Comme annoncé à l’issue de son dernier conclave tenu à Kinshasa du 8 au 10 juin, le Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement du tandem Pierre Lumbi Okongo et de Félix Tshilombo Tshisekedi a appelé les Congolais à l’observation de deux journées ville-morte le 8 et le 9 août 2017. Les motifs avancés pour justifier ce énième recours à de vieilles méthodes de contestation héritées des jours fastes de lutte contre la dictature mobutiste sont peu clairs. Selon le rapport des travaux du conclave lu le 10 juin dernier, il s’agirait de faire pression … sur Joseph Kabila pour obtenir l’organisation des élections au plus tard au mois de décembre prochain. Mais le recours à des actions de rue, donc à la population vise aussi, pêle-mêle, à obtenir l’application de l’Accord de la Saint Sylvestre conclu sous l’égide de la Conférence Episcopale Nationale du Congo. Ou encore le départ du pouvoir par des « voies pacifiques » de Joseph Kabila, selon le discours d’orientation prononcé par Félix Tshilombo Tshisekedi à l’ouverture du conclave, le 8 juin dernier.
Motivations confuses
Réclamer des élections dont on sait déjà qu’elles ne peuvent se tenir avant la fin de l’année, exiger l’application d’accords déjà mis en œuvre (au moins partiellement), ou encore demander le départ de Joseph Kabila du pouvoir … tout cela a paru bien confus, beaucoup trop confus et amalgamé pour se faire entendre et obtenir l’adhésion des masses kinoises. Dimanche 6 août dans la soirée, une dame d’âge mur de retour d’un « wenze » (petit marché) de quartier populaire, un bassin de pain à moitié vide, n’avait pu s’empêcher de quérir des assurances auprès de jeunes gens rencontrés sur le chemin de son retour à la maison : « Est-ce vrai que nous devons rester chez nous lundi prochain ? », leur avait-elle demandé. « Ce n’est pas lundi, c’est mardi », s’entendit-elle dire, non sans se rendre compte que sa préoccupation avait déclenché une vive discussion entre ses interlocuteurs … sur l’opportunité de se calfeutrer chez soi, si ce n’est pour des raisons sécuritaires.
A Kinshasa, la plupart n’avait pas entendu l’appel lancé par les radicaux de l’opposition de la même oreille. Entre rester chez soi et envahir les artères avec tout ce qu’une telle descente implique, peu savent faire la part des choses, désormais. Et adoptent une prudente réserve, histoire de voir venir… Comme les précédents appels à observer ville-morte, ceux du 8 et 9 août auront pâti de cette confusion entretenue par les acteurs politiques de l’opposition. De ville morte, il n’y en pas eu du tout mardi et mercredi dernier. Seulement un net ralentissement des activités dans la capitale de la RD Congo, dont les causes peuvent être cernées sans trop de peine, notent certains observateurs.
Bilan mitigé
A la tête d’une plateforme de l’opposition radicale se réclamant d’Etienne Tshisekedi (les Amis d’Etienne Tshisekedi), Jean-Pierre Lisanga Bonganga qui siège désormais au gouvernement d’union nationale pour le compte du Rassop/Kasavubu affirme l’échec de l’appel aux villes mortes. « Lorsque nous organisions des villes mortes, l’objectif était de paralyser la ville : pas d’école, pas de magasins ouverts, pas de transports et nous utilisions des barricades. Or le 8 et le 9 août les Kinois ont vaqué librement à leurs occupations. J’ai fait la ronde à Lemba avec le bourgmestre et je me suis rendu compte de l’échec de la ville-morte », confie-t-il à la presse. Relevant de surcroit que “Pour une opposition qui veut aller rapidement aux élections, deux journées ville-morte signifient un retard dans le processus”.
Mardi 8 août devant les écrans de la RTVS1, une télévision émettant à Kinshasa, un des organisateurs des journées villes mortes le reconnaissait à demi-mot. Olivier Kamitatu, le patron de l’Alliance pour le Renouveau du Congo (ARC), récemment réduit au rang de porte-parole de Moïse Katumbi Chapwe, appelait encore la communauté internationale à multiplier les pressions sur Kinshasa pour obtenir l’organisation des élections dans les délais impartis dans l’Accord dit de la Saint Sylvestre. Ce qui n’est rien d’autre qu’ « un aveu d’impuissance. Cela signifie que l’apport attendu des manifestations organisées n’est pas suffisant pour imposer quoi que ce soit au pouvoir », commente cet étudiant de l’ISTA, une institution d’enseignement supérieur de la capitale connue pour l’activisme politique de ses pensionnaires.
«Nous irons jusqu’à la désobéissance civile si Joseph Kabila ne veut pas comprendre non seulement qu’il est temps pour lui organiser les élections mais également il est temps pour lui de partir parce qu’il ne peut être candidat à sa propre succession. Joseph Kabila partira de gré ou de force”, a menacé cet élu (de justesse) de Bulungu dans la province du Kwilu. Non sans prêter à sourire, parce que « le fils Cléophas Kamitatu qui s’exprime en langues nationales comme un vieux prêtre belge n’est pas capable de remplir une salle de classe de sympathisants», estime cet élu de Masimanimba, dont le père est originaire.
Réalisme douteux
En fait, si les radicaux éprouvent de plus en plus du mal à faire observer des villes mortes, les observateurs doutent sérieusement de leur capacité à inciter à la désobéissance civile. A la fin du conclave de juin dernier, Kamitatu et leurs collègues de Limete (le siège de l’UDPS) avaient menacé d’appeler les kinois à s’abstenir de s’acquitter des factures de fourniture d’eau et d’électricité, autant que de paiement d’impôts et taxes. Mais les réalités ne semblent pas pouvoir se prêter à ces « phantasmes bourgeois », estime un sociologue de l’Université de Kinshasa. « On voit mal le kinois s’exposer à la pénurie d’eau potable pour plaire à un homme politique, fût-il opposant », explique-t-il dans un sourire. Avant de s’esclaffer carrément : « Comment peut-on demander aux kinois de s’abstenir de payer des impôts alors qu’ils n’en ont jamais payé et ignorent ce que cela signifie pour la plupart ? ». Le spectre de la désobéissance brandi par les radicaux a donc toutes les chances de demeurer … un spectre.
De l’avis de la plupart des observateurs, ce sont plus les incidents sanglants survenus 24 heures plus tôt, lundi 7 août qui ont poussé les kinois à la prudence mardi 8 août, ce qui explique le ralentissement des activités observés à Kinshasa. Des affrontements armés entre les adeptes Bundu dia Mayala de Ne Mwanda Nsemi et les forces de police dans les quartiers périphériques de Ndjili, Selembao et Binza avaient en effet provoqué la mort de 12 personnes, dont des agents de police, selon le bilan officiel lu sur les antennes de la télévision national lundi dernier. Suffisant pour dissuader de nombreuses personnes à se rendre à leurs lieux de travail, c’est évident. Si donc Kinshasa n’a pas été une ville morte les 8 et 9 août 2017, la capitale de la RD Congo aura néanmoins été une ville paniquée.
J.N.