 ou en 1960-61, ma lecture, c’est qu’il y avait impunité, et cette impunité a poussé des gens, une fois de plus, à faire la même chose espérant que l’Etat agisse de la même façon. Cette fois-ci, la réponse est catégorique dans le sens que la justice doit s’en occuper », avait déclaré Joseph Kabila à l’occasion d’une de ses rares prestations médiatiques. Les instigateurs des crimes ignobles et instrumentalisés des provinces kasaiennes, parmi lesquels au moins un député national parti en exil depuis, Clément Kanku, seront donc poursuivis par la CPI, quelque que soit le lieu où ils se terrent.
Beni-Butembo et les provinces Kasaiennes
Les crimes commis contre des civils innocents dans la région de Beni Butembo devraient, aux aussi, entraîner des poursuites nationales et internationales contre leurs auteurs directs et indirects. Au cours d’un entretien avec les députés de la majorité présidentielle, le Chef de l’Etat avait recommandé une enquête parlementaire indépendante sur le phénomène ADF. Elle s’ajoute aux procès organisés par la justice militaire à Beni et ses environs, ainsi qu’aux enquêtes d’experts, particulièrement ceux de l’ONU. Qui épinglent noir sur blanc la responsabilité d’acteurs politiques et sociaux locaux dans les massacres récurrents dans la région. Et particulièrement, la responsabilité des Nyamuisi, Muvingi (déjà décédé) et Mbusa (en exil entre la Tanzanie, le Kenya et l’Ouganda) dans l’entretien des rébellions qui écument la région depuis les années ’80.
La crédibilité et la survie de la CPI et du tribunal international de la Haye dépendent aussi de la diligence à mettre dans l’éradication de l’impunité en RD Congo. Très critiquée notamment parce qu’elle semble inopérante contre les crimes commis hors du continent, la CPI a vu de nombreux pays menacer de s’en retirer. Les observateurs notent qu’en Afrique, l’instance judiciaire internationale perdrait énormément si un pays contient comme la RD Congo s’en retirait. Et de ce fait, a tout intérêt à lui assurer sa plus franche collaboration. Poursuivre les auteurs des crimes contre l’humanité maquillés en crimes politiques y contribuera. Les Mbusa Nyamuisi, Clément Kanku et autres seigneurs de guerre à l’instar de Thomas Lubanga ne devraient pas lui échapper. « J’ai longuement échangé avec les autorités nationales sur la situation actuelle dans le pays ainsi que sur l’état d’avancement des enquêtes et des poursuites nationales contre les auteurs présumés des actes criminels commis en RDC. Des progrès sont réalisés par les autorités congolaises dans la lutte contre l’impunité. Nous en avons fait le constat y compris dans les échanges que mon Bureau a régulièrement avec les autorités nationales compétentes. Je me félicite donc de ces efforts. J’encourage les autorités à les renforcer de sorte que tous les responsables des crimes atroces allégués de tous bords répondent de leurs actes devant la justice. Mon Bureau va continuer à interagir dans le cadre d’évaluations et de renforcement continus des capacités et des procédures nationales avec les autorités congolaises et d’autres partenaires pertinents, en conformité avec le principe de complémentarité », a encore déclaré Fatou Bensouda.
J.N.