Cette interrogation provocante à souhait est dictée par le silence combien assourdissant et inquiétant qui traverse tout le corps socio-politique congolais depuis qu’apparemment un “nouveau dialogue” sans les Congolais et sur la République Démocratique du Congo se soit tenu à Bruxelles autour du Conseil européen, une structure constituée des Ministres des Affaires Étrangères de l’Union européenne.
En effet, cette structure qui n’a pas de partenariat connu avec la RDC s’est réunie le 06 mars dernier dans la capitale de l’ancienne métropole qui ne parvient toujours pas à faire son deuil de la décolonisation du Congo et qui ne cesse de se revendiquer comme le propriétaire éternel de ce pays-continent au cœur de l’Afrique. A cette occasion, à l’instar de leurs lointains ancêtres qui se partageaient au crayon le continent africain, ces ministres européens se sont penchés sur la RDC, un “malade” qui souffrirait, selon leur diagnostic, d’une profonde crise institutionnelle, sécuritaire et socio-économique et qui, de ce fait a besoin d’un traitement de choc. D’où l’impérieuse nécessité d’administrer au patient avec frénésie un remède de cheval qui n’est autre que l’application, selon leur entendement et à leur sauce, de l’accord du 31 décembre 2016 vu sous leurs lorgnettes avec à la clé des injonctions comminatoires aux institutions politiques, judiciaires, de sécurité de la RDC sans oublier comme sédatif ou purgatif c’est selon la menace de (nouvelles) sanctions individuelles contre les responsables politiques et des membres des forces de sécurité de ce pays dont on peut questionner le statut pour ces messieurs.
Le tout combiné à des amalgames et à une lecture tronquée des résolutions de l’accord signé entre Congolais. Ainsi peut-on lire, entre autres incongruités, dans leurs conclusions au paragraphe 2 que « l’accord signé le 31 décembre 2016 est la seule voie pour asseoir la légitimité nécessaire aux institutions qui devraient gérer la transition, y compris celle de la présidence (sic!). Ni la disparition du leader de l’opposition Etienne Tshisekedi, ni la situation sécuritaire ne doivent offrir un prétexte (on ne sait à qui?) pour remettre en question ce processus qui doit mener à une alternance démocratique et pacifique du pouvoir », oubliant sciemment de rappeler que c’est justement cet objectif qui a guidé le Président de la République Joseph Kabila à prendre l’initiative de convoquer un dialogue mettant autour d’une table les acteurs politiques congolais et les représentants de la société civile et de convier les évêques catholiques de son pays à en assurer les bons offices.
Par ailleurs, toujours dans le communiqué qui a sanctionné les travaux du Conseil européen, il est dit que « l’accord du 31 décembre 2016 prévoit entre autre le maintien en fonction du Président pour autant qu’un Premier Ministre présenté par l’opposition soit nommé et que toutes les institutions soient assurées par intérim jusqu’à la fin de l’année ». Une lecture délibérément biaisée qui lie le maintien du Président à l’accord alors que c’est la Constitution de la RDC dans son article 70 alinéa 2 par ailleurs réaffirmé aussi bien par l’Accord lui-même que par la Cour constitutionnelle qui a prévu le maintien en place des institutions électives actuelles jusqu’à l’élection des institutions correspondantes.
S’agissant de la description faite de la situation sécuritaire que l’on pourrait croire apocalyptique en lisant ces conclusions, il est clair que cette manière de pervertir à l’excès la réalité répond à des objectifs inavoués mais qui transparaissent volontiers à travers notamment les menaces à peine voilées qui sont proférées à l’endroit des autorités congolaises. L’agacement contre le pouvoir en place à Kinshasa est tel que l’on s’empresse à lui trouver des prétextes pour l’abattre. C’est pourquoi par exemple, face à la guerre asymétrique menée contre les FARDC par des groupes terroristes armés dans plusieurs régions du pays et à laquelle les forces de défense et de sécurité répondent avec fermeté pour que le dernier mot reste à la loi, les ministres européens ne voient qu’un usage disproportionné de la force. Pourtant l’on aurait attendu de ceux qui sont confrontés à des situations parfois similaires ou autrement plus graves une analyse plus pondérée. A-t-on jamais entendu un ministre européen parler d’usage disproportionné de la force lorsqu’une armada militaire américaine s’est lancée à l’assaut d’un individu, Ben Laden pour ne pas le nommer ou lorsque des expéditions militaires conduites par des soldats d’élite sont envoyées pour neutraliser des poseurs de bombes parfois isolés dans quelques grandes métropoles européennes?
Enfin, quant à la grave crise économique et budgétaire qui touche durement la population, le Gouvernement congolais n’a jamais nié que le pays soit confronté à des difficultés dont les causes essentielles sont exogènes. C’est pour cette raison que quand bien même la RDC n’aurait pas le monopole de la crise économique, le Gouvernement s’emploie à stabiliser les acquis en la matière et à diversifier ses sources de financement. On comprend dès lors pourquoi, comme le peuple congolais, il s’agace face aux tergiversations de certains radicaux de l’opposition qui continuent d’alimenter les divisions retardant ainsi la mise en œuvre de l’accord du 31 décembre 2016.
De tout ce qui précède, en plus de se demander d’où le Conseil européen tire le droit de s’ingérer de manière aussi agressive dans les affaires intérieures de la République Démocratique du Congo jusque dans le fonctionnement des partis politiques, en l’occurrence ceux de l’opposition (leurs excellences ont donné leur onction au camp de Pierre Lumbi contre ses collègues du Rassemblement), il est permis de se se demander si la RDC serait devenue une province de l’Europe.
Des deux choses l’une, soit le Conseil européen est, en l’espèce, instrumentalisé par certains Congolais véreux dont les objectifs sont connus, soit cette structure agit, guidée par un ethnocentrisme qui n’est pas loin du racisme.
Mais le plus grave est ailleurs. En effet, le Congo belge ayant laissé la place depuis le 30 juin 1960 à un pays indépendant et souverain, que des non congolais s’invitent dans les affaires intérieures de la RDC, cela peut pudiquement être assimilé à une espèce de “bonne guerre” inhérente aux relations internationales. Mais que les Congolais se taisent et laissent glisser de tels événements sur la carapace de leur indifférence, cela pose un sérieux problème de patriotisme et soulève une profonde inquiétude quant à la survie de la nation congolaise.
On ne peut pas comprendre en effet que hormis le rituel diplomatique de convocation de l’ambassadeur, en l’occurrence celui de l’union européenne suivi d’un communiqué officiel du Ministère des Affaires Etrangères, qu’aucun journaliste, analyste politique ou représentant de la société civile n’ait jusqu’ici levé le petit doigt pour s’indigner, s’offusquer ou protester contre ces incongruités et diktats d’un autre âge. On a entendu quelques compatriotes justifier cela par quelques frustrations consécutives au jeu politique interne sommes toutes réelles et compréhensibles. À se demander si le patriotisme n’est pas mort avec les Lumumba, Mulele, Laurent Désiré Kabila et compagnie, symboles et dépositaires de l’insoumission et de la défense jusqu’au prix du sang des intérêts du peuple congolais. La fierté nationale et le patriotisme ont déserté ce pays au point que quiconque, comme le porte-parole du gouvernement congolais, invoque le nationalisme est regardé comme une bête curieuse sur laquelle on déverse sans retenue divers noms d’oiseaux.
Pendant que des messes noires réunissent loin des berges du fleuve Congo des nostalgiques et des néocolonialistes pour décider du sort de leur pays, les Congolais, notamment les élites socio-politiques, sont distraits à souhait, empêtrés dans des querelles politiciennes et dans une course effrénée aux postes alors qu’un danger réel guette et pèse sur l’existence même de la terre de leurs ancêtres. Seule les préoccupe au premier plan, la participation au banquet politique et aux noces d’une certaine tontine situationniste au point que même les dépouilles mortelles sont mises à contribution pour la danse du ventre qui mène au pouvoir et ce, à n’importe quel prix.
Pourtant, le temps est largement venu pour que les Congolais prennent la mesure de ce danger réel qui menace l’existence même de la RDC car les velléités de balkanisation de ce pays n’ont jamais cessé. Depuis 1960, malgré le changement des animateurs à la tête des institutions congolaises, on assiste de manière récurrente et invariable aux mêmes assauts de la part des mêmes acteurs au-delà des générations.
Face à cette réalité et face à ce traitement qui n’a que trop duré au détriment du peuple congolais, (le Ministre congolais des Affaires Étrangères qui s’est coupé en quatre pour rappeler à ses homologues et aux ambassadeurs accrédités à Kinshasa la nécessité du respect de leurs engagements vis à vis de notre pays vient de l’apprendre à ses dépens), ce peuple est en droit de rappeler à ses dirigeants un principe de bon sens. Lorsqu’on a un partenaire de mauvaise foi duquel on ne peut attendre un changement de conduite, il faut en tirer toutes les conséquences y compris celle de regarder ailleurs.
Y.V.
Correspondance particulière.
RD CONGO : Y’a-t-il encore un patriote au pays de Lumumba ?
