« Dégager les médiocres », nouvelle eschatologie d’un prince de l’église, calife à la place du calife.
Ce qui ne l’était pas encore vraiment, sous l’ère Mobutu particulièrement, l’est tout à fait aujourd’hui en RD Congo : un hiérarque de l’église catholique romaine locale en fin de carrière a décidé de se recycler dans l’arène de la politique politicienne. Sans états d’âme. Une réalité demeurée l’affaire de quelques initiés, mais qui n’a pas échappé aux fins observateurs de la scène publique du pays de Lumumba. Si le rôle joué par le clergé catholique pour «adoucir » l’œuvre colonisatrice controversée du roi Léopold II est aujourd’hui de notoriété publique, l’adaptation-tropicalisation du même rôle dans la période qui a suivi les indépendances africaines était jusque-là comme demeurée en sourdine, malgré ces soubresauts révélateurs que furent, par exemple, le conflit entre feu le cardinal Malula et le président Mobutu en République du Zaïre : depuis les temps immémoriaux, l’église catholique romaine plus que toute autre confession religieuse revendique une sorte de droit de préemption, voire, de gestion politique de ce pays dont ses précurseurs de l’époque coloniale partagèrent la responsabilité avec les autres composantes de la tristement célèbre « trinité coloniale » – l’administration coloniale adossée sur sa force publique et les sociétés à charte – et ce, malgré la laïcité proclamée par toutes les constitutions qui ont régi les institutions publiques congolaises – zaïroises depuis 1960. Comme au temps de l’accession à la souveraineté nationale et internationale du Congo ex-Belge, combattue et dévoyée par les anciennes puissances colonisatrices, la laïcité de la RD Congo fait l’objet d’assauts permanents de nombre de membres du clergé et des princes de l’église de ce pays qui n’ont jamais, à ce qu’il paraît, fait le deuil de leur « mission civilisatrice », pompeusement rebaptisée aujourd’hui « mission prophétique » (!). On n’attrape les mouches qu’avec du miel…
L’église rue sur les brancards
Les derniers remous socio-politiques à Kinshasa et dans quelques provinces de la RD Congo en témoignent : certains ecclésiastes sont résolument montés à l’assaut du pouvoir politique. Pas besoin de remuer ciel et terre pour s’en convaincre. Ainsi en réaction à la dernière prestation médiatique du Chef de l’Etat rd congolais, Joseph Kabila, le porte-parole de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO), a cru devoir répliquer sur les ondes des radios périphériques occidentales que « la vie du peuple congolais appartenait à Dieu » (sic !). L’abbé Donatien Nshole, neveu du cardinal Laurent Monsengwo, a expliqué à nos confrères RFI que cette sorte de droit que son oncle a décidé d’exercer dorénavant envers et contre tout remontait en fait au… Pape Benoit XVI qui « disait que l’Eglise doit être présente là où la population souffre. C’est le cas en RDC. Et c’est la crise socio-politique qui a accentué cette souffrance, donc c’est tout à fait normal que les évêques travaillent pour la consolidation de la démocratie », poursuit-il. Ce que d’aucuns au sein même de l’église catholique congolaise tiennent pour un dangereux exercice de sophisme : « les souffrances des Congolais remontent à bien loin ; l’abbé Nshole passe trop facilement l’éponge sur la traite négrière et la colonisation, œuvres dévastatrices au cours desquelles l’église ne s’est nullement rangée du côté des opprimés », rappelle sobrement à nos rédactions ce prêtre universitaire de Kinshasa qui insiste sur un devoir de pénitence et de modestie de la part de ceux qui représentent cette confession religieuse « alliée privilégiée des auteurs de l’esclavage et d’une des pires colonisations que l’Afrique noire ait connu ».
A Monsengwo ce qui est César ?
Joseph Kabila avait déclaré, quelques heures plus tôt au cours d’un point de presse à Kinshasa, qu’il seyait de « rendre à César ce qui est à César », en réaction à la propension manifeste du chef de la juridiction catholique de Kinshasa à s’immiscer plus qu’activement dans les querelles politiciennes en prenant bruyamment parti pour les uns contre les autres. Pour notre interlocuteur, « c’est un aveu malheureux et révélateur », que cette saillie de l’abbé Donatien, que le népotisme du primat de l’église de la capitale a porté fort opportunément aux fonctions de secrétaire général – porte parole de l’épiscopat congolais pour relayer efficacement ses thèses. Le prélat qui a ôté masque, soutane, et bible dans son combat contre le pouvoir en place en RD Congo, selon cet analyste, intellectuel catholique est véritablement sorti du bois et « cause de graves dommages à l’église dans son ensemble », estime-t-il. « Si la vie du peuple congolais, comme celle de tous les peuples du monde, est sensée appartenir à Dieu, il n’est prescrit nulle part, même pas dans les Saintes Ecritures, que la gestion au quotidien de cette vie nous revienne à nous, serviteurs de Dieu au sein de l’église catholique », se plaint-il plus qu’il ne rétorque à l’homme de Dieu. « Autrement, ce seraient prêtres et évêques qui seraient aux commandes des affaires de la RD Congo et du monde », ajoute-t-il. De l’avis de cet ecclésiaste qui revendique son appartenance au courant dit de la dissidence novatrice au sein de l’église catholique en RD Congo, les cléricaux comme le cardinal Monsengwo et l’abbé Nshole trahissent « une fâcheuse tendance à tourner les affaires politiques en prestations miraculeuses et le discours politique en pieux sophismes ».
Miracles politiques, politique des miracles
Les dernières évolutions politiques en RD Congo sont comme indélébilement marquées par la sorte de « catholicisation » de la vie politique qui tente de placer les princes de l’église, tout au moins certains parmi eux, au sommet de l’édifice politique ou faire d’eux des censeurs chargés d’indiquer la voie à suivre. Si le point culminant de l’activisme politique des religieux à Kinshasa consiste en ces marches insurrectionnelles pour rendre effectif le « dégagement des médiocres » (!), en faveur de ceux qui font allégeance aux intérêts (généralement étrangers) auxquels ils sont associés, les contorsions des calottes sacrées remontent à plusieurs années et se sont traduites par une multitude d’exhortations intitulées « lettres aux chrétiens catholiques et aux hommes de bonne volonté ». En fait des messages plus politiques que pastoraux. Avant qu’un quarteron de jusqu’auboutistes autour de Monsengwo ne se jette carrément dans la mêlée, longtemps avant le dialogue dit du centre catholique interdiocésain de Kinshasa au dernier trimestre 2017, « facilité » par les malicieux cléricaux-politiciens qui n’avaient pas fait mystère de leur volonté d’appliquer un « plan B » si leurs prétentions ne rencontraient pas l’assentiment de la classe politique au pouvoir…
Car lors du dialogue qui avait précédé celui du centre interdiocésain de Kinshasa, celui que le médiateur international désigné par l’Union Africaine, Edem Kodjo présida à la Cité de l’OUA, la CENCO était bien là, représentée par Donatien Nshole qui avait pris part aux travaux pour mieux les torpiller prenant le prétexte des manifestations violentes organisées par l’opposition radicale les 19 et 20 septembre 2017. Le volubile secrétaire de l’épiscopat ne s’était pas contenté de condamner les incidents qui avaient provoqué la mort d’au moins 19 personnes. Il avait annoncé avec fracas le retrait de l’église catholique des assises, une façon de déposséder la très respectée Union Africaine de cette initiative, au motif, entre autres, que l’inclusion n’y épousait pas la perfection des œuvres dignes de Dieu le Tout Puissant ! « Par respect pour les morts de ces malheureux événements, dans un élan de solidarité avec les familles éprouvées et le peuple congolais tout entier, la CENCO a suspendu sa participation au dialogue politique national inclusif pour faire le deuil des personnes tuées. Elle conditionne la reprise des travaux suspendus par la signature d’un accord politique comprenant des dates fixes de la convocation de l’électorat et du scrutin présidentiel, le plan de décaissement de fonds devant être alloués au processus électoral, la composition d’un comité de mise en œuvre dudit accord et un consensus plus large », expliquait le communiqué qu’il avait rendu public à cet effet. Les évêques (im)posaient ainsi déjà leurs « conditions ».
Assauts contre la laïcité
En réalité, il n’y avait que la frange de l’opposition tshisekediste-katumbiste, circonvenue par les libéraux au pouvoir en Belgique, ancienne puissance coloniale de la RDC, qui avait pointé absente à ces travaux. Les manipulateurs à la manœuvre chez les catholiques se sentaient manifestement à l’étroit dans la pointure de « composante religieuse » parmi d’autres dans la vaste société civile rd congolaise. « La CENCO donne l’impression de se sentir comme noyée dans une foule anonyme de gens sans importance aux yeux de ses principaux animateurs », confiait au Maximum un membre du Comité de l’Apostolat des Chrétiens Catholiques (CALCC), qui avait pris part dialogue de la Cité de l’OUA.
Quelques semaines avant le démarrage, le 1er septembre 2017, des travaux du dialogue politique proprement dit (ainsi qu’on avait nommé ces assises), les prélats catholiques avaient bien tenté leur va-tout en cherchant à se substituer au sémillant Edem Kodjo, ancien secrétaire général de l’Union Africaine, modérateur désigné par le continent. Le 10 août 2017, Marcel Uthembi, le président de la CENCO, avait initié une rencontre mettant face à face le diplomate togolais et le groupe dit des 7 partis anti-kabilistes, le G7, une plateforme créée quelques mois plus tôt par Moïse Katumbi Chapwe. Objectif déclaré de la tripartite qui réduisait l’envoyé spécial de l’UA au rang de partie au conflit : concilier les vues des uns et des autres. « Les évêques s’engagent pour parler à la classe politique du bien-fondé de la tenue du dialogue qui se veut inclusif, appelant les fils et filles du pays à inclure le processus du dialogue dans la prière pour que le Seigneur conduise le peuple congolais sur la bonne route », expliqua onctueusement l’abbé Nshole. On apprendra qu’en fait, les évêques et leurs complices du G7 avaient purement et simplement suggéré au Togolais de démissionner en leur faveur « pour donner une chance aux négociations », mais l’ancien secrétaire général de l’OUA ne s’en laissa pas conter. Interrogé par la presse, Kodjo, fulminant de rage contenue, déclara que les ambassadeurs africains accrédités en RD Congo ainsi que des représentants des partis politiques et des regroupements de la société civile lui accordaient leur confiance et qu’il ne démissionnerait pas parce qu’il avait une mission à lui confiée par l’Union Africaine.
Bourgeoisie cléricale, bourgeoisie compradores
Par mesure de rétorsion et pour faire plier l’envoyé spécial de l’organisation continentale, lorsque les travaux du dialogue de la cité de l’OUA reprirent, fin septembre 2017, les évêques catholiques s’abstinrent d’y prendre part. Ils le firent savoir en montant, pour ainsi dire les enchères et, passant du coq à l’âne, exigèrent, on ne sait trop pourquoi du président Joseph Kabila « un engagement à ne pas se présenter pour un troisième mandat consécutif » à la prochaine élection présidentielle alors que tel était la lettre et l’esprit de la constitution que ce dernier n’avait jamais tenté de réviser. « Ce sont les fondamentaux », expliqua Mgr Marcel Uthembi, le président de la CENCO, à la presse. Ils sont demeurés inchangés, ces fondamentaux. Mais le noyau dur autour du cardinal Monsengwo et son factotum Nshole ont radicalisé leur attitude en prenant fait et cause pour la frange extrémiste de l’opposition politique qui prône une période de « transition sans Kabila » à la tête du pays, en totale violation de la constitution qui prévoit que même en cas de non organisation des élections dans les délais prescrits (force majeure), le président en exercice reste en fonction après la fin de son mandat jusqu’à l’installation du nouveau président élu.
Début décembre 2017, ce sont les mêmes évêques qui offrirent au président Joseph Kabila de « tenter de réconcilier les signataires et les non-signataires de l’accord politique de la cité de l’OUA pour élargir l’assiette du consensus politique, grâce à l’organisation de nouvelles négociations au centre interdiocésain de Kinshasa ». Le projet relevait du miracle : réconcilier les acteurs politiques de la RD Congo ? Nul n’y était parvenu depuis les lendemains de la désormais célèbre « Table Ronde » de Bruxelles en 1959. Uthembi et ses collègues prenaient le pari de relever le défi. Joseph Kabila leur en donna l’occasion en acceptant de leur confier une mission de bons offices en sa qualité de garant du bon fonctionnement des institutions de la République.
Les nouvelles assises aboutirent, in extremis, à la signature du désormais célèbre Accord politique du 31 décembre 2016, dit Accord de la Saint Sylvestre, dans la nuit du réveillon du nouvel an 2017. En attendant une entende des signataires sur les mesures d’application de l’accord signé quelques jours plus tard. Leurs excellences avaient cru marcher allègrement sur un important passage des saintes écritures, celui sur « la tour de Babel », qui peint si divinement l’homme social et politique. L’accord tant vanté de la Saint Sylvestre ne fut en réalité qu’un retentissant… désaccord parce qu’il cherchait un impossible consensus axé sur une réduction inconstitutionnelle des pouvoirs du Chef de l’Etat en fonction avant l’élection de son remplaçant à la tête du pays, comme le stipule la constitution (article 70, alinéa 2) que les concertateurs avaient préalablement convenu de respecter. L’élargissement du consensus visé par les calottes sacrées catholiques s’avéra donc un échec cuisant, parce que la mésentente entre les signataires et les non-signataires de l’accord de la cité de l’OUA a subsisté et s’est même radicalisée en se muant, moins d’un trimestre plus tard en une exigence naïve d’une période de transition sans Joseph Kabila.
Dialogue de Babel
Trois mois plus tard, après une nouvelle tentative de rapprochement des protagonistes, les évêques catholiques ont jeté l’éponge. Avant de se lancer en juin dernier dans une nouvelle aventure politique qui releve du miracle, elle aussi. Contre Joseph Kabila et sa majorité au pouvoir cette fois-ci, carrément. A la clôture de leur 54ème assemblée plénière, les prélats rendirent public un message évocateur de leurs desseins immédiats et un appel au Jihad : « Le Pays va très mal. Debout, Congolais ! ». Le parti pris clérical en faveur des radicaux de l’opposition politique y a pris les traits d’une … communion parfaite avec l’appel à une période de transition sans Joseph Kabila. Au miracle de la réconciliation des protagonistes de l’arène politique nationale, qui s’était avéré impossible, se substituait le miracle de l’organisation d’une période de transition politique sans Joseph Kabila, à contrario des normes de la constitution, sans toute autre institution. C’était le fameux « plan B » dont la menace avait été brandie quelques mois plus tôt par la tonitruant vice-président de la CENCO, Mgr. Fridolin Ambogo. Un véritable saut … miraculeux dans l’inconnu et l’insondable résumé par le Cardinal-archevêque de Kinshasa en quelques mots : « les médiocres doivent dégager ».
Seulement, non sans réalismen Aubin Minaku, le speaker PPRD de la chambre basse du parlement rd congolais, a donné la réplique à l’homme de Dieu : “on dégage un ballon. On ne dégage pas un pouvoir“. Parce que des aventures de « dégagement » de tenants de pouvoir en RD Congo, l’histoire en retient quelque chose. Notamment, que pour « dégager » un dictateur finissant comme le défunt Maréchal Mobutu, l’alors archevêque métropolitain de Kisangani et ses amis de l’opposition s’y étaient mis sans succès de 1990 à 1997. Soit la durée de tout un mandat présidentiel plus 2 ans supplémentaires. Quelles chances accorder au miracle politique reporté des princes de l’église catholique romaine en RD Congo ?
J.N.