Trois réactions différentes des catholiques pour justifier une manifestation qu’ils n’auraient pas organisée : la discordance crève les yeux.
La marche dite « des chrétiens » organisée à l’appel du Comité Laïc de Coordination (CLC), dimanche 31 décembre 2017 aura échoué parce qu’elle n’a simplement pas eu lieu. Ce n’est plus un secret, les responsables des services de police ont expliqué avoir préféré limiter les dégâts qu’aurait entraîné un déferlement incontrôlable de dizaines de milliers de manifestants sur les artères des principales villes du pays. Les manifestants ont été contenus de gré ou de force dans les enceintes de leurs paroisses ou dispersés par les forces de police qui ont usé des seuls moyens pour ce faire : des tirs de gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc, y compris à l’intérieur des lieux des cultes, selon des témoignages que personne n’a officiellement démentis, du reste. « Les prêtres catholiques avaient introduit la politique au sein des mêmes lieux en mettant à contribution les cloches de l’église contre le pouvoir politique avant que la police ne les investissent. La profanation est partie des curés eux-mêmes », déplore ce fidèle de la paroisse St Michel de Bandal, auteur d’une lettre ouverte à son curé très lue sur les réseaux sociaux. Mais il y a mieux : au cours d’un point de presse, mercredi 3 janvier 2018 à Kinshasa, le ministre de la communication et médias, porte-parole du gouvernement, Lambert Mende Omalanga, a quasiment justifié l’action des forces de maintien de l’ordre en rappelant les termes de l’Accord-cadre qui lie Rome, le Saint-Siège, à la République Démocratique du Congo, conclu le 20 mai 2016. Il stipule expressis verbis que le respect et la liberté de culte sont subordonnés à la préservation de l’ordre public et au respect des lois rd congolaises.
Tous n’ont pas adhéré chez les prélats
Si la manifestation pourtant encouragée par certains diocèses catholiques de la RD Congo a échoué dimanche dernier, ce n’est pourtant pas du fait des seules interventions des forces de l’ordre. Nombre de prélats, patrons de leurs diocèses respectifs conformément au droit canonique, n’ont pas adhéré à la démarche kinoise, trop politisée. Dans la capitale, c’est une association de curés à la personnalité juridique floue dont personne n’avait jamais entendu parler auparavant, qui a sonné les gongs des assauts contre le pouvoir en place. Avant qu’une association toute aussi fantomatique, le CLC, ne prenne la relève en initiant une marche gigantesque, assimilable à loisir à une tentative insurrectionnelle. A l’évidence, les deux initiatives ont été avalisées par la hiérarchie de l’église catholique de la capitale sans l’autorisation de laquelle elles n’auraient pu avoir lieu. « L’église catholique n’est pas démocratique au point de laisser l’un ou l’autre de ses curés placer tout ou partie de sa paroisse au service de la politique », explique ce fidèle catholique, membre de la défunte ( ?) Association des Intellectuels Catholiques. (Et) « Personne n’a entendu le Cardinal-archevêque de Kinshasa interdire l’appel à manifester adressé à ses fidèles », poursuit l’interlocuteur du Maximum. Le Cardinal Laurent Monsengwo, qui a prestement réagi à l’échec de la manif’ de dimanche dernier apparaît donc, aux yeux de nombre d’observateurs, comme le véritable instigateur de la marche matée du 31 décembre dernier. Mais il ne semble pas avoir été suivi par tous au sein de l’église catholique romaine de Kinshasa, quoiqu’en dise la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO), qui s’est fendue d’un communiqué dénonçant « une campagne d’intoxication visant à semer la division au sein de l’Episcopat ».
Organisateurs pirates
Dès le milieu du mois de décembre 2017, nombre d’évêques avaient refusé d’obtempérer à l’instruction émanant « d’un groupe de curés de Kinshasa » appelant à faire tinter les cloches des paroisses catholiques chaque jeudi de la semaine à 21 heures (ou 18 heures). A l’instar de l’immense archidiocèse de Kisangani, où Mgr Marcel Uthembi s’abritait derrière des réalités qu’il estimait différente de Kinshasa pour ne pas politiser les cloches des paroisses sous son administration, de nombreux diocèses s’y sont également refusés.
Force est de constater que l’appel à manifester lancée par le CLC a subi le même sort que la précédente initiative kinoise, entre autres parce que l’association « fantomatique », selon l’expression du porte-parole du gouvernement, n’existe pas en provinces. A Bukavu, un autre énorme archidiocèse catholique de la RD Congo, l’évêque du lieu s’est montré on ne peut plus clair sur le sujet. François-Xavier Marroy a déclaré au cours d’une messe dimanche dernier que «Je voudrai relever un petit détail qui est en train de faire qu’aujourd’hui on dise les catholiques, c’est-à-dire nous. On a suivi à Kinshasa le comité des laïcs catholiques qui annonce, qui programme la marche entre guillemets au niveau national, je ne sais pas qui en est membre ici. A ce que je sache, ce comité ou cette coordination des laïcs catholiques n’existe pas au sein de la conférence épiscopale. Nous avons le conseil de l’apostolat des laïcs catholiques, ce n’est pas le CLC que j’ai vu, que j’ai entendu ». Cette façon de se solidariser avec une manif’ qu’un collègue prélat n’avait pas découragée a pu ressembler à une dénonciation.
Les statistiques révélées par la Police Nationale Congolaise ne font donc que confirmer cette division au sommet de l’église catholique romaine de la RD Congo. Sur la cinquantaine des diocèses catholiques du pays, seulement 2, les diocèses (archidiocèse) de Kinshasa et de Kamina dans l’ex. province du Katanga ont répondu à l’appel du CLC/Monsengwo.
Hypocrisie cléricale
Le communiqué de « mise au point et indignation » signé par Mgr Marcel Uthembi et Fridolin Ambongo au nom de la CENCO le 31 décembre dernier trahit cette division au sommet de l’église catholique rd congolaise lorsqu’il reconnaît noir sur blanc que « En vérité, les diocèses qui n’ont pas relayé cette marche ne l’ont pas pour autant désapprouvée ». Tout comme il ne dit pas la vérité en rassurant l’opinion que « les évêques de l’Eglise famille de Dieu en RDC restent solidairement unis en ce moment difficile que traverse notre pays ».
Même l’ambassade du Saint-Siège à Kinshasa, la Nonciature Apostolique, prend toutes ses distances de l’initiative du CLC et de l’Archidiocèse de Kinshasa. Le communiqué n° 4489/18 signé le 2 janvier 2018 précise lui aussi que « aucune condamnation ni approbation n’a été émise par le Saint-Siège, et il ne faudra aucunement en attendre dans le futur ». « La promotion de la justice sociale et la défense des droits civils et politiques des citoyens fait intégralement partie de la doctrine sociale de l’église », explique le Nonce. En précisant néanmoins que « dans le cas de l’initiative promue par le CLC (Comité des Laïcs Catholiques) à Kinshasa, l’unique autorité ecclésiale compétente pour juger de la conformité d’une telle initiative avec la Doctrine de l’Eglise était l’Archevêque de Kinshasa ».
Curés divisés à Kinshasa
Force est également de constater que ces divisions sur les questions temporelles n’ont nullement épargné les paroisses de l’archidiocèse de Kinshasa. Loin s’en faut, puisque le même rapport de la PNC indique que seulement une dizaine de paroisses ont suivi le mot d’ordre du CLC sur les 135 que compte l’archidiocèse. Ici aussi, l’empreinte cardinalesque ne rencontre pas l’adhésion de tous. L’archidiocèse de Kinshasa est divisée entre prêtres qui bénéficient de la confiance du Cardinal-archevêque que d’aucuns accusent de tribalisme ou de sentimentalisme, et les laissés pour compte. Un fidèle d’une église de la Tshangu explique au Maximum qu’une sorte de ségrégation se ressent dans l’administration de l’archidiocèse, où les paroisses les plus intéressantes, ainsi que certaines institutions diocésaines, ne sont confiées qu’à des prêtres sûrs. « On ne nomme pas n’importe qui à la Cathédrale Notre Dame de Lingwala, à la paroisse St Joseph de Matonge, ou à Notre Ste Anne à la Gombe », explique-t-il. Nombre de curés kinois se considèrent donc comme des mal aimés souvent relégués loin du centre de la capitale, plus confortable. « Ils ne se sont pas montrés chauds à répondre à l’appel trop politisé des hommes du Cardinal », explique-t-il.
Un clientélisme à l’état pur donc, qui n’a rien à envier aux milieux politiques, ronge l’église de la capitale et explique le zèle et l’activisme politicien de certains curés privilégiés. L’église d’en haut n’est assurément pas l’église d’en bas.
J.N.