Le 31 décembre 2017, Kinshasa est passée à côté d’une hécatombe, selon les experts en matière de sécurité. Dans une mégapole de 13 millions d’habitants selon des estimations, qui s’étend sur quelque 9.965 km2, tenir une marche qui parte dans tous les sens à partir de 160 paroisses de l’église catholique sans itinéraire équivaut à téléguider une indescriptible chienlit avec débordements garantis. Et à s’assurer qu’un carnage en résultera. C’est pourtant l’opération organisée par un Comité Laïc de Coordination (CLC) sorti de nulle part avant de recevoir l’onction irrégulière (car contraire au prescrit de l’accord-cadre entre le Saint Siège et la RDC) du Nonce Apostolique en poste à Kinshasa, plusieurs jours après les événements du 31 décembre dernier.
Des points de départ de manifestations éparpillés en 160 endroits, « la stratégie n’était plus catholique, elle était militaire », explique au Maximum cet ancien de l’Armée de Libération du Congo (ALC), l’aile militaire du Mouvement de Libération du Congo de Jean-Pierre Bemba, qui passe le plus clair de son temps à dévorer des ouvrages sur la guerre insurrectionnelle depuis sa réintégration dans les Forces Armées de la République du Congo en 2003. La réplique des forces de sécurité fut du même acabit manifestement, puisqu’elle a réussi à empêcher 160 paroisses catholiques de Kinshasa de se transformer en rampes de déferlement de grappes humaines vers nulle part et partout à la fois. 134 paroisses avaient été encerclées et isolées depuis les petites heures de la matinée par les forces de l’ordre, 2 célébrations eucharistiques perturbées et 5 autres interrompues. C’est le bilan rendu public par la Nonciature apostolique qui était manifestement dans le coup quoiqu’elle s’en défende. En fait les chrétiens n’ont pas répondu massivement à l’appel à l’anarchie de l’archevêque de Kinshasa. La note technique de la Nonciature Apostolique de Kinshasa datée du 3 janvier précise que seules 18 paroisses avaient été envahies par la police et 10 messes perturbées par des grenades lacrymogènes pour calmer l’agitation qui y avait élu domicile.
25 millions d’Euros en jeu
Plus de 3 ans après « l’insurrection » populaire qui a balayé le régime de Blaise Compaoré au Burkina Faso en octobre 2014, la stratégie astucieuse qui consiste à glisser commandos et autres forces spéciales au milieu de foules agglomérées pour se charger de sales besognes ne tient plus la route. Kinshasa a éteint le feu dans ses foyers, ainsi que s’en est réjoui le porte-parole de la police dans la capitale rd congolaise, le Général Sylvano Kasongo. « Nous avons limité les dégâts », avait-il expliqué à Jeune Afrique.
Néanmoins, le risque pris de part et d’autre fut de taille. Et les langues commencent à se délier. Des sources crédibles rapportent que ce sont bien 25 millions d’Euros que les libéraux au pouvoir en Belgique ont mis en jeu pour financer l’opération confiée entre des mains sûres : celles du Cardinal Laurent Monsengwo à qui il aurait été promis par ailleurs la haute direction d’une période dite de transition sans Joseph Kabila. Mais les financiers de l’opération qui devait se solder par un nombre suffisant de « macchabées » susceptibles d’entraîner la réaction ou l’intervention des puissances occidentales, ont sous-estimé la promptitude et le professionnalisme des forces de l’ordre rd congolaises (ce ne sont plus les Forces Armées Zaïroises mobutistes en lambeaux des années ’90) autant que les contradictions propres à l’église catholique elle-même.
Statistiques prématurées et erronées
Avant la fin de cette manifestation qui n’en finissait pourtant pas de commencer, les médias dits mondiaux, France 24, Tv5 monde, BBC, RFI, VOA, s’étaient lancés dans une course effrénée aux bilans macabres. Dans la presse écrite, nos confrères de la Libre Belgique se sont montrés particulièrement zélés en prévenant dès le 30 décembre en « mettant en garde » le pouvoir de Kabila : « La Monusco appelle les autorités congolaises à reconnaître le droit de manifestation et la liberté d’expression qui sont inscrits dans la constitution congolaise … » et prévenait qu’« …en cas de répression par les autorités, la communauté internationale ne pourra que sévir envers les autorités congolaises ». C’est donc sans trop surprendre que Hubert Leclercq annonçait des « tirs à balles réelles et de gaz lacrymogènes dans les églises » dès les premières éditions du quotidien belge, le 31 décembre. Avant de révéler la présence « des civils en armes à côté de militaires qui parlent anglais », sans doute parce qu’il ignore que même en Tanzanie, pays anglophone qui forme certaines unités des Forces armées de la RDC depuis quelques années les militaires parlent quasi exclusivement… swahili !
Même le très sérieux quotidien français Le Monde a versé dans la soupe de la confusion statistique prématurée du 31 décembre 2017 en annonçant, à la suite de l’AFP, « au moins huit morts dans la répression des marches anti-Kabila en RDC ».
Contradictions cléricales
Par prudence ou par orgueil, les observateurs sont partagés sur la question, le Cardinal Monsengwo s’est gardé de piper mot sur le pactole belge destiné à assurer l’organisation de la manifestation du 31 décembre dernier. L’Archevêque de Kinshasa a ainsi préféré utiliser une structure informelle, le CLC (plutôt que le Comité de l’Apostolat des Chrétiens Catholiques, CALCC qui relève de la Conférence Episcopale Nationale du Congo sur laquelle il n’a pas autorité) pour faire déferler les fidèles catholiques sur les rues de Kinshasa et de la RD Congo le 31 décembre dernier. L’affaire n’a pas arrangé toutes les calottes sacrées au sein de la CENCO, beaucoup parmi les évêques ont refusé de suivre le mouvement et d’obtempérer aux instructions d’une structure informelle kinoise. D’autant plus que la manifestation de Kinshasa avait été présentée à certains princes de l’église comme l’expression de la haine que « le Cardinal kinois voue à un pouvoir swahiliphone venu de l’Est ».
Pas certain que les prochaines manifestations ne subiront pas le même sort.
J.N.